Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
15/07/2020

Sauvegarder l’emploi durant la crise : les différentes réponses au sein de l’OCDE

Sauvegarder l’emploi durant la crise : les différentes réponses au sein de l’OCDE
 Alexander Hijzen
Auteur
Senior Economist à l'OCDE
 Agnès Puymoyen
Auteur
Statisticienne à l’OCDE
 Andrea Salvatori
Auteur
Économiste du travail à l'OCDE

Les programmes de maintien dans l'emploi ont été l'un des principaux outils politiques utilisés dans de nombreux pays de l'OCDE pour contenir les retombées sociales et sur l'emploi de la crise du Covid-19. Leur usage était sans précédent : en mai 2020, les programmes de maintien dans l'emploi ont soutenu environ 50 millions d'emplois dans l'OCDE, soit environ dix fois plus que pendant la crise financière mondiale de 2008/2009. Quels ont été les effets de ces dispositifs ? Furent-ils mis en place de façon uniforme dans tous les pays de l’OCDE, et dans quelles proportions ? Alexander Hijzen, économiste principal à la Direction de l'emploi, du travail et des affaires sociales de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Agnès Puymoyen, statisticienne à l’OCDE et Andrea Salvatori, économiste du travail à l'OCDE répondent à nos questions.

Quels ont été les différents dispositifs mis en place au sein des pays de l'OCDE pour sauvegarder les emplois ?

Les programmes de maintien dans l’emploi visent à préserver les emplois dans les entreprises qui connaissent une réduction temporaire de leur activité en allégeant leurs coûts de main-d'œuvre tout en soutenant les revenus des travailleurs dont les heures sont réduites. Il peut s’agir de régimes de chômage partiel qui subventionnent directement les heures non travaillées, comme par exemple le Kurzarbeit en Allemagne ou l'Activité partielle en France. Ils peuvent également prendre la forme de régimes de subventions salariales qui s’appliquent aux heures travaillées mais peuvent aussi être utilisés pour compléter les revenus des travailleurs dont les heures sont réduites. La mesure d'urgence néerlandaise (Noodmatregel Overbrugging Werkgelegenheid, NOW) ou le Job Keeper Payment en Australie en sont des exemples. Mais quel que soit le type de dispositif utilisé, les employés conservent leur contrat avec l'entreprise pendant la suspension de travail. 

La majorité des pays de l'OCDE disposant déjà de programmes de maintien dans l’emploi les ont rapidement étendus en réponse à la crise du Covid-19. Ils ont simplifié les procédures, en généralisant les demandes en ligne et la possibilité de présenter des demandes rétroactivement, supprimé la nécessité d'une justification économique et étendu l'éligibilité au-delà des travailleurs avec un contrat de durée indéterminée pour inclure les travailleurs temporaires, les agences de travail temporaire et même certaines catégories de travailleurs indépendants. De nombreux pays ont également accru la générosité des régimes de chômage partiel pour les entreprises comme pour les travailleurs. 

Un certain nombre d'autres pays ont introduit de nouveaux régimes temporaires de chômage partiel en réponse à la crise Covid-19, comme le Danemark, la Slovénie et le Royaume-Uni. La plupart de ces nouveaux régimes ne s’appliquent que lorsque les heures sont réduites à zéro, c'est-à-dire en cas de licenciement temporaire. Ces régimes pourraient être mis en œuvre plus rapidement et ils seraient moins vulnérables aux abus fondés sur une classification erronée des travailleurs à temps partiel. Toutefois, ils sont également plus rigides et excluent la possibilité de partager les coûts d'ajustement entre les travailleurs par le biais de réductions généralisées du temps de travail.

 De nombreux pays ont accru la générosité des régimes de chômage partiel pour les entreprises comme pour les travailleurs.

Plusieurs pays - principalement anglophones - ont introduit des subventions salariales ad hoc qui peuvent être utilisées par les entreprises pour les heures travaillées (comme les subventions salariales standard) comme pour les heures non travaillées (comme les régimes de chômage partiel). Citons par exemple l'Australie, le Canada, l'Irlande, et la Nouvelle-Zélande. Ces subventions sont réservées aux entreprises qui connaissent une baisse importante de leurs revenus, mais leur montant est généralement indépendant du niveau de la baisse des revenus ou du temps de travail. Par conséquent, ces régimes de subventions salariales sont moins ciblés sur les entreprises en difficulté financière que les régimes de chômage partiel. 

Dans quelle mesure variaient les dispositifs en termes de générosité pendant la période de confinement ? Et quelles étaient leurs conséquences ? 

Au début de la crise du Covid-19, les dispositifs de maintien dans l'emploi étaient généreux tant pour les travailleurs que pour les entreprises. Cela a permis de réduire les coûts du travail des entreprises et de préserver les emplois, tout en soutenant les revenus des travailleurs dont les heures étaient temporairement réduites, en évitant les difficultés financières et en soutenant la demande globale.

Pour soutenir les entreprises, la plupart des pays ont fixé à zéro le coût des heures non travaillées, ce qui leur a permis d'aligner les coûts de la main-d'œuvre sur le temps de travail, préservant ainsi leur liquidité et leur capacité de maintenir les emplois. Exceptions notables, le Danemark et les Pays-Bas, où les employeurs sont tenus de contribuer respectivement à hauteur de 35 % et 10 % des coûts de main-d'œuvre réguliers. Depuis le 1er juin, la France, demande également aux employeurs de contribuer à une partie de leur revenu pour les heures non travaillées. Toutefois, même dans ces pays, l'aide au maintien de l'emploi permet des allégements importants des coûts de main-d'œuvre. 

Pour aider les travailleurs dont le temps de travail est réduit, les programmes de maintien de l'emploi prévoient également de généreuses prestations de remplacement pour les heures non travaillées. En effet, dans la plupart des pays, les programmes de maintien dans l'emploi assurent un niveau d'aide plus élevé que les allocations de chômage même si les heures travaillées sont réduites à zéro. Les différences les plus importantes se retrouvent dans les pays dotés de programmes de maintien temporaire de l'emploi, comme le Danemark et les Pays-Bas, qui offrent une protection complète du revenu des travailleurs, ainsi que dans les pays où la prestation de chômage est soumise à des conditions de ressources, comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Globalement, les taux de remplacement relativement élevés offerts par les programmes de maintien dans l'emploi ont contribué à protéger le niveau de vie des travailleurs et à soutenir la demande globale.

Quels ajustements sont à prévoir pour les dispositifs de maintien dans l’emploi pour la sortie de la crise du Covid-19 ?

Pendant la phase de confinement, les dispositifs de maintien dans l’emploi ont été principalement conçus pour apporter un soutien immédiat aux entreprises et aux travailleurs et éviter une première flambée du chômage.

À mesure que les pays assouplissent les restrictions aux activités économiques, la conception des dispositifs devrait être adaptée pour mieux cibler les emplois susceptibles de redevenir viables. Cela réduit le risque que ces programmes ralentissent la réaffectation des emplois vers des entreprises et des secteurs plus performants, et deviennent un obstacle à la reprise économique. Pour ce faire, il faut relever trois défis politiques difficiles.
 

À mesure que les pays assouplissent les restrictions aux activités économiques, la conception des dispositifs devrait être adaptée.

La première question est de savoir quand supprimer progressivement ou adapter les mesures de maintien dans l’emploi qui offrent un support généreux avec peu de garanties contre leurs effets négatifs éventuels. La réponse n’est pas facile : l’incertitude reste élevée et le risque de deuxième vague de l'épidémie demeure. D'une part, restreindre trop tôt l'accès à ces mesures peut entraîner la destruction d'emplois qui pourraient encore être viables et d'induire une vague de licenciements. D'autre part, étendre les programmes de maintien dans l’emploi facilement accessibles peut maintenir artificiellement des emplois non viables, gaspiller des ressources précieuses et ralentir la nécessaire réaffectation des emplois vers des entreprises et des secteurs en expansion. 

La deuxième question est de déterminer comment adapter les régimes pour faire face aux conséquences économiques de la crise sanitaire. Le principal défi consiste à cibler davantage les programmes sur les emplois à risque, mais néanmoins viables à long terme. En effet, il est inévitable que certaines entreprises ne puissent pas se remettre complètement et qu'elles doivent recourir à des licenciements définitifs. Il convient de laisser les emplois devenus non viables prendre fin et de soutenir les travailleurs concernés par des allocations de chômage, en combinaison avec des politiques actives du marché du travail pour faciliter les transitions vers des emplois nouveaux et durables. La meilleure façon de mieux cibler les programmes de maintien de l'emploi est de faire participer les entreprises au coût des heures non travaillées. 

Quant à la troisième question, elle est de définir à qui les ajustements doivent s'appliquer, et notamment s’il convient de différencier selon les secteurs. Si, dans certains secteurs, l'activité économique peut reprendre rapidement, d'autres continueront à être confrontés à des restrictions imposées par la loi. Les secteurs dont l'activité reste légalement restreinte peuvent avoir besoin de la poursuite des programmes de maintien dans l’emploi. En revanche, dans les secteurs où l'activité peut reprendre, il est envisageable d’adapter les programmes pour ne plus maintenir d’emplois devenus définitivement non viables. La France est actuellement le seul pays qui applique des conditions plus favorables aux secteurs qui restent soumis à des restrictions imposées par le gouvernement. Plus précisément, depuis juin 2020, les employeurs des secteurs "ouverts" (n’étant plus soumis aux restrictions sanitaires) sont tenus de cotiser à hauteur de 15 % du revenu des travailleurs pour les heures non travaillées.

 

Copyright : Tolga AKMEN / AFP

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne