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12/04/2010

Repenser l’aide au développement

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Repenser l’aide au développement

Si les exportations sont un facteur de renforcement et d'accélération du développement, elles ne sauraient pour autant se substituer à ses dynamiques internes. Il s’agit d’un phénomène avant tout endogène. L’aide au développement doit aujourd’hui être repensée comme un levier favorisant progrès technique, croissance et distribution équitable des revenus.

  • La clé du développement ne réside pas uniquement dans l'exportation

Depuis l'immédiat après-guerre, la politique d'aide au développement a été marquée par des étapes successives dans lesquelles le développement a toujours été conçu comme un véhicule à moteur externe, c'est-à-dire propulsé de l'extérieur, sans décision locale.

Rien de tout cela n'a été véritablement efficace. Les pratiques très actuelles, versions publiques du monétarisme libéral, ne le sont guère davantage.

Les stratégies de financement du développement se composent de trois éléments principaux :
- une absolue priorité - légitime en soi - à l'assainissement des équilibres financiers quel qu’en soit le coût pour les politiques sociales ;
- une orientation résolue vers la privatisation de toute activité de service public, concernant aussi souvent les attributions régaliennes de l'Etat ;
- une vision du développement où le moteur principal est l'exportation et les investissements extérieurs.

Le consensus intellectuel des bailleurs de fond - FMI, Banque Mondiale - et des gouvernements du G8 a longtemps été remarquable sur ces notions.

Les raisons initiales qui ont fait émerger ces tendances exprimaient certainement la nécessité de corriger des errements antérieurs, pourtant on est souvent allé beaucoup trop loin. Quelques grands bailleurs dont la France semblent s'en rendre compte.

Le décollage ne s’est pas fait assez largement, la pauvreté demeure toujours plus présente à l’échelle du globe, cela a poussé la Banque Mondiale à innover. Depuis quelques années, elle négocie à l'occasion des plans de réductions de dette, des Stratégies de réduction de la pauvreté "Poverty Reduction Strategy Papers" largement élaborés par les Etats intéressés.

La commission européenne essaie de substituer de son côté la notion de contrat à celle de conditionnalité pour tenter d'impliquer davantage la volonté et les choix des receveurs d'aide dans les politiques suivies.

Dans la pratique ces avancées n’ont pas encore influencé de façon décisive l'attitude des décideurs. En particulier penser que la clé du développement réside dans l'exportation est une idée erronée. Elle fait pourtant l’objet d’un accord tacite et inspire les politiques de la Banque Mondiale et celles du Fonds Monétaire International.

Dans sa version extrême, elle se traduit par le "Trade not Aid" américain.

Il n'est pourtant pas interdit de penser, et même d'affirmer que cette idée peut se révéler dangereuse. Prenons l’exemple du Gabon qui importe des meubles en bois venant d’Afrique du Sud, fabriqués avec du bois gabonais exporté, qui a été transformé en Chine : nous avons là un cas où une industrie d’exportation de produit bruts devient un gâchis économique global. Le Gabon peut viser à importer l’expertise de la transformation du bois en quelques années afin d’exploiter totalement cette ressource naturelle. La France partenaire du Gabon peut l’aider à cette fin en mettant à contribution son réseau de PME, notamment le tissu industriel mayennais, spécialiste du bois et en mal de débouchés.

Beaucoup d’autres initiatives de ce genre pourraient profiter au secteur agricole et aux économies des pays africains ainsi qu’aux paysans français et aux petites et moyennes entreprises par la mise en place d’échanges. Le tissu industriel français est constitué d’un réseau de plus de cinq cent mille PME qui peuvent participer au décollage du monde en développement.

Cela pourrait être l’un des rôles notamment de l’Agence Française de développement que de mettre en place ce type d’échanges.

Bien évidemment, il ne saurait y avoir de développement sans commerce extérieur, cela pour une raison simple : la caractéristique majeure du sous-développement est avant tout l'absence des outillages et des équipements qui sont la source de l’augmentation des gains de productivité. Il n'y a souvent pas d'autre choix que d’acheter les outils et d'importer le savoir-faire nécessaire.

Il faut exporter pour avoir les moyens de s’équiper, de là à penser que l'exportation est la composante principale du développement il y a un pas à ne pas franchir.


  • Il faut prendre en compte les composants internes du développement

Quels qu’en soient les moteurs, le développement s'observe comme la capacité d'une population sur un territoire donné à produire dans chaque période un peu plus que dans la période précédente, et à distribuer ce faisant davantage de revenus dans des conditions d'équité suffisante pour que la grande masse de la population consomme davantage. Il faut ajouter à cette définition arithmétique des notions de développement humain liés à l’amélioration des conditions de vie, des systèmes de santé, du niveau d’éducation et la maturation des institutions politiques.

Le commerce extérieur est un des adjuvants nécessaires à ce mécanisme, pourtant, il ne le favorise que sous certaines conditions que nous appelons composants internes du développement :
- Sans progrès technique, pas de croissance.
- Sans une distribution des revenus équitable, pas de croissance des marchés de consommation et donc pas de croissance.

Si progrès technique, croissance et distribution de revenus ne concernent qu'une part minoritaire de la population, on crée des inégalités cumulatives, des poches de pauvreté qui s'étendent et s'approfondissent, une société qui reste inhomogène, antagoniste et donc potentiellement violente et instable.

Les doctrines qui régissent actuellement les décisions de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international et des grandes institutions de coopération bilatérale, y compris de la Banque Européenne d’Investissement, pourraient valablement s’étoffer et inclure de façon systématique les composants internes du développement.

Ces composants internes conditionnent les capacités exportatrices. Le développement est d'abord endogène.

Entre 1960 et 1970, Taïwan et la Corée du Sud faisaient partie du Tiers-Monde. Ces deux pays ont réussi une transformation exemplaire qui les a propulsé aux premiers rangs de l’économie mondiale.

Dans les deux cas, pratiquement toute la population (23 et 50 millions aujourd’hui) a bénéficié de progrès continus en savoir-faire, en outillage et de l’augmentation des revenus, le tout dans un contexte douanier et réglementaire très protecteur, n’en déplaise aux tenants de l’ouverture sans conditions aux marchés internationaux. Une situation de stabilité géopolitique a favorisé cet essor industriel qui a bénéficié d’un apport technologique extérieur d'une intensité exceptionnelle. En fait, si l'on élargit le champ d’analyse, on constate que la dynamique de croissance en Asie de l'Est au XXe siècle, qui a commencé par le Japon, s'est installée de cette façon. À l’instar du mouvement qui a conduit à la croissance des Etats Unis au XVIIIème et XIXème siècles, et à celle de l'Europe au XIIème et XIIIème siècles.

Dans ces différents cas l'exportation a été un facteur de renforcement et d'accélération du développement, pas le premier et principal facteur.

Il faut modifier les formes et les modalités de la coopération internationale.

Dans le cas de la France, une stratégie géopolitique rénovée doit être capable d'agir de façon souple sur un plan bilatéral, comme multilatéral, au service d'une vision gouvernementale du développement dans laquelle l'aide économique s'articule sur un enjeu politique et économique.

L'avenir du monde en développement dépend principalement de lui-même mais certaines situations sont si difficiles qu’on ne peut en sortir seul. L’Afrique en particulier a besoin d'aide mais d'une aide qui pour l’essentiel participe à débloquer ses propres forces : le développement se conquiert, il ne se parachute pas.

L’Afrique a ses chances : il faut l’aider à les libérer.


  • Voir à ce sujet l'émission "Toutes les France" (France Ô) du jeudi 15 avril 2010, Europe-Afrique : nouveau-départ ? Avec Mamadou M'Baye, Henri Weber, député européen PS en charge des questions de mondialisation, Charles Onana, journaliste d'investigation et Alain Ouandji, président de la confédération club 2012.

  • MAMADOU M'BAYE, ancien élève de l’Ecole Polytechnique et de l’Ensae, est dirigeant d'entreprise, spécialiste de la gestion du risque bancaire et du financement du développement.

Fondateur et président de l’association Juboo (qui vient en aide aux enfants des rues au Sénégal), il est également administrateur de l’association Artistes Citoyens (qui réfléchit sur la place et la fonction de l’art et des artistes dans la société). Il est candidat à la Direction Générale de l'AFD.
Au sein de l'Institut Montaigne, il a contribué à l'ouvrage collectif Qu'est-ce qu'être français ? (Editions Hermann/Institut Montaigne, novembre 2009).


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