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18/08/2022

Rachat des JRTT : ni excès d'honneur, ni excès d'indignité mais à compléter

Rachat des JRTT : ni excès d'honneur, ni excès d'indignité mais à compléter
 Franck Morel
Auteur
Expert Associé - Travail et Dialogue Social

Comme ce fut le cas en 2007, le quinquennat débute avec un ensemble de mesures législatives relatives au pouvoir d'achat. Paraissent au Journal officiel du 17 août 2022 les lois du 16 août 2022 de finances rectificatives d’une part et portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat d'autre part.

Parmi les mesures contenues dans ces textes, on retrouve un nouvel avatar de l'encouragement à travailler plus pour gagner plus. Plus précisément, il s'agit d’une part d'un élargissement des avantages fiscaux et sociaux liés à l'accomplissement d'heures supplémentaires et d’autre part d’une disposition relative à la monétisation des "JRTT". 
 
Ces mesures ont en réalité une portée limitée et il n'est pas impossible qu'elles gagnent à être complétées dans les mois ou années à venir. Les heures supplémentaires bénéficient actuellement d'une défiscalisation, d'une réduction de cotisations salariales et, pour les salariés des entreprises de moins de 20 salariés, d'une réduction forfaitaire de cotisations patronales. 
 
En matière d'heures supplémentaires, le plafond annuel de défiscalisation est porté de 5000 € à 7500 €.

Le rehaussement du plafond de fiscalisation devrait avoir un effet limité surtout aux cadres. En effet, avec un plafond de 5000 € actuel, il faut effectuer plus de 350 heures supplémentaires par an pour un salaire médian pour l'atteindre. Or, le nombre moyen d'heures supplémentaires effectuées annuellement se situait à 45 heures environ selon l'INSEE, bien loin de ce chiffre.

En matière d'heures supplémentaires, le plafond annuel de défiscalisation est porté de 5000 € à 7500 €.

La réduction forfaitaire de cotisations patronales qui n'avait été rétablie en 2019 que pour les entreprises de moins de 20 salariés voit ensuite son champ d'application élargi aux entreprises employant jusqu’à 250 salariés. Son montant actuel de 1,50 € par heure ne neutralise pas par elle-même le surcoût de la majoration de l'heure supplémentaire mais aboutit en revanche à exonérer de fait cette majoration de cotisation patronale pour un salaire médian. 

Son montant se cumule pour un salarié avec les allègements sur les bas salaires dans la limite du montant global des cotisations patronales dues. C'est surtout cette mesure sur la réduction de cotisations patronales qui est importante, notamment pour les plus petites entreprises jusqu'à 50 salariés dans lesquelles la majorité des heures supplémentaires sont effectuées. Le montant de la déduction forfaitaire est fixé par décret et c’est notamment pour ces petites entreprises qu'il devrait utilement être fixé au niveau le plus élevé pour encourager à l’accomplissement de ces heures supplémentaires.
 
La mesure concernant le rachat des JRTT permet jusqu'à fin 2025 par dérogation aux stipulations légales et conventionnelles à un salarié, en accord avec son employeur, de renoncer à des jours de repos accordés dans le cadre d'un décompte annuel ou plurihebdomadaire du temps de travail en bénéficiant des mêmes avantages fiscaux et sociaux (exonération fiscale, réduction de cotisations salariales) que pour les heures supplémentaires, le texte ne mentionnant pas l’accès à la réduction de cotisations patronales pour les entreprises employant de 20 à 250 salariés.

Cette mesure a donné lieu à de vives critiques, notamment d’organisations syndicales qui ont dénoncé une nouvelle brèche dans les 35 heures, et a fait l'objet d’un compromis avec les Républicains, notamment au Sénat, qui l'ont proposée en s’inspirant de la loi du 8 février 2008 qui, à l'orée du quinquennat Sarkozy, après des débuts jugés poussifs des effets de la loi TEPA, avait pour objet de compléter les mesures en faveur du pouvoir d’achat. Une autre loi du 3 décembre 2008 était ensuite intervenue en faveur des revenus du travail avec des mesures facilitant le déblocage de l’épargne salariale. Ce précédent montre qu'en matière de pouvoir d’achat, le ressenti de nos concitoyens est toujours insatisfait et que la fuite en avant avec une succession de lois pour combler le manque ressenti suite aux précédentes mesures constitue une tendance très probable.

Si la mesure ne mérite ni les excès d'honneur ni les excès d'indignité dont elle a été affublée, car sa portée est en réalité limitée, elle risque en fait de générer des frustrations. En effet, elle est largement redondante avec les règles relatives aux heures supplémentaires et donc déjà applicable de fait avant son entrée en vigueur. Son champ est par ailleurs plus limité que celui de son "ancêtre" la loi du 8 février 2008. Enfin, elle omet les aspects pour lesquels elle aurait eu le plus d'impact. 

Si la mesure ne mérite ni les excès d'honneur ni les excès d'indignité dont elle a été affublée, car sa portée est en réalité limitée, elle risque en fait de générer des frustrations.

Tout d'abord, le juge a été conduit à indiquer que les JRTT, accordés dans le cadre de modes d'aménagement du temps de travail concernés par le texte, non pris sont perdus, à défaut de disposition conventionnelle prévoyant leur indemnisation, sauf si le salarié peut montrer qu'ils ne l'ont pas été du fait de l'employeur (voir en ce sens Cass. soc. 18 mars 2015, n°13-16369 ; 31 mars 2016, n°14-29326).

Il faut rapprocher cette jurisprudence de celle relative aux heures supplémentaires dont le caractère commandé par l'employeur repose sur l’accord au moins implicite de l'employeur ou sont imposées par la nature ou la quantité du travail demandé. Le fait que l'employeur soit d’accord pour qu'un travail supplémentaire soit effectué par le salarié va dans ce sens.
 
Or, quand des JRTT ne sont pas pris, il va potentiellement en résulter mécaniquement l'accomplissement d’heures supplémentaires, ceux-ci étant la résultante d'un mode d’aménagement du temps de travail plurihebdomadaire avec un calcul des heures supplémentaires sur plusieurs semaines ou l'année. Le texte légal requiert logiquement l'accord de l'employeur pour monétiser ces JRTT et donc effectuer du travail supplémentaire, des heures supplémentaires, en résultant. On peut donc considérer que si cette loi n'existait pas, les heures supplémentaires accomplies du fait de la non prise de JRTT avec l'accord de l'employeur bénéficieraient aussi des avantages fiscaux et sociaux liés aux heures supplémentaires. 
 
Le rachat prévu par la nouvelle loi est même en théorie moins favorable. En effet, les heures issues de ce mécanisme ne s'imputent pas sur le contingent d'heures supplémentaires et donc ne permettent pas de bénéficier de la contrepartie en repos liée à son dépassement et se voient appliquée la majoration applicable aux premières heures supplémentaires, donc de 25 % à défaut de stipulation conventionnelle, et non celle de 50 % pour les heures au-delà de la 8ème heure en moyenne. Il faudrait cependant effectuer un très grand nombre d'heures supplémentaires via ce rachat et sans doute même supérieur au nombre de jours existants pour que la différence ait une portée, celle-ci n'étant que théorique. La nouvelle loi ne mentionne pas la réduction forfaitaire de cotisations patronales dans les entreprises employant de 20 à 250 salariés pour ce rachat mais comme il s'agira d'heures supplémentaires pour lesquelles celle-ci s’applique, une base légale existera pour la pratiquer.

La portée de la mesure est plus en réalité une légère sécurisation quant à l'impact d'une non prise des JRTT. 

Du reste, il n'a pas été nécessaire de mentionner les salariés employés dans le cadre d'une convention de forfait en jours, soit environ la moitié des cadres, car le rachat de jours de repos dans ce cadre avec l’accord écrit de l’employeur, bénéficie déjà des avantages fiscaux et sociaux liés à l'accomplissement d'heures supplémentaires.

La portée de la mesure est plus en réalité une légère sécurisation quant à l'impact d'une non prise des JRTT. En l'absence d’une telle disposition légale, la non prise des JRTT avec accomplissement d'heures supplémentaires avec l'accord de l’employeur n'empêchait pas un contentieux civil de demande de dédommagement du préjudice lié à l’absence de prise des JRTT. Mais malgré l'éventuel non-respect d'un accord collectif prévoyant la prise de ces repos sans dérogation possible, ce contentieux serait généré par le même salarié qui était demandeur d'une telle monétisation et son issue en sa faveur n'est donc pas certaine... Cette mesure est donc in fine surtout un signal.
 
En réalité, il manque deux dispositions dans cette mesure qui lui auraient donné une véritable portée. En premier lieu, la loi du 8 février 2008 permettait aussi la monétisation des jours de congés stockés sur le compte épargne temps, qui est devenue légalement possible ultérieurement avec l'accord de l'employeur et l'est toujours à ce jour. Mais surtout elle ouvrait aux jours issus de cette monétisation les avantages fiscaux et sociaux liés aux heures supplémentaires, ce qui n’est, en revanche, pas le cas aujourd’hui. Ensuite, il avait été rendu possible pendant la crise sanitaire, de manière temporaire jusqu'à la fin de l'année 2020, puis jusqu'au 30 juin 2021, de monétiser la 5ème semaine de congés payés. Ceci n'est actuellement pas possible sauf fin des relations de travail. Cette mesure simple que je proposais dès février 2022 (Droit du travail : 18 idées pour le prochain quinquennat) et concernant tous les salariés, à la différence des RTT, aurait donc potentiellement un impact plus fort. 

 

 

Copyright : ERIC PIERMONT / AFP

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