Que lire cet été ? Les dix recommandations de lectures estivales de l'Institut Montaigne

La trilogie de Copenhague est le récit autobiographique de son autrice, Tove Ditlevsen, écrit entre 1967 et 1971 et dont les deux premiers volumes sont parus en France en 2023. Née en 1917 dans un milieu ouvrier danois assez pauvre, souvent rude mais d'une grande dignité, elle raconte son enfance dans le premier volume, puis sa jeunesse dans le second. Tove est en quête d'autonomie puis d'indépendance par rapport à son milieu social d'origine tout en restant fidèle à celui-ci. Son émancipation passe entre autres par l'écriture, ce qu'elle restitue de manière bouleversante sans jamais verser dans le pathos. Servi par un style d'une grande sobriété, ce récit est à la fois une étude de facture sociologique fort instructive et la reconstitution d'un parcours de femme qui vit avec intensité les événements heureux et dramatiques d'une partie du XXe siècle. J'attends avec impatience la sortie du dernier volume, prévu à l’automne.

Marc Lazar, Expert Associé - Démocratie et Populisme, Italie

Un avocat réputé se rend en Ukraine, à Lviv, autrefois Lemberg, pour donner une conférence. La ville devient alors le point névralgique où convergent son histoire familiale (un grand-père ayant échappé à l’Holocauste) et la grande Histoire de la Seconde Guerre mondiale, puisqu’elle fut à la fois le lieu où étudièrent Hersch Lauterpacht et Raphaël Lemkin, les deux juristes juifs à l’origine de l’élaboration du concept de génocide, et l’endroit d’où Hans Frank, haut dignitaire nazi et gouverneur de Pologne, annonça en 1942 la mise en place de la Solution finale. L’enquête très documentée du juriste en droit international franco-britannique Philippe Sands est adaptée en une bande-dessinée qui déploie une réflexion humaine et historique passionnante sur l’origine des termes de génocide et de crime contre l’humanité, qui furent cruciaux lors du procès de Nuremberg, et dont la définition précise, dans le contexte d’un regain de l’antisémitisme, constitue un indispensable rappel.

Nicolas Baverez, Expert Associé - Défense

Alors que le régime dictatorial de Salazar s’est installé depuis cinq ans, le journaliste Pereira mène une vie triste, préoccupé par la mort depuis le décès de sa femme. Totalement apolitique et indifférent au monde qui l’entoure, il vivote en écrivant dans les pages culturelles du Lisboa. Souhaitant préparer les nécrologies anticipées d'écrivains, il embauche un jeune collaborateur qui s’avère être un dissident politique très actif. Cette rencontre va petit à petit transformer Pereira, le conduisant à une prise de conscience et à un engagement actif contre le régime. Ce roman historique du grand écrivain italien Antonio Tabucchi nourrit poétiquement la réflexion sur la résistance et l'engagement, la politique et la place de l’individu, tout en posant le contexte de la dictature au Portugal, de la guerre civile espagnole et du fascisme italien.

Ali Saïb, Expert Associé - Éducation, Enseignement Supérieur, Recherche

Axel Honneth, le plus connu représentant contemporain de l'École de Francfort et disciple de Jürgen Habermas, nous explique pourquoi les cultures politique française, allemande, et britannique se distinguent tellement, à travers une passionnante histoire européenne de l’idée de la reconnaissance. Mélangeant exégèse philosophique et analyse littéraire, Honneth montre que la reconnaissance - la recherche de l’approbation ou le rejet de l’autre – passe par des mécanismes très différents dans les trois grands pays de la pensée européenne. En ce temps où les Français contraignent leurs élites politiques à s'essayer à une politique de coalition à l’allemande, ce livre bref, qui relève davantage de l’essai que de l’exercice universitaire, nous fait comprendre entre autres pourquoi il s’avère tellement difficile pour la France de penser la politique en termes de compromis.

Joseph de Weck, Expert associé - Allemagne

Quatre volumes, d'environ 600-700 pages chacun, consacrés à l'ancien président Lyndon Johnson n'est peut-être pas l'idée la plus évidente de lecture pour la plage. Néanmoins, une fois dépassé cet a priori, les lecteurs oublieront vite le poids de chaque tome et se demanderont comment toute personne qui travaille de, ou sur, la politique peut ne pas avoir lu ce classique. Comme toute bonne biographie, le récit de Robert Caro sur Lyndon Johnson est à la fois cela, et bien plus. C'est une fresque sur l'Amérique du XXe siècle qui voyage entre les villages du Texas et les couloirs du Congrès. C'est une étude de caractère qui, à travers Johnson, pose la question de ce qu'est, finalement, la politique. Homme du Sud, tacticien parlementaire sans scrupules, président des grandes causes sociales mais aussi de l'escalade au Vietnam, Lyndon Johnson devient sous la plume de Robert Caro un véritable personnage littéraire. Et si quatre volumes ne suffisent pas, que les lecteurs se rassurent, Caro est en train d'achever le cinquième et dernier volume.

Jean-Loup Samaan, Expert Associé - Moyen-Orient