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03/02/2022

Qu’attendre de la présidence sénégalaise de l’Union africaine ?

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Qu’attendre de la présidence sénégalaise de l’Union africaine ?
 Mahaut de Fougières
Auteur
Responsable du programme Politique internationale

Après Félix Tshisekedi, Président de la République démocratique du Congo, c’est son homologue sénégalais, Macky Sall, qui prendra les rênes de la présidence tournante de l’Union africaine (UA) pour l’année 2022. La passation aura lieu lors de la 35ème session ordinaire de l’Assemblée des chefs d'État et de gouvernement de l'organisation panafricaine, les 5 et 6 février. 

Une organisation continentale marquée par des faiblesses 

L’Union africaine, qui fêtera ses 20 ans d'existence cette année - elle avait succédé en 2002 à l’Organisation de l’unité africaine, elle-même fondée en 1963 - a pour objectif de promouvoir l’intégration du continent africain, à travers l’unité et la solidarité entre ses membres. Elle regroupe aujourd’hui, depuis l’adhésion du Maroc en 2017, les 55 pays du continent. 

Malgré des progrès indéniables, dont l’un des plus marquants ces dernières années est le lancement d’une Zone de libre-échange continentale (ZLECA), l’UA présente un certain nombre de faiblesses structurelles, qui lui valent notamment la qualification de "syndicat de chefs d’État qui se couvrent mutuellement". Elle souffre d’abord d’une remise en question récurrente de sa légitimité, ainsi que d’un manque de vision panafricaine de ses membres, alors que les pays africains - Afrique du Sud, première économie du continent, en tête - sont encore trop tournés sur leurs affaires intérieures. Le sujet du financement est également central. Malgré la réforme initiée par le Président rwandais Paul Kagamé, lors de sa présidence de l’Union en 2018, l’organisation est encore trop dépendante des financements extérieurs. Le budget 2022, qui a été voté au mois d’octobre, est de 650 millions de dollars, dont 66 % proviennent de partenaires internationaux (notamment l’Union européenne et la Chine) et seulement 31 % des États-membres (contre 27 % en 2017). Cela est dû à la fois aux gros contributeurs (Afrique du Sud, Algérie, Égypte, Nigeria, Maroc) et autres États-membres qui peinent à honorer leurs engagements, mais également aux difficultés rencontrées dans l’implémentation du prélèvement à l’importation de 0,2 % proposé par le Rwanda et adopté en 2016. 

Par ailleurs, si la crise du Covid-19 a contribué à révéler la nécessité d’une réponse coordonnée sur le continent et donc mis en lumière le rôle de l’UA, notamment à travers son Centre de prévention et de contrôle des maladies (Africa CDC), elle a également été un frein aux avancées de l‘organisation sur d’autres thèmes et à son fonctionnement (comme pour la plupart des organisation internationales, qui n’étaient pas préparées au travail à distance, par exemple). Les présidences sud-africaine en 2020 et congolaise en 2021 ont pâti de cette situation dans la mise en œuvre de leur programme respectif. Enfin, le conflit entre les forces gouvernementales et le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) en Ethiopie, dont la capitale abrite le siège de l’UA, contribue également à affaiblir l’organisation panafricaine et son fonctionnement. 

Quels enjeux pour la présidence tournante de 2022 ?

Dans ce contexte d’organisation continentale encore jeune, qui peine à s’imposer véritablement, et qui est par nature dépendante de la volonté de ses États-membres, le leadership exercé par le président en exercice de l’Union joue un rôle crucial. Les précédentes mandatures ont ainsi oscillé entre une volonté de réformer l’institution (sous la présidence de Paul Kagamé en 2018 par exemple) et l’incapacité à initier de réels changements. Incapacité ou manque de volonté, comme ce fut le cas sous la présidence égyptienne en 2019, lorsque le Président al-Sissi a refusé d’invoquer les mécanismes de l’UA de recherche de la paix dans la gestion du conflit libyen et des négociations relatives au barrage de la Renaissance en Ethiopie. 

La présidence sénégalaise, qui débute en février, devra faire face à de nombreux défis. 

La présidence sénégalaise, qui débute en février, devra faire face à de nombreux défis. D’abord, le continent se retrouve enlisé dans une situation politique marquée par plusieurs coups d’État (ou tentatives) ces derniers mois et un retour en force des militaires au pouvoir, en particulier en Afrique de l’Ouest (Guinée, Tchad, Mali, Burkina Faso), où se trouve également le Sénégal. 

Le Président Sall et l’Union africaine devront faire face à ces situations, qu’il a lui-même qualifiées d’inacceptables au mois de décembre : "Nous ne pouvons pas accepter que dans cette partie de l’Afrique, des militaires prennent le pouvoir par les armes. Nous sommes en démocratie et le pouvoir se conquiert par les élections." À cela s’ajoute le conflit ethiopien, alors que les tentatives de médiation de l’UA ont pour l’instant échoué. 

L’instabilité politique au Sahel n’arrange rien à la menace terroriste djihadiste qui plane et se diffuse dans la région, alors que les présences militaires française et européenne sont de plus en plus remises en cause. Le 27 janvier, le Danemark a annoncé, à la demande de la junte malienne, le retrait de ses troupes (une centaine de soldats) présentes dans le pays dans le cadre de la task force européenne Takuba ; le 31 janvier, les autorités maliennes ont annoncé l’expulsion de l’ambassadeur de France sous 72 heures. 

Outre les questions politiques et sécuritaires, le Président Macky Sall devra également s’emparer de la réponse à la crise du Covid-19, autant sanitaire qu’économique, alors que moins de 10 % de la population africaine est entièrement vaccinée et que le continent a connu en 2020 la pire récession économique de ces 50 dernières années en raison de la crise. Le Président sénégalais estimait en décembre fondamental "le financement de la relance pour créer des emplois, pour relancer la machine économique". 

Enfin, alors que le continent subit de plein fouet les effets du changement climatique, le sommet de l’UA des 5-6 février sera l’occasion de se pencher sur la résilience en matière de nutrition sur le continent africain, un thème que la crise sanitaire a contribué à rendre d’autant plus pressant. 

Les atouts de Macky Sall 

Pour faire face à ces défis, le Président sénégalais dispose de nombreux atouts. Cela tient tout d’abord à une légitimité démocratique bienvenue dans ce contexte : Macky Sall n’a jamais remis en cause l’ordre constitutionnel du Sénégal, qui n’a connu aucun coup d’État depuis son indépendance en 1960 et deux alternances démocratiques depuis 2000. C’est cette exceptionnalité qui a fait du pays un partenaire privilégié pour de nombreux acteurs internationaux. Le Président sénégalais fait également preuve d’un certain leadership panafricain, qu’il porte régulièrement sur la scène internationale. Il s’est ainsi à de nombreuses reprises exprimé en faveur de l’allongement du moratoire sur les dettes africaines et est actif sur le dossier des droits de tirages spéciaux accordés à l’Afrique par le FMI et plusieurs pays comme la France, la Chine et les États-Unis qui se sont engagés à réallouer une partie des leurs aux pays en voie de développement. 

Sur les plans politique et sécuritaire, Macky Sall a exigé l’allocation de deux sièges permanents pour l’Afrique au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU - une demande récurrente du continent, qui souffre d’un réel manque de représentation, tout en étant paradoxalement au cœur des débats du Conseil. En déclarant lors du Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité début décembre que c’était aux Africains eux-mêmes d’assurer la sécurité du continent, il a également ressuscité l’idée, annoncée en 2013 mais jamais mise en œuvre, de la création d’une force d’intervention à l’échelle continentale. 

Le Président sénégalais fait également preuve d’un certain leadership panafricain, qu’il porte régulièrement sur la scène internationale.

Ses atouts tiennent également au dynamisme du Sénégal sur deux projets clés pour répondre aux défis du moment, mis en avant par l’UA : la production de vaccins contre le Covid-19 sur le continent et la construction de la Grande Muraille verte. S’agissant du premier, le centre de production de vaccins de l'Institut Pasteur de Dakar doit démarrer dès 2022, avec pour objectif d’irriguer rapidement le continent de 300 millions de doses. Concernant le second, le Président Sall mise beaucoup sur ce projet de construction d’une Grande Muraille verte, lancé en 2007 à l’initiative de l’UA, qui vise à planter près de 8 000 km d'arbres du Sénégal à Djibouti, permettant au continent de lutter contre le changement climatique en empêchant les sables du désert de progresser vers les régions agricoles. Macky Sall fait régulièrement référence à ce projet dans ses interventions publiques. 

Enfin, contrairement à son prédécesseur à la tête de l’organisation continentale, le Président Sall peut compter sur une diplomatie sénégalaise solide. Il a d’ailleurs mis en place une task force de très haut niveau, dont les membres sont loin d’être étrangers aux organisations multilatérales. Y figurent notamment Oumar Demba Ba, ancien représentant permanent du Sénégal à l'ONU, le général Babacar Gaye, habitué des missions onusiennes de maintien de la paix, et Cheikh Tidiane Gadio, qui a servi auprès de l'Organisation internationale de la francophonie et de l'Organisation de la Coopération islamique. À cela s’ajoute l’engagement personnel de Macky Sall, qui, après l’avoir supprimée en 2019, souhaite désormais ressusciter la fonction de Premier ministre au Sénégal, pour lui permettre de se concentrer sur la présidence de l’UA, qui exige notamment, si l’on veut bien faire, de nombreux déplacements. 

Une opportunité pour la relance des relations afro-européennes ? 

Autre atout, non des moindres, du Président sénégalais : sa relation privilégiée avec le Président français. C’est particulièrement important dans la perspective du Sommet UE-UA, qui se tiendra les 17 et 18 février, alors qu’Emmanuel Macron tient lui-même cette année la présidence du Conseil de l’UE. Ce sommet, très attendu après plusieurs reports dûs à la pandémie, devrait constituer un temps fort de 2022, et est destiné à lancer une nouvelle dynamique dans la relation entre les deux continents voisins. Devraient figurer à l’ordre du jour de ce sommet les différents enjeux mentionnés plus hauts, et qui seront au cœur de la présidence Sall de l’Union africaine. 

 

Billet co-écrit avec Anissa Nabi.

Copyright : Michele Spatari / AFP

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