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21/03/2017

Port du voile en entreprise : que signifie la décision de la Cour de Justice de l’Union européenne ?

Port du voile en entreprise : que signifie la décision de la Cour de Justice de l’Union européenne ?
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La Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) a statué sur deux licenciements liés au port du voile islamique, l'un dans une entreprise française, l'autre dans une entreprise belge, aux termes de deux décisions rendues le 14 mars 2017. Elle a ainsi livré un mode d'emploi à l'usage de l'entreprise sur cette question très polémique, devenue une véritable question de société. Éric Manca, avocat associé chez August Debouzy, spécialiste de ces questions, décrypte pour nous les enseignements de cette décision de justice potentiellement structurante pour la suite du débat.

Rappel des faits


La CJUE a répondu à deux questions préjudicielles qui lui avaient été adressées par la Belgique et la France relativement à l’interdiction du port du voile islamique en entreprise.

La Cour de cassation belge traitait du cas d’une femme musulmane qui avait fait part à son employeur de sa volonté de porter le foulard islamique. Cette requête était survenue trois ans après son embauche comme réceptionniste chez un fournisseur de services de surveillance et de sécurité. Or, l’entreprise avait adopté, d’abord à l’oral puis à l’écrit, une politique de neutralité en matière de signes politiques, philosophiques ou religieux. La décision de la CJUE devait donc déterminer si l’interdiction de porter un foulard islamique par une règle interne générale adoptée par une entreprise privée constitue une discrimination directe.

La Cour de cassation française a sollicité la CJUE sur une affaire faisant suite au licenciement d’une femme musulmane qui portait déjà le foulard au moment de son embauche dans une entreprise de prestation de services. Elle n’avait pas souhaité le retirer sur la demande de son employeur. Ce dernier avait ainsi tenu compte du souhait de son client pour lequel la salariée effectuait une prestation. Il s’agissait également dans ce cas de déterminer si cette directive formulée par l’employeur constituait ou non une discrimination.

À la lecture, l’été dernier, des conclusions de l’avocat général (anglais) dans le volet français, il ne devrait y avoir, hors le cas des exceptions liées à l’hygiène ou à la sécurité, aucune entrave à la liberté religieuse en entreprise, sauf en présence d’exigences professionnelles essentielles et déterminantes. C’est-à-dire, en l’état du droit applicable, sauf cas d’entreprises dites de tendance et d’exigence limitées, très rigoureusement appréciées tenant à l’hygiène et à la sécurité. L’intérêt commercial de l’entreprise et plus généralement la liberté d’entreprendre, même en cas de situation préjudiciable clairement établie, étaient inopérants pour l’avocat général.

Son homologue allemand défendait quant à lui une vision diamétralement opposée dans le volet belge. C’est ce dernier qui a finalement remporté les suffrages de la CJUE. L’entreprise peut donc interdire et sanctionner, le cas échéant, le port du voile en son sein sous certaines conditions.

En substance, on retiendra que la CJUE ne considère pas comme discriminatoire, que ce soit directement ou indirectement,  le licenciement d’une salariée portant le voile, dès lors qu’il satisfait à trois conditions posées comme cumulatives (décision belge).

1/  Première condition : l’existence d’une interdiction du port visible de tous signes politiques, philosophiques ou religieux en entreprise, prévue par une règle interne (règlement intérieur notamment)


Cette règle interne traite tous les salariés à l’identique au niveau des libertés fondamentales indissociables que sont la liberté de convictions politiques, philosophiques, religieuses par l’interdiction du port de tout signe visible s’y rapportant. Elle institue ainsi une apparence de neutralité. Dans ces conditions, il ne pourra en principe être fait grief à l’entreprise de quelque discrimination directe que ce soit.

Pour autant, l‘absence de discrimination directe n’empêche pas l’existence d’une discrimination indirecte, lorsqu’un "critère ou une pratique apparemment neutre [la règle interne], est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une religion ou de convictions données, par rapport à d’autres personnes", comme le rappelle la CJUE.
 
Dans l’hypothèse où aucune règle interne n’aura été posée au sein de l’entreprise (affaire française), il conviendra alors de se borner à vérifier s’il existe "une exigence professionnelle essentielle et déterminante", répondant à un objectif légitime et proportionné pour valider cette interdiction. Ainsi, dans pareille hypothèse et comme l’illustre l’affaire française soumise à la CJUE, l’argument tiré du fait qu’un client ait souhaité ne plus avoir à faire à une salariée portant le voile devrait être dit inopérant.

Par contre, lorsqu’il existe une règle interne de neutralité au sein de l’entreprise, l’argument tiré du rapport client devient cette fois-ci parfaitement recevable. Celui-ci se trouve alors élevé au rang de justification légitime.

2/ Deuxième condition : l’existence d’une justification ou d’un objectif légitime


À ce titre « l’affichage d’une image de neutralité à l’égard des clients » constitue une justification suffisante à l’interdiction du port visible de tout signe religieux aux salariés d’une entreprise privée. Ainsi, la liberté d’entreprendre se trouve sanctuarisée. Elle est retenue en tant que telle par la CJUE comme justification suffisante lorsqu’elle se rapporte à la relation avec le client, qui demeure la raison d’être de toute entreprise. Elle ne peut dès lors être mise à mal par le fait religieux.
À défaut, celui ou celle qui s’y frotte devra, selon l’expression consacrée, en supporter les conséquences, depuis la rupture du contrat de travail jusqu’à la faute grave. Cette configuration ne peut toutefois se produire que si une troisième et dernière condition a bien été préalablement respectée.
 

3/ Troisième condition : recherche de reclassement préalable à une mesure de licenciement


Cette condition que la CJUE pose par ses récentes décisions est inédite. L’employeur devra préalablement à toute mesure de licenciement s'attacher à tenter de reclasser sa salariée à un poste lui évitant tout contact avec la clientèle, sans qu’elle ait à supporter de charges supplémentaires de travail. On en comprend donc que ce n'est qu'en l'absence de solution de reclassement ou en cas de refus par la salariée de la solution proposée que l'employeur pourra envisager son licenciement.

La liberté d’entreprendre est donc bien à l’épreuve du fait religieux. Les entreprises qui le souhaitent pourront toutefois s’appuyer sur la loi Travail qui permet, depuis le mois d’août 2016, d’intégrer dans le règlement intérieur le principe de neutralité philosophique, politique et religieux. Cette disposition suppose l’accord préalable des institutions représentatives du personnel et le contrôle de l’inspection du travail.

En revanche, cette règle devra être appliquée à une situation ou à un champ professionnel déterminé, c’est-à-dire appliqué de façon pertinente et cohérente, une interdiction générale et absolue étant par nature illicite. En cela, le champ de la relation avec la clientèle constitue le modèle idoine.

Dès lors, le salarié qui dérogera à la règle s’exposera à un licenciement, à défaut d’autres postes susceptibles de lui être proposés en interne.

 
Propos recueillis par Marc-Antoine Authier


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