AccueilExpressions par MontaignePopulisme : la leçon hollandaiseL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.20/03/2017Populisme : la leçon hollandaise Union EuropéenneImprimerPARTAGERAuteur Dominique Moïsi Conseiller Spécial - Géopolitique Moyen-Orient, Europe, Amérique, Asie,... Dominique Moïsi, conseiller spécial de l'Institut Montaigne, analyse chaque semaine l'actualité internationale pourles Echos.A l'issue des législatives perdues par l'extrême droite, les Pays-Bas viennent de démontrer que le populisme n'est pas une fatalité. Et que la prospérité est un rempart solide contre l'extrémisme. Une leçon à méditer en France."Jamais deux sans trois", dit la sagesse populaire. En d'autres termes, après la victoire du Brexit en Grande-Bretagne et l'élection de Donald Trump aux États-Unis, préparez-vous au succès de Marine Le Pen en France ! Le vieux proverbe, aux origines mystérieuses, est constamment utilisé par les Cassandre de la politique pour annoncer le pire.Mais, depuis le résultat des élections législatives aux Pays-Bas, l'adage peut aussi exprimer la résilience des démocraties, et pas seulement l'inéluctable triomphe des populismes. Après l'Autriche, où le représentant de l'extrême droite a été battu à l'élection présidentielle par le candidat écologiste, après les Pays-Bas, où le Premier ministre, Mark Rutte, a fait barrage au populisme de Geert Wilders, verrons-nous demain, en France, un nouvel échec du Front national aux marches du pouvoir ?Attaquée de l'intérieur par les populistes et de l'extérieur par les diatribes insensées du régime turc, la Hollande est sortie de l'épreuve la tête haute et le message clair : "Le populisme n'est pas une fatalité, on peut rester digne, fidèle à ses valeurs et gagner les élections." On peut même se demander si le nationalisme blessé des Hollandais face aux provocations de la Turquie n'a pas servi, en quelque sorte, de digue face aux vagues du populisme. Il ne faut pas jouer avec l'honneur des peuples. La Turquie d'Erdogan peut prendre la Russie de Poutine comme modèle, elle a encore beaucoup à apprendre si son ambition est d'influer sur les résultats électoraux dans un autre pays. Mais tel n'était sans doute pas le calcul d'Erdogan. Plus prosaïquement, avant un référendum qui vise à lui donner tous les pouvoirs et qui divise profondément l'électorat turc, il entendait mettre toutes les chances de son côté, même si cela impliquait le recours à des arguments indignes. Le contingent néerlandais chargé de défendre les habitants de Srebrenica en 1995 a sa part de responsabilité dans le massacre. Mais si plus de 8.000 hommes et adolescents de sexe masculin ont été tués parce que musulmans, ce n'est pas leur religion qui explique leur non-protection. C'est l'incompétence et le dysfonctionnement des Nations unies.Cette simplification abusive, cette présentation délibérément "toxique" de la part d'un régime toujours plus autoritaire - qui devrait faire preuve de plus de prudence dans son usage de l'Histoire, compte tenu de son propre rapport au génocide des Arméniens en 1915 -, est précisément une des raisons pour lesquelles le monde démocratique doit résister à la double tentation du despotisme et du populisme. Les régimes autoritaires ou populistes ont besoin de se créer en permanence des ennemis pour exister.En trouvant le ton juste et ferme face aux provocations de la Turquie, le gouvernement de Mark Rutte a montré la voie à suivre.Mais si les Pays-Bas ont su dire non au populisme, ce n'est pas seulement grâce à Erdogan ou à l'habileté politique de Mark Rutte. C'est aussi et surtout parce que le pays va beaucoup mieux, économiquement et socialement. De fait, il est sur ce double plan beaucoup plus proche de l'Allemagne que de la France, en termes de chômage des jeunes, quasi inexistant, ou de santé financière du pays. Le malaise identitaire face à l'islam, la peur et le rejet de l'autre sont bien toujours présents, et les Pays-Bas sont loin d'avoir retrouvé la confiance qui les animait jusqu'au début des années 1990. Mark Rutte a en partie "droitisé" son discours pour l'emporter. Mais, au final, la jeunesse, le dynamisme et les résultats obtenus par la coalition au pouvoir ont "payé".Il serait dangereux d'extrapoler le nouveau « modèle batave » de résistance au populisme. La France n'est pas la Hollande, ni sur le plan économique ni sur le plan politique. Et le Front national, quel que puisse être le charisme de sa présidente, n'est pas le parti d'une seule personne, mais de plus en plus celui d'une équipe soudée par l'ambition d'arriver enfin au pouvoir. Aussi faut-il se garder de trop d'optimisme. Le populisme a perdu une bataille symboliquement importante, il n'a pas perdu la guerre. Peut-être l'expression d'« Europe à plusieurs vitesses » devrait-elle s'appliquer au rapport des pays à la démocratie et à leur strict respect ou non de ses principes ? Le résultat des élections aux Pays-Bas ne modifiera pas le comportement des gouvernements en place en Hongrie ou en Pologne.Dans l'histoire des influences réciproques entre la France et les Pays-Bas, 2017 ne sera pas non plus nécessairement un 2005 à rebours. En 2005, en effet, le rejet par les Français du traité constitutionnel européen avait précédé de quelques jours le vote également négatif des Néerlandais.Pourtant l'espoir vient de changer de camp. Au XVIIe siècle les écrivains français épris de liberté, comme Descartes, trouvaient refuge à Amsterdam. En ce début de XXIe siècle, ce n'est plus le Front national qui peut s'appuyer sur l'exemple hollandais pour convaincre les électeurs que son heure est arrivée, ce sont les "candidats de la raison" qui le feront. Le PVV de Geert Wilders n'a pas seulement été relégué à la deuxième place, loin du parti libéral du Premier ministre sortant, il doit partager ce rang avec deux autres partis.A Amsterdam - ville particulièrement ouverte et libérale - il règne en ce lendemain d'élections comme un parfum de légèreté et de soulagement, qui ne tient pas seulement à l'arrivée précoce du printemps. Au Rijksmuseum, les deux personnages principaux de "La Ronde de nuit", de Rembrandt, semblent avancer vers moi avec plus d'assurance, comme si la Hollande avait retrouvé un peu de la confiance qui était la sienne, au temps de son âge d'or. Nos amis bataves se plaignent parfois d'être confondus avec les pays scandinaves. Pourtant, depuis cette semaine, ils appartiennent un peu plus aux "lumières du Nord".Les chroniques de Dominique MoïsiLa peur du populisme peut-elle sauver l'Europe ?Le conflit israélo-palestinien peut-il se résoudre sans arbitre ?L'Otan doit se réinventer face aux menaces du XXIe siècleImprimerPARTAGER