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09/10/2017

Où va la France ?

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Où va la France ?
 Marc Lazar
Auteur
Expert Associé - Démocratie et Populisme, Italie

Il est parfois salutaire de prendre un peu de distance par rapport aux contingences de l’actualité la plus immédiate pour mieux y revenir. La lecture de l’enquête internationale réalisée dans 26 pays auprès de plus de 22 000 personnes sous la direction de Dominique Reynié pour la Fondation pour l’Innovation politique autour du thème "Où va la démocratie ?" s’avère riche et instructive. En particulier, elle offre un ensemble de données sur la France dans une perspective comparée qui permet, par exemple, de mieux comprendre l’état du pays, sa perception de l’Europe et son rapport à la démocratie. Autant de paramètres qui conditionnent le Président de la République et son gouvernement et contribuent à expliquer le positionnement des Français vis-à-vis de leur action. 

Ce sondage, effectué en février et mars dernier, avant donc la victoire d’Emmanuel Macron qui a voulu et veut encore insuffler de l’optimisme, confirme le pessimisme foncier des Français et dévoile leurs angoisses. 56 % d’entre eux estiment que la mondialisation est une menace (contre 41 % au niveau de l’Union Européenne), ce qui est le pourcentage le plus élevé après la Lettonie, la Grèce et la République tchèque. 47 % considèrent que leur niveau de vie s’est dégradé durant ces dernières décennies contre 35% pour l’UE, seuls les Grecs (à 76%) et les Bulgares (48 %) sont encore plus négatifs que nous. 77 % des Français (62 % pour l’UE) disent que leur style de vie ou la manière dont ils vivent est menacé ; seuls les Grecs, pour des raisons compréhensibles, ressentent encore plus fortement cette menace. 77 % des Français pensent que demain la France sera moins bien qu’aujourd’hui, contre 59 % pour l’UE et 74 % des Grecs. Les Français "broient du noir" et cela ne se dissipera pas du jour au lendemain, car ce sentiment relève d’un phénomène structurel qui s’ancre dans une histoire de plus longue durée. 

Parallèlement, 57 % de nos compatriotes voient dans l’Islam une menace, un pourcentage équivalent à celui de la moyenne de l’UE. Ils sont 62 % à dresser un bilan négatif de l’immigration, là aussi en phase avec l’avis des Européens dans leur ensemble. 57 % des Français disent qu’il est de notre devoir d’accueillir les réfugiés, contre 64 % pour l’UE et 65 % des Italiens, pourtant en première ligne. Majoritairement, les Français associent ces migrants à un risque accru pour l’emploi, la délinquance, le terrorisme et la cohabitation entre populations d’origines différentes. Sur presque tous les sujets de société, par exemple la crise économique, le chômage, la perte du pouvoir d’achat, les inégalités sociales, la délinquance ou le terrorisme, les Français se montrent bien plus inquiets que la moyenne européenne. Les peurs sont donc solidement enracinées face aux changements en cours. Un facteur déterminant à intégrer autant dans le contenu des réformes à mener que dans la communication qui doit les accompagner. 

L’euroscepticisme reste largement partagé, mais désormais moins que dans d’autres pays, l’Italie par exemple qui a perdu son légendaire enthousiasme européen. 67 % des Français (60 % dans l’UE) considèrent que désormais l’échelon national est le plus efficace pour résoudre les problèmes des années à venir. En revanche, à 62 % (58 % pour l’UE), ils souhaitent conserver l’euro et à 64 % (57 % au niveau de l’UE) veulent une armée commune. A cet égard, la politique du Président Macron visant à relancer l’Union européenne tout en insistant sur la protection qu’elle doit fournir à ses peuples et en soulignant le rôle que la France continue de jouer dans le monde semble pertinente. 

Enfin, ce sondage mesure l’ampleur de la crise de la représentation politique. 89 % des Français partagent l’idée que les responsables politiques défendent surtout leurs intérêts et ne se préoccupent pas des gens (87 % au niveau de l’UE), 79 % les voient comme corrompus (77% dans l’UE). Selon 47 % d’entre eux la démocratie fonctionne mal (44 % pour l’UE) et 11 % seulement ont confiance dans les partis (18 % pour l’UE). Autant d’éléments soulignés par Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle et sur lesquels il est donc fortement attendu. Ce qui suppose qu’il identifie correctement les attentes des Français. Lesquels plébiscitent à 88 % un système politique avec un Parlement élu qui contrôle le gouvernement. 69 % pensent que ce sont les citoyens qui décident ce qui leur semble le meilleur pour le pays tandis que 35 % se prononcent pour un homme fort, peu soucieux du Parlement et des élections.

L’incarnation présidentielle ou encore le charisme institutionnel s’avère sans doute nécessaire mais à condition de répondre à la forte aspiration au contrôle et à la participation démocratique que le candidat Macron avait soulignée à plusieurs reprises et que le Président Macron ne devrait pas oublier. Par exemple, en structurant de manière innovante la République en Marche. 

Voilà donc de la matière à réflexion. Pour analyser, comprendre et agir. Les Français, plus que la plupart des Européens, ont peur, doutent mais expriment également de fortes attentes de protection, de retour de la confiance ou encore une volonté réelle d’être considérés comme de vrais citoyens. Du pain béni pour tous ceux qui, du Front National à la France insoumise, prospèrent sur ces angoisses, les attisent pour en faire des ressources politiques et prônent une démocratie directe et immédiate tout en jouant à fond sur l’autorité de leurs leaders. D’où la nécessité pour le gouvernement qui mène une série de réformes d’en montrer la cohérence, d’en faire le récit, de valoriser les mesures prises et surtout de les expliquer. Pas simplement par les médias et les réseaux sociaux. Mais sur le terrain. Dans la proximité. Particulièrement, auprès des plus démunis et précarisés comme des moins instruits. Vaincre suppose de convaincre.  

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