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19/05/2015

Oser l’apprentissage !

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Oser l’apprentissage !
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Après les assises de l'apprentissage, autour du Président de la République, en septembre dernier, Manuel Valls, mardi dernier a voulu mobiliser fortement les régions et les partenaires sociaux pour la rentrée de septembre. L'objectif : 500 000 apprentis en 2017, soit 100 000 de plus qu'aujourd'hui.


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Brigitte Jeanperrin :
Après les Assises de l’Apprentissage, Manuel Valls a voulu mobiliser fortement les régions et les partenaires sociaux pour la rentrée de septembre. L’objectif est de 500 000 apprentis en 2017, soit 100 000 de plus qu’aujourd’hui. Au cours de l’année écoulée, le gouvernement a renforcé les aides. Dernière en date, à partir du 1er juillet prochain, les TPE pourront embaucher gratuitement un apprenti mineur, l’Etat prenant en charge la première partie du contrat. L’Allemagne compte trois fois plus d’apprentis que la France, pour un nombre de jeunes de 16 à 25 ans quasi identique à celui de notre pays. Le taux de chômage des jeunes en Allemagne est de 7%, contre 24% chez nous. Plus qu’un problème de financement, c’est l’organisation décentralisée, l’implication des entreprises et des partenaires sociaux ainsi que des filières, dès le collège, qui font la différence. L’Allemagne, un exemple à suivre ? La réponse de Bertrand Martinot. 

Bertrand Martinot : L’une des différences avec l’Allemagne, c’est que l’Allemagne a une organisation beaucoup plus efficace sur l’apprentissage, avec des responsabilités mieux définies. C’est-à-dire que vous avez un Etat central qui ne fait qu’une chose mais qui le fait bien, qui anime, qui pilote au niveau national, qui harmonise les pratiques, qui maintient les diplômes, qui construit les diplômes avec les partenaires sociaux…

Brigitte Jeanperrin : Qui centralise les données, qui fait des statistiques, ce que l’on n’a pas en France !

Bertrand Martinot : Très insuffisamment. Vous n’avez qu’un seul ministère en charge, qui est celui de la formation, alors qu’en France il y a plusieurs ministères en charge, l’Education nationale et le Travail. Quand vous n’avez pas un responsable, le plus souvent vous n’avez pas de responsable. Au niveau régional, les Länder financent tout l’enseignement professionnel initial, en lien avec les partenaires sociaux régionaux, mais il n’y a pas l’Education nationale. 

Brigitte Jeanperrin : Ce sont les Länder qui financent, les entreprises n’ont aucune aide. 

Bertrand Martinot : Les entreprises sont beaucoup plus impliquées, via leurs représentants de branche, dans la définition des enseignements qui aboutissent au titre d’apprenti ou de diplôme d’apprenti. Ils sont impliqués également dans le pilotage régional, et c’est vrai qu’en contrepartie, les entreprises sont beaucoup moins aidées, il n’y a pas d’exonération de charges, il n’y a pas de prime d’apprentissage, il n’y a pas de crédit d’impôt, il n’y a rien du tout. En revanche, il y a quelques aides extrêmement ciblées pour les apprentis qui ont des difficultés sociales. Effectivement, les dépenses publiques sont beaucoup moins sollicitées en Allemagne. 

Brigitte Jeanperrin : Avec quelque chose de plus, c’est que le Pôle Emploi allemand centralise par internet, informe des stages possibles.

Bertrand Martinot : C’est une autre différence avec la France : le service de l’emploi allemand est beaucoup plus impliqué dans l’apprentissage. C’est-à-dire qu’il collecte les offres et les demandes, tient les statistiques, ce qui fait d’ailleurs que pour chaque Land et pour chaque métier, on sait exactement combien il y a de demandes de la part des candidats, combien il y a d’offres de la part des entreprises, combien il y a d’offres non-satisfaites, combien il y a de demandes non-satisfaites, et donc on peut piloter le système.

Brigitte Jeanperrin : Avec un coaching si le jeune ne va pas au bout de son apprentissage.

Bertrand Martinot : On le suit, on l’aide, il n’est pas considéré comme chômeur pour autant, il est aidé par le service public de l’emploi qui joue un rôle très actif en Allemagne, alors qu’en France le service public de emploi n’est pas très impliqué dans l’apprentissage et dans l’alternance en général. L’interlocuteur principal en France pour les jeunes, c’est l’Education nationale, et l’Education nationale à tous points de vue, et surtout en matière d’orientation, est très peu impliquée dans l’apprentissage. Parce qu’en fait, au niveau régional, en France il y a l’Education nationale, qui veut garder ses budgets, ses lycées professionnels, il y a aussi le Ministère du Travail, il y a aussi les préfets et le Conseil Régional qui est censé tout orchestrer, mais vous avez également le rectorat qui conserve des prérogatives importantes dans tout ce qui concerne l’inspection, l’agrément des centres d’apprentis, vous avez le préfet de région, qui représente le Ministère du Travail, et puis vous avez l’Education nationale qui est toujours le patron des filières professionnelles. En France, et cela n’existe pas en Allemagne, l’enseignement professionnel initial est coupé en deux, financièrement et institutionnellement, entre d’un côté l’Education nationale, et de l’autre les régions. 

Brigitte Jeanperrin : La deuxième chose qui est essentielle en Allemagne et que l’on n’a pas nous, c’est que, en amont, l’orientation des publics les plus favorisés vers l’apprentissage se fait dès le collège.

Bertrand Martinot : Oui c’est ça. Vous avez le Gymnasium, qui est la voie du collège et du lycée général, ensuite vous avez la Realschule et la Hauptschule, qui sont deux collèges à enseignement allégé. Vous n’apprenez pas forcément une deuxième langue vivante, vous avez plus d’apprentissage sur les savoirs de base. On vous prépare à un avenir professionnel, sans que ce soit pour autant un enseignement professionnel. Cela reste de l’enseignement général. 

Brigitte Jeanperrin : Mais la grande différence culturelle entre l’Allemagne et la France c’est que là-bas les entreprises cherchent à avoir des jeunes qu’elles pourront embaucher. 

Bertrand Martinot : Le modèle économique de l’apprentissage en Allemagne est très différent. Les entreprises sont beaucoup plus sollicitées financièrement, et elles se rattrapent et rentabilisent l’apprentissage en embauchant les jeunes pour trois ans. Et au bout d’un an et demi ou deux ans, toutes les études montrent que les jeunes produisent et sont rentables. Dans une proportion de deux tiers, à l’issue de l’apprentissage, ils sont embauchés dans l’entreprise qui s’épargne, de fait, les coûts qui sont très élevés d’embauche, de recherche de jeunes etc. 

Brigitte Jeanperrin : En Allemagne on dépense trois fois moins par apprenti. Vous dites, si on changeait le système et si on copiait les allemands, on économiserait 1,6 Mds d’euros par an ?

Bertrand Martinot : Ce n’est même pas en copiant tous les éléments du système allemand. A type de financement inchangé, l’apprentissage en France coûte moins cher, par élève, que le même élève en lycée professionnel. Donc pour les finances publiques, à chaque fois que vous faites basculer un élève d’un lycée professionnel à l’apprentissage, vous faites une économie d’environ 3000 euros par an. 

Brigitte Jeanperrin : Concrètement, qu’est-ce qu’il faut changer en France ?

Bertrand Martinot : Je pense que le sujet réside pour une grande part dans l’Education nationale. Sans aller jusqu’à copier l’Allemagne en faisant des collèges différents, je pense qu’à l’intérieur même du collège unique, on pourrait développer, dès la 4e, des enseignements allégés.

Brigitte Jeanperrin : Et amener les jeunes jusqu’à l’apprentissage, et petit à petit faire s’éteindre les lycées professionnels ?

Bertrand Martinot : Pour ceux qui seraient orientés vers l’apprentissage, ce serait la voie unique, ce qui existe déjà. Il y a des diplômes en France qui ne passent que par l’apprentissage. Le brevet professionnel de coiffure par exemple ne se prépare que par l’apprentissage. L’apprentissage serait la voie unique, la voie normale de préparation des métiers de niveau bac et infra-bac.

Brigitte Jeanperrin : Deuxième chose, donner plus de pouvoir aux régions ?

Bertrand Martinot : Déjà regrouper entre les mains des régions tout l’enseignement professionnel initial, c’est-à-dire à la fois les lycées professionnels et les CFA, pour qu’il y ait un seul pilote et un seul financeur, ce qui implique notamment de transférer des personnels de l’Education nationale vers les régions, le tout en lien avec les partenaires sociaux régionaux, qui auraient bien sûr leur mot à dire sur la cartographie des formations, sur la répartition des formations dans l’espace régional… Il n’y aura pas de relance de l’apprentissage sans une réforme assez profonde de l’Education nationale, au niveau de l’enseignement secondaire. Pour résumer, le système allemand considère que l’apprentissage est totalement intégré à la formation initiale des jeunes, là où l’apprentissage arrive dans un deuxième temps pour rattraper des élèves qui en quelque sorte ont été broyés par le système scolaire dès le collège. L’idée, c’est de les empêcher de décrocher, c’est de les prendre avant qu’ils décrochent, c’est du bon sens.

Lire la tribune de Bertrand Martinot, parue dans Les Echos : "La prochaine grande réforme doit être celle de l'apprentissage"

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