AccueilExpressions par MontaigneNouvelle-Calédonie : le référendum ouvre la question chinoiseL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.05/10/2020Nouvelle-Calédonie : le référendum ouvre la question chinoise États-Unis et amériquesImprimerPARTAGERAuteur François Godement Expert Résident principal et Conseiller spécial - Asie et États-Unis On ne saurait trouver d’approche plus divergente de l’auto-détermination que celle de la France en Nouvelle-Calédonie avec celle de la Chine populaire. Et pourtant, il se trouve des commentateurs ou anthropologues qui évoquent dans les deux cas un même pouvoir centralisé et colonial, ou, qui comparent la situation des Ouïghours avec celle des peuples d’origine de l’archipel. Ce deux poids, deux mesures s’était trouvé à l’époque de la reprise par la France des essais nucléaires dans le Pacifique : Greenpeace, qui les contestait évidemment, restait muet sur les essais chinois et dispose aujourd’hui d’un bureau chinois qui louange l’engagement du président Xi Jinping en faveur du climat.On résumera la différence d’approche avec cette remarque : l’autodétermination pour Pékin, c’est le crime de sécession, une accusation qui est aussi bien portée contre tous ceux qui contestent la réglementation du pouvoir central, et qui est devenue un des objets de la loi nouvelle qui musèle Hong Kong et menace Taiwan. La France, elle, avec les accords de Matignon et de Nouméa en 1998, a clos l’affrontement communautaire local en promettant un transfert d’une partie des compétences étatiques, y compris sur le plan économique, et en organisant jusqu’à trois référendums successifs d’auto-détermination : pour rester française, la Nouvelle-Calédonie doit voter jusqu’à trois fois oui ; un seul non suffit pour acquérir l’indépendance. Mieux, notre république jacobine et centralisée a exclu du vote pour ces référendums les citoyens arrivés après 1988 – à peu près 13 % du corps électoral : une mesure délicate au regard de notre Constitution, mais en phase avec la priorité généralement donnée dans tout l’espace mélanésien aux fils du sol par rapport aux nouveaux arrivants. La rupture avec un sombre passé a été totale.N’incriminons donc pas les accords de 1988 et 1998, qui ont été suivis d’un transfert économique sans précédent : le nickel est largement passé sous le contrôle de la Province du Nord, et son essor minier est devenu une ressource de premier plan, encore magnifiée par l’industrie des batteries. À la différence de la plupart des États îliens du Pacifique-Sud, la Nouvelle-Calédonie ne délivre plus de lucrative licence de pêche hauturière à des chalutiers étrangers, et l’éloignement de la métropole a favorisé l’essor d’une filière locale respectable.Même après un référendum qui a mobilisé 85 % des inscrits, l’incertitude domine. [...] Comme lors du vote de 2018, la part du oui à l’indépendance est plus importante que prévu.Les référendums sont observés sur place par l’ONU, par le Forum du Pacifique-Sud. Et l’antagonisme frontal a si bien reculé que les lignes de front se sont également dispersées : il y a ainsi plusieurs partis défendant le maintien dans la France et représentant peu ou prou la communauté caldoche et quelques minorités asiatiques ; il y a également plusieurs partis défendant l’option de l’indépendance et représentant largement les composantes du peuple kanak.Et pourtant, même après un référendum qui a mobilisé 85 % des inscrits, l’incertitude domine. D’abord, parce que comme lors du vote de 2018, la part du oui à l’indépendance est plus importante que prévu, et augmente même en 2020. La fracture territoriale reste immense, et la plus grande mobilisation des électeurs de la province des îles Loyauté, qui ne sont pas aussi acquis au FNLKS, ne les empêche pas de choisir massivement l’indépendance.La vie politique est un combat, souvent imprévisible. S’il est évident qu’un troisième référendum sera demandé et organisé à partir de la fin 2022, que peut-on prévoir ?D’abord, qu’en phase avec le reste du Pacifique Sud et de l’évolution globale au détriment des États-nation (sauf en Chine…), le réflexe identitaire accentuera la marche vers le vote indépendantiste : d’autant que la conjoncture minière liée à la crise du Covid va diminuer l’essor économique, et que les inégalités communautaires, notamment en matière d’accès à l’éducation, tardent à se réduire. En cette période de déficit public massif, il faudra beaucoup de volonté à l'État français pour tenir le cap des subventions.Ensuite, que la Chine jouera un jeu plus direct dans cette évolution. Son implication régionale n’est pas nouvelle, et a toujours tenu à la rivalité avec Taiwan et la pêche aux voix à l’ONU. Mais aujourd’hui, les percées stratégiques de la marine chinoise et la projection économique des entreprises chinoises transforment cet espace régional. Vanuatu, les îles Salomon, sont sous influence et parfois déchirées par les groupes de pression prochinois et ceux qui leur résistent. Or, la Nouvelle-Calédonie est le territoire le plus riche de la région en ressources naturelles dont a besoin la Chine : nickel et pêche.La Nouvelle-Calédonie est le territoire le plus riche de la région en ressources naturelles dont a besoin la Chine : nickel et pêche.Décidés dans un contexte historique entièrement différent, les trois référendums successifs d’auto-détermination, un cas unique au monde, peuvent se révéler une mécanique infernale. N’ayons pas de doute, ils auront lieu. L’enjeu des deux prochaines années, c’est de poursuivre aussi vite que possible le transfert effectif des compétences étatiques, mais aussi contribue à alerter militants et représentants du peuple Kanak de ce que signifierait une dépendance à la Chine – encore vue localement comme une opportunité économique : corruption des élites autour des enjeux miniers et de pêche, notamment avec une Zone économique exclusive indéfendable en pratique ; entrée du nouvel État dans une rivalité stratégique qui s’accentue à travers toute la région. Quant à la communauté caldoche, elle doit bien se rendre compte qu’au-delà de quelques gains d’affaires à court terme, elle sortira perdante d’une telle évolution : l’amélioration du rapport entre communautés est la seule voie d’avenir pour elle.Ce sera un miracle si la balance effective des avantages et des inconvénients de l’appartenance française équilibre le mirage chinois. Travaillons à améliorer cette balance. Copyright : Ludovic MARIN / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 11/09/2020 Comment l’Europe réplique à la Chine Institut Montaigne 28/09/2020 Chine, Turquie, Russie : trois prédateurs pour nos démocraties Dominique Moïsi