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30/11/2017

Mohammed Ben Salmane, l’homme (presque) seul de Riyad

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Mohammed Ben Salmane, l’homme (presque) seul de Riyad
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Mohammed Ben Salmane - MBS - l’homme fort de l’Arabie saoudite, s’est employé au cours de sa courte carrière à ouvrir avec fougue un très grand nombre de fronts.

"La voie paraît désormais presque complètement dégagée pour que MBS puisse succéder à son père le jour venu"

Qu’on en juge par quelques exemples : en politique extérieure, l’intervention au Yémen, le boycott du Qatar, la démission télécommandée du Premier ministre libanais, les propos incendiaires sur l’Iran ; en politique intérieure, la concentration entre ses mains de tous les pouvoirs, les décisions prenant à rebrousse-poil les oulémas puis l’envoi en prison de nombreux religieux, jusqu’à cette nuit des longs couteaux du 4 novembre qui a vu l’arrestation d’une cinquantaine de personnalités du monde des affaires et de la famille royale. 

Pourquoi multiplier ainsi tous les risques, alors qu’en Arabie saoudite la qualité de prince héritier ne garantit pas l’automaticité de l'accès au trône et que MBS devra, d’une manière ou d’une autre, bénéficier pour devenir roi des suffrages des autres membres de la famille royale ? Et qu'en même temps, la voie paraît désormais presque complètement dégagée pour que MBS puisse succéder à son père le jour venu ? Le premier prince héritier, Muqrin, a été désintéressé dès avril 2015 (le roi Salmane a accédé au trône en janvier 2015), puis le second prince héritier, Mohammed Ben Nayef, qui avait beaucoup de cartes dans son jeu au départ, a été marginalisé et finalement démis le 21 juin dernier. Les frères utérins du prince Mohammed, dont certains sont nettement plus brillants que lui, ont été discrètement écartés de la succession. L’un des derniers obstacles éventuels, le chef de la Garde Nationale, Miteb Ben Abdallah, a lui aussi été démis de ses fonctions le 4 novembre.

Dans ces conditions,si MBS se montre aussi pressé - et à beaucoup d’égards aussi brutal - on peut y voir, sans doute, un trait de caractère, vraisemblablement aussi une conscience aiguë que le changement ne peut plus attendre au Royaume des Saoud et qu’il doit être radical. Peut-être enfin le prince héritier a-t-il le sentiment qu’il lui faut neutraliser les oppositions avant que celles-ci n’aient eu le temps de se manifester ou de s’organiser. On ajoutera un élément à ces différentes hypothèses : MBS est un homme seul, ou presque.

Mohammed Ben Salmane a été dans son enfance ou son adolescence un prince parmi d’autres, peu remarquable, mal placé dans l’ordre de succession au trône, ne partant pas faire des études supérieures à l’étranger à la différence de beaucoup d’autres. Un homme s’est intéressé à lui, le prince héritier des Émirats arabes unis, Mohammed Ben Zayed (MBZ), auquel certains attribuent un rôle de mentor auprès de MBS, même s’il se garde de l’afficher. Pour autant, en politique extérieure, l’alliance EAU-Arabie saoudite a ses limites : sur l’affaire du Qatar, MBS paraît moins déterminé que son collègue d’Abou Dabi, et sur le Yémen, les objectifs des deux alliés ne coïncident pas exactement. Le grand atout de MBS, et peut être la cause principale de sa très grande assurance, réside dans le soutien sans faille de Donald Trump. Mais jusqu’à quel point l’appui de la Maison Blanche entraîne-t-il celui de l’administration américaine, du Pentagone et du Secrétariat d’État en particulier ? Dans la quarantaine et plus de pays sunnites réunis au sein de la coalition antiterroriste, lancée ou relancée à grand fracas le 26 novembre, combien constituent-ils des alliés vraiment solides pour Riyad ? Pour ne prendre qu’un exemple, les affinités entre Sissi et MBS ne paraissent pas évidentes.

"Il cherche, et réussit sans doute [...] à incarner l’impatience de la jeunesse saoudienne à entrer dans la modernité"

En politique intérieure, le prince héritier s’inspire certes du modèle émirati, alliant l’autoritarisme et le rejet de l’islam politique au mercantilisme et à la construction d’une nation, mais on ne lui connaît pas vraiment de conseillers proches, au moins parmi ses compatriotes. Il paraît s’entourer d’étrangers plutôt que de Saoudiens. Il cherche, et réussit sans doute, dans une veine qu’ailleurs on qualifierait de populiste, à incarner l’impatience de la jeunesse saoudienne à entrer dans la modernité. Beaucoup d’éléments dans la "vision 2030" développée par MBS correspondent à ce que souhaite une fraction (importante) de la nouvelle classe moyenne saoudienne, éduquée, souvent formée à l’étranger, avide aussi de distractions. Cela peut faire sourire à l’étranger, mais pour ce segment de la population les jeux vidéo, le divertissement en général, représentent quelque chose d’important. MBS l’a compris. Nul ne peut cependant quantifier la force exacte de sa "base". Que représente-t-elle face aux rancœurs accumulées contre lui dans l’establishment religieux, les milieux d’affaires et la multitude de princes montrés du doigt comme corrompus ?

Toutefois, et indépendamment de ses appuis extérieurs, MBS n’est pas tout à fait un homme seul. À peu près chaque semaine, la rumeur court que le roi Salmane va abdiquer en faveur du prince héritier. En fait, pour l’instant, c’est Salmane qui a été le principal atout de Mohammed. C’est lui bien sûr qui l’a distingué, fils aîné de son épouse préférée ; des coups comme celui du 4 novembre seraient difficilement concevables s’ils n’étaient pas étroitement concertés avec le roi. Salmane représente dans la famille des Saoud l’homme sage, qui de surcroît connaît les secrets de tous. La confiance qu’il place dans MBS explique largement l’effet de sidération produit sur les élites saoudiennes par la "révolution d’en haut" déclenchée par le Kronprinz. 

"Rien ne laisse penser que MBS veuille s’en prendre au wahhabisme en tant que tel"

L’influence du roi pourrait revêtir une importance particulière dans le domaine "idéologique". Salmane a longtemps été le protecteur attitré des oulémas. A la différence de son fils, il est versé dans les choses de la religion, il possède la mémoire historique et culturelle du royaume, c’est lui par exemple qui a créé un musée sur le Coran à Médine (idée hautement suspecte pour les "wahhabites" durs). Il est donc important qu’il couvre de son autorité le discours nouveau qu’a fait entendre MBS lorsqu’il a annoncé le 24 octobre dernier le ralliement de l’Arabie à un islam modéré, et surtout à un islam "ouvert à toutes les religions, à toutes les traditions".

Reste à savoir bien sûr jusqu’où ira la mise en œuvre de ce nouveau discours. Faire sauter le verrou d’un salafisme dit "wahhabite" virulent, à prétention monopolistique, à vocation prosélyte, constituerait bien entendu un facteur clef de toute modernisation du pays. Pas de confusion cependant : rien ne laisse penser que MBS veuille s’en prendre au wahhabisme en tant que tel, terminologie dans laquelle d’ailleurs les Saoudiens en général ne se reconnaissent pas ; ce qu’il semble avoir en tête, c’est de mettre en cause le contrôle de la société par la religion, ce qu’il paraît viser c’est une "sécularisation" du wahhabisme.

23 Janvier 2015 : mort du roi Abdallah, Salmane Ben Abdelaziz lui succède. Il nomme peu après son fils, désormais deuxième dans l’ordre de succession, à la tête du ministère de la Défense, du fonds d’investissement national, de la politique économique et de la gestion des ressources pétrolières. 

26 mars 2015 : début de l’intervention de la coalition, menée par l’Arabie saoudite et supervisée par Mohammed Ben Salmane, pour contrer les forces houthistes au Yémen.

25 avril 2016 : MBS dévoile le plan "Vision 2030" qui marque le début d’une nouvelle ère économique et sociale pour le royaume, dont l’un des objectifs est de rendre l’économie saoudienne indépendante du pétrole d’ici 20 ans. 

5 juin 2017 : l’Arabie Saoudite, l’Egypte, le Bahreïn et les EAU rompent leurs relations diplomatiques avec le Qatar. 

21 juin 2017 : le prince héritier Mohammed Ben Nayef est évincé par décret royal au profit de son cousin Mohammed Ben Salmane. 

26 septembre 2017 : le roi Salmane annonce la mise en place du droit de conduire pour les femmes pour juin 2018, sous l’impulsion de son fils qui souhaite ouvrir son pays aux investisseurs étrangers.

24 octobre 2017 : MBS annonce vouloir un islam "modéré, tolérant, ouvert sur le monde et toutes les autres religions" lors d’une conférence économique internationale organisée à Riyad.

4 novembre 2017 : une cinquantaine de personnalités saoudiennes sont arrêtées dans le cadre d’une grande opération "anticorruption" décidée par le prince héritier.
 
26 novembre 2017 : sous la direction de MBS, l’Arabie saoudite lance une coalition antiterroriste de pays à dominante sunnite afin d’établir une "coordination forte, excellente et spéciale". 

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