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07/11/2023

Méta-réel : le Métavers, une étape pour quelle destination ?

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Méta-réel : le Métavers, une étape pour quelle destination ?
 Germain Terreaux
Auteur
Partner chez Oliver Wyman
 Théodore Vauquier
Auteur
Senior Manager chez Oliver Wyman

Certains avaient prédit son avènement, d’aucuns prédisaient sa fin mais le méta-réel a débordé nos schémas prospectifs si bien qu’aujourd’hui, la forme de continuité qu’il a instaurée entre monde physique et mondes virtuels doit être intégrée à notre vision du monde. 

Au-delà des secteurs du divertissement, quelles sont les potentialités commerciales, sociales ou médicales, par exemple, que le méta-réel nous ouvre ? Comment le définir et le distinguer du métavers ? Quels sont les freins qui obèrent le déploiement de ses possibles ? Assistera-t-on à une révolution de nature à remodeler notre économie et à un changement de paradigme qui reconfigurera nos rapports sociaux ? C’est à toutes ces questions que répondent Germain Terreaux et Théodore Vauquier.

Qu’est-ce-que le Métavers ?

Le Métavers (contraction de "méta" - au-delà, qui dépasse, niveau supérieur - et "univers") est un réseau d’espaces virtuels actifs de façon permanente, dans lequel plusieurs personnes peuvent interagir entre elles et/ou avec des objets virtuels. Ce néologisme provient du roman de science-fiction (dystopique) de Neal Stephenson Snow Crash, publié en 1992. Le Métavers s’appuie sur un ensemble d’univers accessibles à travers différentes interfaces numériques. S’il existe un grand nombre d’univers, plus ou moins réalistes et immersifs, tous ces univers partagent 5 caractéristiques :  

  • Virtuels et digitaux : accessibles depuis des interfaces numériques (comme un casque de réalité virtuelle). 
  • Persistants : les Métavers sont en constante mutation et évolution, même lorsque l’utilisateur n’est pas connecté.
  • Interconnectés et interactifs : les utilisateurs peuvent interagir à distance en temps réel avec d’autres utilisateurs. 
  • Immersifs et souvent 3D : l’accès à ces univers se fait à travers des avatars et "coupe" l’utilisateur du monde réel pour le faire rentrer dans une réalité parallèle. 
  • Collaboratifs : les utilisateurs participent à la construction de l’univers et influencent sa dynamique par leurs actions : par exemple, ils peuvent créer, posséder des éléments du Métavers et décider au sein de modèles de gouvernance. Dans de nombreux Métavers dits décentralisés, les utilisateurs participent aux décisions et à la gouvernance de l’univers. 
     
Le Métavers récréatif n’est qu’une étape 

Le Métavers représentait déjà un marché de près de 50 milliards de dollars à fin 2022. De nombreux commentateurs se sont empressés d’y voir la prochaine révolution du numérique et de projeter des revenus colossaux allant jusqu’à 5 000 milliards de dollars d’ici 2030 (probablement exagérés par un facteur 10). De nombreuses entreprises se sont ruées pour asseoir une présence et proposer des produits monétisés dans divers Métavers.

Méta-réel : le Métavers, une étape pour quelle destination ?

Toutefois, le Métavers, dans ses développements récents, reste principalement limité à des usages récréatifs. Et l’engouement semble s’essouffler. Bien sûr, il ne faut pas sous-estimer l’importance de ces usages récréatifs et de cette nouvelle forme de communauté. Satya Nadella, directeur général de Microsoft, explique que les jeux-vidéo sont "la forme de divertissement la plus importante et celle qui connaît la croissance la plus rapide, et (…) [qu’]ils auront un rôle essentiel dans le développement des plateformes Métavers". Toutefois, on reste loin de la révolution numérique qu’on avait prophétisée. Les Métavers notables sont tous à visée de divertissement et de socialisation comme, par exemple, Horizon Worlds, développé par Meta, Fortnite par Epic Game ou encore Roblox ou Decentraland. Au-delà des États-Unis, nous pouvons citer le coréen du sud Viveverse ou le français Sandbox.   

 
Effet marketing garanti, beaucoup de technologies et solutions de réalité augmentée (RA), mixte, virtuelle (RV) ou étendue (XR) ont été (re)baptisées Métavers, avec une grande confusion dans les termes. De nombreux jumeaux numériques, une technologie ancienne qui recopie virtuellement un objet, usine ou ville, ont ainsi été qualifiés de Métavers. Mais in fine, le Métavers n’a pas encore franchi le gouffre de l’adoption technologique (concept théorisé dans Crossing the Chasm, par Geoffrey Moore, 1991). Son adoption et son impact sur nos vies sont encore marginaux. 

Le Métavers incarnerait plutôt la toute première étape d’un véritable changement de paradigme que nous appelons "méta-réel".

Faut-il donc refermer le chapitre ? Non. Le Métavers incarnerait plutôt la toute première étape d’un véritable changement de paradigme que nous appelons "méta-réel", un réel combiné à la fois étendu et augmenté. L’imbrication plus invisible, fluide, efficace et ubiquitaire des technologies numériques et virtuelles esquissées par le Métavers récréatif et les usages de réalité étendue au sein du monde physique pourrait transformer à moyen terme nos économies et nos sociétés. 

Le méta-réel va continuer à se développer grâce à la confluence d’innovations technologiques : 

  • Web "Hyper" mobile et 5G+ : bande passante de plus en plus large et temps de latence de plus en plus réduits (vers un objectif de 30 millisecondes de latence contre 150 millisecondes pour un appel audio). 
  • Blockchain : technologie de stockage et de transmission d’informations transparente et sécurisée. La blockchain est le support de briques importantes du Métavers qui permettent de posséder, d’échanger de la valeur et d’organiser des systèmes. En grande partie, elle sous-tend l’avènement du Web 3.0 (read-write-own) par opposition au Web 2.0 (read-write) et au Web 1.0 (read only). Parmi ces briques technologiques : 
  1. Les cryptomonnaies. 
  2. Les objets digitaux virtuels (dont le NFTs, jetons non fongible, qui sont comme des "œuvres d’art" uniques du monde virtuel et peuvent être monétisées). 
  3. Les contrats intelligents ("Smart contracts") : des programmes stockés sur la blockchain qui s’auto-exécutent automatiquement lorsque des conditions prédéterminées par les contreparties (vendeur et acheteur par exemple) sont remplies. Publics et auditables, ils permettent une plus grande transparence des transactions financières et une meilleure efficacité des opérations. 
  4. Organisations autonomes décentralisées (DAOs) : des institutions légales autogérées par des règles de gouvernance automatisées et inscrites de façon immuable et transparente dans la blockchain à travers des smart-contracts. 
  • Les technologies de réalité étendue (XR - Extended reality) qui permettent une superposition entre monde physique, digital et virtuel, rendant l’expérience au sein du Métavers de plus en plus immersive : IoT (Internet-of-Things), capteurs multisensoriels, casques de réalité virtuelle et augmenté (démocratisation du casque Vision Pro d’Apple par exemple), technologies haptiques, nouvelle génération de processeurs graphiques, etc. Google développe depuis plusieurs années Starline, encore à l’état de prototype, qui devrait permettre à terme de rendre plus réelles les réunions en distancielle.  
  • L’intelligence artificielle qui aide à rendre le monde virtuel de plus en plus réaliste et contextualisé (par exemple, en automatisant la construction des univers ou en dotant de "personnalité" certains personnages virtuels notamment capable de converser). ChatGPT, chatbot lancé par OpenAI fin 2022, a accéléré la révolution intelligence artificielle (non sans risque).

Une avancée technologique majeure pour le méta-réel en 2023

En juin 2023, Apple a démontré gager sur le méta-réel. La firme à la pomme a dévoilé Vision Pro, un casque de réalité mixte, qui promet d’hybrider le physique et le virtuel dans un continuum fluide (le degré d’hybridation est contrôlé par l’utilisateur). Si le créneau divertissement n’est pas écarté (partenariat avec Disney), le positionnement de cet “ordinateur spatial” est plutôt concentré sur les usages professionnels. Son prix encore élevé (3 500 dollars) pourrait être justifié par les cas d’usages industriels permis. Certaines de ces technologies ne sont pas encore mûres, en témoigne l’avatar de Mark Zuckerberg dans le Métavers Horizon Worlds, moqué par son design grossier et de nombreux bugs. Plusieurs projets avancés ont par ailleurs été arrêtés faute de performance (par exemple, Google Glass en mars 2023, ambitions muselées pour l’HoloLens de Microsoft testé dans l’armée américaine, malgré un budget initialement prévu à hauteur de USD 400 millions). Les technologies autour des équipements notamment - masques ou lunettes, senseurs, calculateurs… - doivent encore franchir trois caps pour délivrer une expérience Métavers concluante : la puissance de calcul, l’autonomie des batteries et la taille des accessoires lesquels doivent pouvoir être transportés partout de façon presque invisible. L’utilisation fluide de ces équipements est aussi contrainte par les limites actuelles d’autres couches technologiques : par exemple, les temps de latence élevés peuvent causer des nausées.

Il est évident que la technologie sera mature à moyen terme, ne serait-ce que par l’ampleur des investissements engagés (EpicGames a levé 1 milliard de dollars pour développer le Métavers, Meta a déjà investi plus de 20 milliards de dollars dans son Métavers, Microsoft a acheté Activision Blizzard pour 70 milliards de dollars au service de son plan Métavers…).

Le futur qui se profile

La question ne porte donc plus sur la faisabilité, mais bien sur la forme que prendront ces futures évolutions du Métavers. Sera-t-il limité à ces univers récréatifs, qui certes sont déjà une source majeure d’opportunités et de risques, couplés à quelques usages industriels parcellaires ? Ou bien verra-t-on l’émergence d’un continuum fluide entre les mondes physique et virtuel ?

Le potentiel transformatif de ce continuum est massif, et les bénéfices en sont plus clairs. C’est ce continuum que nous appelons le méta-réel et que nous pensons être le paradigme à anticiper à horizon 10-15 ans. 

Méta-réel : le Métavers, une étape pour quelle destination ?

Dès lors, sans cynisme ni angoisse technologique, il faut imaginer un monde où la technologie de réalité étendue est imbriquée dans le quotidien de la vie et du travail. Dans le méta-réel, on ne se déconnecte pas du réel pour rejoindre un Métavers. On navigue en perpétuel continuum physique-virtuel. On remplit des besoins utiles au-delà des fonctions purement récréatives et sociales de ce qui est défini aujourd’hui comme le Métavers. 

Sans cynisme ni angoisse technologique, il faut imaginer un monde où la technologie de réalité étendue est imbriquée dans le quotidien de la vie et du travail.

Le méta-réel sera disruptif. Loin d’être dystopiques, les bénéfices du méta-réel, dont beaucoup restent à inventer, répondent à de vrais besoins et fonctions comme :

  • Rompre l’isolement forcé (longues maladies ou maladies contagieuses) en donnant l’accès à un monde virtuel où il est possible d’avoir une vie sociale réelle.  
  • Améliorer l’apprentissage et la formation : le méta-réel peut permettre d’optimiser les formations à distance en permettant à apprenants et formateurs de se retrouver dans une même salle virtuelle, et en donnant accès à des scénarios réels pour faire le lien entre formations théoriques et pratiques (par exemple la formation de médecins à des opérations compliquées sur des corps virtuels dans le Métavers tout comme les pilotes d’avion sont déjà aujourd’hui formés à l’aide de simulateurs de vols)  
  • Optimiser l’efficacité opérationnelle en permettant à des compétences rares de collaborer à distance sur des projets complexes de R&D ou de tester de nouveaux produits manufacturiers dans le méta-réel afin de réduire les coûts de tests et de conception (par exemple les jumeaux numériques, comme les Digital Twin factories de Renault). 
  • Améliorer le marketing : ouvrir de nouveaux canaux de distribution de produits qui donnent de la visibilité aux marques. En publiant des looks virtuels sur Fortnite en parallèle du lancement de sa nouvelle collection physique, la marque Balenciaga a par exemple réalisé un bond de 49 % de recherches. 
  • Améliorer l’expérience client avec une facilitation du contact avec les entreprises (J.P. Morgan ouvre un lounge virtuel appelé "Onyx Lounge") et éliminant les inconvénients du monde 100 % physique (devoir faire la queue dans un supermarché ou dans une boutique …). Autre exemple, grâce à l’hybridation physique-virtuel, l’Oréal permet à ses clients d’essayer, en ligne, le maquillage avant l’achat.
  • Accroître la qualité et l’accessibilité des formes de divertissement : par exemple, possibilité d’aller à des événements culturels dans le Métavers (Exemple : concert d’Aya Nakamura sur Fortnite en 2022). En juxtaposant du virtuel à une expérience physique (informations numériques en continu pendant la visite d’un musée par exemple), le méta-réel permet aussi d’enrichir l’expérience de divertissement physique.

 
L’enjeu est de taille et demande un travail prospectif et une réflexion stratégique par l’Europe. Au risque de se voir imposer de l’extérieur ce nouveau paradigme numérique. 

Copyright image : BEN STANSALL / AFP 

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