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16/04/2020

Malgré la pandémie, une semaine décisive pour les primaires démocrates

Malgré la pandémie, une semaine décisive pour les primaires démocrates
 Olivier-Rémy Bel
Auteur
Visiting Fellow à l'Atlantic Council

Coronavirus oblige, Bernie Sanders s'adresse à ses soutiens depuis son domicile de Burlington (Vermont), murs jaunes et tableaux en arrière plan. C'est le même domicile que nous avions déjà découvert plus tôt dans la campagne et qui contribue à son image sympathique (malgré le fait qu'il possède trois maisons). Il annonce mettre un terme à sa campagne - avec, pourtant, un ton qui est plutôt celui de la mobilisation.

Depuis l'arrivée du Covid-19 et la fermeture progressive des États-Unis, la campagne des primaires s'est peu à peu arrêtée. Les États ont reporté ou annulé les élections qui devaient avoir lieu. Les candidats ont été effacés par l'actualité. Toute l'attention est aujourd'hui tournée vers la crise sanitaire en cours, la crise économique qui se profile - et la gestion des deux par le Président Trump.

Le Démocrate le plus visible est ainsi le gouverneur de l'État de New York, Michael Cuomo, qui gagne en stature par sa gestion de crise et ses prises de parole quasi présidentielles. Comme le remarque le New York Times, la réponse à la pandémie se traduit par le retour des gouverneurs, figure politique traditionnelle américaine qui avait été éclipsée depuis une décennie par une nationalisation des enjeux et du débat.

Dans le Wisconsin, c'est aussi vers un gouverneur, le Démocrate Tony Evers, que les regards se sont tournés. Il souhaitait reporter au 9 juin la primaire prévue le 7 avril, mais les Républicains lui ont forcé la main. Alors que les assesseurs ont fait défaut et que les citoyens hésitaient à voter, la Cour suprême a invalidé l'extension des modalités de vote par courrier. C'est donc une étrange primaire qui s'est déroulée mardi dernier, 7 avril.

Pourquoi avoir maintenu ce vote ? Pourquoi une telle bataille sur le vote à distance ? Il ne s'agit pas uniquement d'une primaire démocrate car sont également en jeu de nombreux sièges locaux, dont un poste de juge à la Cour suprême de l'État.

Le Wisconsin est un État à suivre. Plutôt démocrate, il a basculé de seulement 23 000 voix en 2016 et fait partie des retournements qui ont offert la victoire à Trump. C'est aussi un État où les Démocrates accusent les Républicains d'avoir fortement pratiqué le gerrymandering, le redécoupage électoral, pour maintenir leur assise.

La pandémie avait gelé les dynamiques de campagne favorables à Joe Biden. Après le retournement de situation en Caroline du Sud, il avait bénéficié de nombreux ralliements et remporté le Super Tuesday. D'une manière générale, la campagne Sanders avait progressivement perdu de la vitesse, engrangeant des scores plus faibles qu'en 2016 dans la plupart des États, y compris après l'abandon d'Elizabeth Warren. Le Wisconsin, dont les résultats finaux ne seront connus que le 13 avril, est venu confirmer cette dynamique et fermer un peu plus la porte.

C'est ce qui amène Bernie Sanders à se présenter devant sa caméra le 8 avril pour mettre fin à sa campagne. Il n'estime plus possible de rattraper son retard de 300 délégués.

Bernie Sanders appelle ses partisans à rester mobilisés, soulignant que, à l'instar de son slogan "Not me. Us", il a souhaité créer un mouvement populaire et non une campagne centrée sur sa personne.

Que va-t-il rester du mouvement créé par le sénateur du Vermont ? Il ne se prive pas, en effet, d'expliquer avoir gagné deux combats décisifs : la bataille idéologique (il a imposé dans le débat des idées autrefois considérées comme marginales) et la bataille "générationnelle" (les jeunes, et donc les électeurs futurs, sont avec lui).

Il est frappant de voir à quel point cet abandon n'en est pas un. Bernie Sanders appelle ses partisans à rester mobilisés, soulignant que, à l'instar de son slogan "Not me. Us", il a souhaité créer un mouvement populaire et non une campagne centrée sur sa personne.

De manière concrète, il se maintiendra même sur les bulletins de vote des prochaines primaires pour continuer à engranger des délégués et peser ainsi sur le programme du parti démocrate, qui doit être élaboré lors de la convention cet été. Même appel du côté du conseiller en politique étrangère de Bernie Sanders, Matt Duss : "the work continues".

Certains estiment que la meilleure voie est la fusion des équipes Sanders-Biden qui semble s'amorcer, avec la création de six groupes de travails mixtes destinés à conseiller la campagne en matière d'économie, d'éducation, de justice pénale, d'immigration, de changement climatique et de santé - autrement dit les sujets qui divisent le plus les centristes et l'aile gauche. Outre l'amitié personnelle des deux hommes, et la volonté de ne pas ajouter du chaos à la crise en cours, ce rapprochement de fond explique peut-être la rapidité du ralliement de Bernie Sanders. Il n'aura attendu que cinq jours pour soutenir Joe Biden, le lundi 13 avril, alors qu'il avait combattu Hillary Clinton jusqu'en juillet 2016.

Aura-t-il la possibilité de continuer à peser ? La crise de 2008 et le "sauvetage" des banques avaient sous-tendu un virage à gauche d'une partie de l'électorat démocrate et l'éclosion de mouvements comme Occupy Wall Street. Il sera toutefois plus difficile de désigner un coupable à la crise économique et le Congrès s'est assuré qu'une partie du plan de sauvetage aille directement aux citoyens américains. D'autres estiment que l'expansion du rôle de l'État fédéral à l'occasion de la crise économique et la mise en exergue des fragilités du système de santé par la pandémie feront bouger les lignes vers la gauche.

Pour autant, en relativisant les péripéties et antagonismes d'avant - qui se souviendra vraiment de la controverse autour des frappes tuant le général iranien Soleimani ou même du procès en impeachment ? - et en aiguisant l'appétit pour un retour à la normale, la crise peut tout aussi bien fermer la porte aux options les plus révolutionnaires et entraîner un retour au centre.

L'attention des Démocrates se porte maintenant vers l'élection présidentielle de novembre. Si la bonne santé de l'économie américaine semblait être un des principaux arguments de campagne de Donald Trump - ce qui explique peut-être sa réticence à "fermer" l'Amérique - il devra aujourd'hui avoir recours à un narratif différent, qu'il ne semble pas encore avoir trouvé. Le début de la crise s'était traduit par un bond de la côte de popularité de Donald Trump, déjà en hausse depuis l'automne dernier, traduisant un probable effet de "ralliement autour du drapeau". Il n'est toutefois pas certain que ce rebond soit durable et on constate déjà des premiers signes d'effritement.

Si la bonne santé de l'économie américaine semblait être un des principaux arguments de campagne de Donald Trump, il devra aujourd'hui avoir recours à un narratif différent, qu'il ne semble pas encore avoir trouvé.

Davantage que l'impact du Covid-19 sur la côte d'approbation de Donald Trump, il est plus intéressant de garder à l'œil sa popularité dans les États clefs, ceux qui peuvent basculer. Si le scénario de 2016 se reproduit - un vainqueur élu avec une minorité du vote populaire - il importe peu que New York ou la Californie, États démocrates fortement touchés par le Covid-19, reprochent au Président sa gestion de la crise. Ce qui compte est l'opinion qu'aura formé l'électeur de Pennsylvanie ou du Wisconsin (où les Démocrates avaient d'ailleurs décidé de tenir leur convention cet été).

Il faudra aussi surveiller tout ce qui pourra influencer la participation électorale, celle-ci tendant à favoriser les Démocrates. La crainte d'une contamination dans les bureaux de vote pourrait conduire les gens à rester chez eux. Dans ce cas, pourquoi ne pas recourir au vote par courrier, cinq États tenant déjà leurs élections par ce moyen ? C'est notamment ce que suggère la Démocrate Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants. Pour Donald Trump, il n'en est pas question : "Republicans should fight very hard when it comes to state wide mail-in voting. Democrats are clamoring for it. Tremendous potential for voter fraud, and for whatever reason, doesn’t work out well for Republicans". Une des batailles pour la conquête de la Maison-Blanche risque d'être celle du vote à distance, bataille dont la primaire du Wisconsin était sans doute la première escarmouche.

Malgré la pandémie, la primaire démocrate vient de vivre une semaine décisive, qui préfigure la campagne à venir en posant deux questions clefs : que reste-il de l'option à gauche au sein du parti démocrate ? Qui pourra voter par temps de coronavirus ?

 

 

Copyright : AFP

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