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14/05/2024

Macron-Xi, ou comment tirer le meilleur parti d’une relation difficile

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Macron-Xi, ou comment tirer le meilleur parti d’une relation difficile
 François Godement
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Asie et États-Unis

Après la visite de Xi Jinping en France (5-7 mai) puis dans la Serbie d’Alexandre Vučić et la Hongrie de Viktor Orbán, comment a été comprise, de part et d’autre, la "position d’équilibre française" ? Comment analyser, au-delà de l’image symbolique d’une réunion au sommet, dans les Hautes-Pyrénées, la vision stratégique qu’Emmanuel Macron développe pour les relations entre la France et la Chine ? Où tracer, pour les partenaires européens, la ligne de crête entre réalisme et quête d’autonomie ? Dans cet éclairage, François Godement dresse le bilan d’une visite diplomatique contrastée.

Pour comprendre la visite d'État de Xi Jinping en France, il faut partir de son orchestration visuelle, un élément de communication qui peut être hautement symbolique. Or, Emmanuel Macron a réussi, cette fois-ci, à faire jeu égal avec Xi Jinping, littéralement et politiquement. Ce n'est pas un mince exploit, quand bien même celui-ci a été réalisé à domicile plutôt que dans le cadre d'un déplacement en Chine. Nulle séance photo où l'empereur regardait de haut un interlocuteur lui rendant hommage, ni éloge verbal extravagant à l'égard du nouveau Grand Timonier. La visite abondamment commentée d'un des lieux d'enfance d’Emmanuel Macron était en miroir de celle des environs de Guangzhou où le président français avait été emmené par Xi Jinping en avril 2023 : l'ascension du Col du Tourmalet (2 115 m) n’était pourtant probablement pas une priorité pour Xi Jinping, ni l’occasion de photos particulièrement marquantes.

Mais il s'agissait peut-être d'incarner la métaphore d’un rééquilibrage – non pas celle de l’équilibre cette fois-ci – de la part d’Emmanuel Macron.

Mais il s'agissait peut-être d'incarner la métaphore d’un rééquilibrage – non pas celle de l’équilibre cette fois-ci – de la part d’Emmanuel Macron. Les dirigeants chinois répètent souvent qu'il faut escalader des montagnes pour accomplir de grandes choses.

Et en effet, la route vers l'Europe est moins une promenade de santé qu'auparavant. Le président français a souvent insisté dans le passé sur l’autonomie de jugement de son pays par rapport aux États-Unis. Son usage répété des termes de "puissance d'équilibre" ou de "troisième voie" a pu donner lieu à des erreurs de traduction. En réalité, le premier terme signifie surtout une volonté de "jugement équilibré", là où le second témoigne de celle d'être un pont plutôt qu’un acteur neutre. L'ambiguïté et l’art de l’esquive sont des instruments auxquels ont recours les puissances moyennes ou vulnérables. En sa possession ou non, la France est bien aujourd'hui une puissance moyenne, avec un poids géostratégique dépassant sans doute sa force économique réelle.

Il a aussi pu arriver que l'orateur prolixe qu'est Emmanuel Macron se laisse emporter et dépasse les objectifs qu’il s’était fixés. Ce fut le cas pour ses déclarations mal calibrées sur la question de Taïwan lors d'une interview en rentrant de Chine au printemps dernier. Cette fois-ci, les messages qu’Emmanuel Macron fait passer à Xi Jinping sont sobrement réalistes. Aucun des principaux points d’accrochage ou de désaccord n'a été officiellement passé sous silence, même si le président revendique toujours une "diplomatie discrète" concernant les droits de l'Homme. Dans ce contexte, le visiteur chinois a voulu faire croire qu'il parcourait une Europe acquise à la Chine : la Serbie, la Hongrie et la France, vue sous l'angle de l'"autonomie stratégique". À l'occasion du 60ème anniversaire des relations diplomatiques établies par de Gaulle, les médias officiels chinois ont donc fait l'éloge d’une France indépendante forte de sa "stratégie autonome", qualifiée de "grande puissance" (大国) dans le Quotidien du Peuple. Ce 60e anniversaire n’a pourtant guère donné lieu à des événements particuliers en France.

Non seulement Macron n’a pas été dupe mais il a inclus l'Europe dans la visite, en ayant soin de faire convier la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, et en consultant et en invitant le chancelier allemand Olaf Scholz. Publiquement, Ursula von der Leyen a fait part d'un avertissement sévère à l’égard de Xi Jinping concernant la surproduction chinoise et son écoulement via les exportations, ainsi que sur la question de la Russie et de l’Ukraine.

Tout ceci ne doit pas être minimisé. Sous la direction de Xi Jinping, la Chine a constamment privilégié les relations bilatérales, soit à grand renfort de flatteries (mais avec des concessions minimales), soit au contraire par des tentatives de coercition, et sans se prêter à de véritables négociations avec l'Union européenne dans son ensemble.

Sous la direction de Xi Jinping, la Chine a constamment privilégié les relations bilatérales.

On a pu récemment observer que c’était le chancelier Olaf Scholz qui ne résistait pas à la tentation court-termiste de faire cavalier seul, sans résultat significatif. Il peut désormais constater que lorsqu'un partenaire européen pose seul ses demandes face à la Chine, faute de levier adéquat du côté européen, la Chine élude ces demandes. Du côté français trente-sept "accords" ont été signés au cours de la visite de Xi Jinping.

Sur le plan commercial, des accords de principe avec le fabricant de batteries Envision et d’EDF sur les énergies alternatives (y compris en Arabie Saoudite) n’équivalent toutefois pas aux "grands contrats" du passé ni à l’ambition revendiquée d’une usine BYD sur le territoire national. Par ailleurs, il n’y avait pas d’hommes d'affaires chinois, publics ou privés, dans la délégation officielle chinoise ; la "réunion d'investisseurs" organisée à Paris ayant quant à elle rassemblé principalement des représentants chinois en Europe. Sur le plan normatif, les gains sont eux réels : pour des exportations agricoles françaises, pour l’industrie des cosmétiques, et avec la demi-promesse de ne pas voir le cognac français être sanctionné "dans l’immédiat" en réponse à l’enquête européenne sur les véhicules électriques.

Se maintenir au niveau d’une puissance sûre d’elle-même comme l’est la Chine, parler d’égal à égal avec un dictateur omnipotent dans son pays et dialoguer avec la première puissance commerciale au monde n'est pas un exercice facile. Les visiteurs américains à Pékin en font aussi l'expérience. En dépit de sa soi-disant "offensive de charme", la politique étrangère et économique de Xi Jinping oppose un refus presque invariable aux demandes : elle préfère donner des concessions ponctuelles à des entreprises, ou à des partenaires faisant preuve de déférence sur le plan géopolitique. Parfois aussi, ces "concessions" procèdent, dans les faits, directement de l'intérêt suprême de la Chine : il est fascinant d'observer comment Pékin, au fil des ans, a progressivement réussi à présenter les investissements directs étrangers dans la haute technologie comme des concessions octroyées par la Chine, alors qu'ils ont toujours été une concession à celle-ci (et un pari sur l'avenir).

Sauver la face, et la parité diplomatique, n'inverse pas la donnée fondamentale d'une relation déséquilibrée entre l’Europe et la Chine.

Sauver la face, et la parité diplomatique, n'inverse pas la donnée fondamentale d'une relation déséquilibrée entre l’Europe et la Chine. Emmanuel Macron a mentionné un siècle de contacts culturels avec la Chine et a même rappelé le sac du Palais d'été en 1860. En réalité, les échanges culturels et éducatifs se sont taris depuis 2019, sous l’effet du Covid et d’un durcissement politique. Mais les mentionner exonère de l’accusation d'être "anti-chinois".

À une époque où les promesses instantanées dominent la politique dans nos démocraties, Emmanuel Macron sera de nouveau critiqué pour cela, y compris par certains de ses concurrents français pour les prochaines élections françaises. Dans une tribune, Raphaël Glucksmann, tête de liste aux élections européennes pour les socialistes français, a énuméré les défauts de Macron – pas assez de ceci, pas assez de cela – et a surtout attaqué le président pour avoir voulu donner l'apparence d'une "relation personnelle" avec Xi Jinping. Les actions de l'eurodéputé au Parlement européen en matière de prévention à l’égard des ingérences du PCC sont indéniablement méritoires. Mais les positions de principe ne font pas une politique face à une puissance incontournable. Raphaël Glucksmann, critiquera-t-il aussi une déclaration Xi-Macron assez inattendue, dans laquelle la Chine admet, pour la première fois, que l'attentat du 7 octobre est le point de départ chronologique de la tragédie actuelle ?

Le réalisme impose de dire que rien ne laisse présager un changement de régime en Chine dans un avenir proche. Nous sommes pris dans un entrelacs de relations économiques avec celle-ci. Il faut démêler celles qui nous rendent plus vulnérables, mais cela ne se fera pas du jour au lendemain. Et il faut aussi faire tenir compte des limites de l'unité européenne pour la politique chinoise. Au-delà d’une visite d’État gérée au mieux sans perdre de vue l’Europe, Emmanuel Macron devra persuader les autres États membres qu'il tient ses engagements en matière de réduction des risques, de sécurité économique, de résolution des déséquilibres commerciaux. Et, dans un avenir proche, qu’il mette aussi la Chine face à ses responsabilités et face aux conséquences de son soutien à la Russie.

Tout cela se jouera dans un contexte d'incertitudes américaines, avec une Chine sensible avant tout aux rapports de force et contre laquelle le bluff ou les imprécations, qui fonctionnaient rarement quand elle était fragilisée, auront encore moins de chance à présent qu’elle se sent forte et trop sûre d'elle-même.

Est-ce un hasard si, arrivé en Serbie à l’étape suivante de sa visite, Xi Jinping a fait les louanges du gouvernement serbe comme celui d’un "modèle d’amitié avec la Chine pour l’Europe", et ajouté: "les actes parlent plus fort que les mots"? Est-ce un hasard si la Hongrie semble se tailler la part du lion des implantations d’usines de véhicules chinois en Europe? Xi Jinping lui-même est un recordman des déclarations sans lendemain, louangeant la paix et la stabilité sans autre intention que d'encourager ses partenaires dans la complaisance et l'inaction.

Xi Jinping lui-même est un recordman des déclarations sans lendemain, louangeant la paix et la stabilité sans autre intention que d'encourager ses partenaires dans la complaisance et l'inaction.

Dominer n'est pas diriger, et la Chine n'a pas l'intention de diriger qui que ce soit, mais seulement de promouvoir ses propres intérêts. Elle connaît de moins en moins de limites à ceux-ci. Le "soft power" et l’évocation du droit international ne sont que des accessoires de communication. Il n'en va pas de même pour l'Europe et la France, qui ont besoin de règles et qui essayent de préserver l'ordre international d'après-guerre : n’y voir qu’un exercice futile, c’est creuser notre propre tombe.

C’est ainsi qu’Emmanuel Macron, dialecticien irrépressible, pratique aussi l'art de l'ambiguïté. C'est un atout dans une situation où il faut répondre à des défis qui ne peuvent être tous relevés en même temps. "Cachez vos forces et attendez votre heure" avait dit un jour Deng Xiaoping, dirigeant chinois le plus directement responsable de l'essor de la Chine au cours des trente dernières années.

Copyright image : Aurélien MORISSARD / POOL / AFP

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