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26/01/2021

Macron-Biden : la communication franco-américaine vraiment rétablie

Macron-Biden : la communication franco-américaine vraiment rétablie
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Sous l’administration Trump, la ligne n’avait jamais été interrompue entre Washington et Paris. Emmanuel Macron s’était en particulier efforcé de maintenir un contact étroit - à défaut d’être fructueux - avec Donald Trump. La relation au plan présidentiel a eu des hauts et des bas mais elle existait. S’agissant des autres échelons de l’Administration, les Français se sont trouvés comme les autres partenaires de l’Amérique, devant des interlocuteurs soit inexistants, tant beaucoup de postes restaient vacants, soit évanescents, en raison du turn over rapide des ministres et des responsables.

C’est surtout avec le Pentagone que les autorités françaises ont pu travailler pendant quatre ans avec le plus de continuité, sans doute pour deux raisons : parce que l’administration de la Défense (sauf les dernières semaines) a été moins affectée que les autres ministères par le maelstrom trumpien et parce qu’en raison de différentes opérations en cours (Irak/Syrie, Sahel), les militaires français ont la côte à Washington de même que les diplomates français sont respectés pour leur compétence sur des dossiers de sécurité comme la non-prolifération et le nucléaire iranien.

Avec l’arrivée de l’administration Biden, on pouvait s’attendre au retour à des relations au moins plus fluides sur la forme. Avec cependant quelques sujets de préoccupation du côté français : l’habituel lenteur de la mise en place d’une nouvelle administration à Washington, la possibilité que les Démocrates gardent un mauvais souvenir des tentatives du Président Macron de rester proche de Trump pendant la durée de son mandat, son ouverture à la Russie, enfin le risque qu’avec Biden on assiste au retour des collaborateurs de Barack Obama, dont la ligne avait souvent été jugée sévèrement par leurs homologues français (désarmement nucléaire, Syrie par exemple).

Si le discours français sur l’autonomie stratégique et la souveraineté européennes n’est pas spontanément agréable aux oreilles des Américains, les nouveaux arrivants ont sans doute des affaires plus pressantes à traiter. 

En fait, l’équipe de Joe Biden se met en place jusqu’ici avec promptitude. Il y a bien un retour des hommes et des femmes d’Obama, mais les experts remarquent que l’on ne peut pas parler d’une administration Obama III : les plus alertes des conseillers de M. Biden - tels Jake Sullivan, le conseiller national à la sécurité ou Anthony Blinken, le Secrétaire d’État désigné - paraissent avoir tiré les leçons de ce qui n’avait pas marché avec le Président Obama. La reprise de contacts devrait être facilitée par les relations de travail qu’entretiennent les ex de l’époque Obama avec les responsables français : Jean-Yves Le Drian connaît Anthony Blinken depuis longtemps, Emmanuel Bonne, le conseiller diplomatique du Président Macron, a coopéré dans des postes précédents avec Jake Sullivan (de même que d’autres diplomates français) et on retrouve la même familiarité à d’autres échelons.

La personnalité la plus souvent citée comme ministre de la Défense était Michèle Flournoy - cheville ouvrière par le passé de la relation avec la France au Pentagone et moins idéologiquement réservée à l’égard des interventions extérieures que ne le sont devenus les experts américains de relations internationales. Finalement, c’est un Général retraité - Lloyd Austin - qui lui a été préféré pour le Pentagone. Il reste à voir comment se nouera la relation entre celui-ci et la France.

Qu’en est-il du bad blood qu’auraient pu laisser chez M. Biden les accointances d’Emmanuel Macron avec Trump ? Notons que le premier dirigeant européen qu’ait appelé Joe Biden a été le Premier ministre Boris Johnson (le 23 janvier), alors qu’il était convenu que celui-ci s’était grillé auprès des Démocrates américains du fait de sa ligne populiste de type trumpiste. On peut penser que le nouveau président américain n’a pas fait carrière depuis cinquante ans en politique sans savoir faire la part des choses. De même, si le discours français sur l’autonomie stratégique et la souveraineté européennes n’est pas spontanément agréable aux oreilles des Américains, les nouveaux arrivants ont sans doute des affaires plus pressantes à traiter. 

Sur un point, les observateurs prévoyaient un sujet de préoccupation pour Paris : il était attendu que, dans la lignée d’Obama, la nouvelle administration américaine se tournerait en Europe en priorité vers l’Allemagne de Mme Merkel. 

Ce sera peut-être le cas en effet. Pour l’instant, il faut constater que le Président Biden a eu dimanche 24 janvier un entretien d’une heure avec M. Macron, qui est sa première conversation avec un dirigeant d’un pays de l’Union européenne - alors qu’il n’a échangé que lundi 25 janvier avec la chancelière Merkel. Les comptes-rendus communiqués par la Maison-Blanche d’une part et l’Elysée de l’autre à la suite de l’entretien se limitent, comme c’est en général le cas, surtout pour une première prise de contact, à une liste des sujets abordés. Des esprits affutés ont fait remarquer que ces sujets ne coïncident pas dans les deux communiqués. Schématiquement, les deux présidents ont manifesté leur disponibilité à œuvrer en commun sur le Covid-19, le climat et les sujets globaux en général. Mais le communiqué français mentionne explicitement la volonté commune de travailler ensemble sur le dossier nucléaire iranien et le Liban, ce que ne fait pas le communiqué américain. Inversement, celui-ci évoque l’OTAN et la relation transatlantique mais aussi la Russie, la Chine et le Sahel - ce que ne fait pas le communiqué français.

Faut-il attacher de l’importance à de telles nuances ? Non, bien entendu. Chaque pays s’exprime dans son style : en mentionnant la France comme "our oldest ally", les rédacteurs américains ont utilisé ce que l’on appelle à Washington la "sauce Lafayette" - le langage auquel on a recours lorsque l’on veut être aimable ; en indiquant le Sahel parmi les thèmes abordés, peut-être la Maison-Blanche a-t-elle voulu signaler qu’elle avait compris l’importance que le sujet revêtait pour Paris. Il est également instructif de comparer les communiqués américain et britannique après l’entretien Biden-Johnson.

Dans ce cas, le communiqué américain évoque la volonté du Président Biden de "strengthen the special relationship between our two countries" tandis que le communiqué de Londres se contente de parler de "close cooperation" - subtilités que l’on se gardera bien de commenter de ce côté-ci de la Manche.

Un champ de coopération naturel se présente du fait de l’engagement de la nouvelle administration américaine en faveur du multilatéralisme et des enjeux globaux mais aussi de ses préoccupations géopolitiques maintenues.

La principale différence de substance entre les deux textes réside dans la phrase suivante, tiré du communiqué américain : "The leaders also discussed the need for cooperation on shared foreign policy priorities, including China, Iran and Russia". Répétons-le : il ne faut pas surinterpréter ces comptes-rendus et seul compte ce qui s’est réellement passé entre d’une part Joe Biden et Boris Johnson, et d’autre part entre le Président américain et le Président français. Notons cependant que dans les deux cas, à s’en tenir au libellé des communiqués, cette administration réputée multilatéraliste et géoéconomique que dirige M. Biden a fait passer le message qu’elle attendait ses alliés européens privilégiés sur la Chine et la Russie. La rivalité entre grandes puissances - la power competition mise en vedette par l’administration Trump - reste une préoccupation dominante à Washington. 

Est-ce pour cette raison que le Président Biden s’est d’abord adressé en Europe aux deux membres permanents du Conseil de sécurité que sont le Royaume-Uni et la France ? C’est une explication possible. Une autre explication serait que, vus depuis Washington, de récents développements aient un peu modifié la répartition des rôle en Europe telle qu’attendue jusqu’ici : les Français irritent en parlant d’autonomie stratégique tandis que c’est l’Allemagne qui pratique en réalité celle-ci en ayant poussé à l’accord avec la Chine sur les investissements et en résistant aux pressions américaines sur Nord Stream II. 

Du point de vue français, une réelle ouverture existe désormais avec l’Amérique d’après Biden. La communication est cette fois rétablie pour de bon. Un champ de coopération naturel se présente du fait de l’engagement de la nouvelle administration américaine en faveur du multilatéralisme et des enjeux globaux mais aussi, comme on vient de le voir, de ses préoccupations géopolitiques maintenues. La page qui s’ouvre reste à écrire. On aura noté par exemple que ni avec M. Johnson ni avec M. Macron il n’a été officiellement question des sujets numériques - de la tech - qui devrait être a priori un sujet structurant de la relation transatlantique. 

 

 

Copyright : Ian LANGSDON / POOL / AFP

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