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11/06/2018

M. Netanyahou en Europe - qu'est venu faire le Premier ministre israélien ?

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M. Netanyahou en Europe - qu'est venu faire le Premier ministre israélien ?
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Le Premier ministre israélien a visité successivement Berlin, Paris et Londres du 4 au 6 juin dernier. S’agissait-il d’un voyage de routine ?

En un sens oui, bien entendu. M. Netanyahou vient fréquemment en Europe – il en est à sa troisième visite à Paris depuis l’élection de M. Macron à la présidence de la République. Le Premier ministre israélien s’apprête à affronter prochainement des élections. Il sait que le soutien à Israël s’est refroidi dans les opinions européennes, mais que le cordon ombilical entre la vieille Europe et l’Etat juif est loin d’être rompu. Il doit comprendre que la prolongation des incidents dans la bande de Gaza et l’augmentation continuelle du nombre de victimes du côté palestinien – plus de 120 actuellement – depuis le déclenchement de la "marche du retour" suscite le trouble jusque dans les milieux les plus fidèles à Israël. Il y avait donc dans le déplacement du Premier ministre une dimension de relation publique au moins autant que la recherche d’objectifs diplomatiques proprement dits.

"M. Netanyahou s’est heurté dans les trois capitales à une ligne commune de soutien au JCPOA."

Au demeurant, la visite a été assez peu couverte par les médias. A Paris, des images de la conférence de presse commune au président de la République et au Premier ministre ont montré deux hommes se déclarant – poliment – à peu près en désaccord sur tout (l’accord nucléaire iranien, le processus de paix au Proche-Orient, Gaza, etc.) mais échangeant des claques dans le dos, avant d’aller de concert inaugurer l’exposition célébrant le soixante dixième anniversaire de la création d’Israël. A Londres, cet anniversaire a pris pour des raisons évidentes une résonnance particulière. Plus qu’ailleurs, mais de façon en fait limitée, des protestations se sont élevées dans la capitale britannique sur l’attitude du gouvernement israélien actuel à l’égard des Palestiniens. Une réunion s’est même tenue à la Chambre des Lords à ce sujet.

S’il n’est pas sans intérêt cependant de revenir sur cette visite, c’est principalement en raison de son contexte géopolitique. Avant de quitter Jérusalem, M. Netanyahou avait indiqué que son intention était de traiter de deux sujets avec ses homologues européens : l’Iran et l’Iran. Beaucoup de commentateurs ont compris que le Premier ministre israélien avait l’intention de chercher à convaincre Mme Merkel, M. Macron et Mme May de se rallier à la position du président Trump et de quitter à leur tour l’accord sur le nucléaire iranien. En fait, il s’est heurté dans les trois capitales à une ligne commune de soutien au JCPOA. Le visiteur – que cela ait été au départ son intention ou qu’il se soit adapté à la réaction de ses interlocuteurs – n’a en fait pas demandé à Berlin, Paris et Londres de dénoncer à leur tour l’accord nucléaire avec l’Iran : il s’est contenté, a-t-il expliqué à la fin de sa tournée, d’expliquer que cet accord était de toute façon "mort" ou "sur le point de mourir". Et cela pour des raisons économiques : les entreprises européennes abandonnent l’Iran, peu soucieuses de s’exposer à des rétorsions américaines ou de perdre des marchés aux Etats-Unis.

"Contrairement à l’approche retenue jusqu’ici, c’est en faisant la paix avec le reste du monde arabe que les Israéliens pourraient aboutir à une paix avec les Palestiniens."

C’est sur un autre terrain que M. Netanyahou a fait porter son effort de conviction : il est venu parler aux Européens de la posture agressive de l’Iran à l’égard de l’ensemble du Proche-Orient et d’Israël lui-même bien sûr, en singularisant la présence militaire et paramilitaire iranienne en Syrie. La menace iranienne dans la région, a fait valoir le chef du gouvernement israélien, est en train de redessiner la carte géopolitique du Proche-Orient.L’intervention qu’il a faite à ce sujet à l’issue de sa tournée devant le think tank britannique Policy Exchange mérite à cet égard de retenir l’attention.

Le Premier ministre y expose qu’Israël ne tolérera pas que l’Iran maintienne des forces militaires, sous une forme ou sous une autre, en Syrie. Une fois Daesh défaite, ou sur le point de l’être, Téhéran n’a plus aucune justification pour maintenir son implantation en Syrie. M. Netanyahou indique qu’il a sur ce point l’accord du président Poutine. Lorsque le journaliste qui l’interviewe constate qu’en effet, à chaque attaque israélienne contre les Iraniens en Syrie, "the Russians turn a blind eye", l’orateur le reprend ironiquement "blind? Really?" ! Toutefois, la menace iranienne n’affecte pas seulement la sécurité d’Israël, ce sont tous les Etats arabes qui sont concernés. Le président Trump, selon le dirigeant israélien, a eu parfaitement raison de dénoncer le JCPOA parce que cet accord mettait l’Iran à portée de l’arme nucléaire mais aussi parce que les bénéfices économiques qu’en a tiré le régime ont été entièrement réinvestis dans une entreprise de conquête systématique de la région. Sur ce point, il y a une convergence de vues et d’intérêts entre les Etats arabes et Israël, ce qui explique le rapprochement graduel auquel on assiste depuis quelques années et qui s’est accéléré ces derniers mois.

M. Netanyahou ne prétend pas que la discorde historique entre les Arabes et Israël est d’ores et déjà surmontée. Il évoque seulement un rapprochement en cours, qui pourrait être aussi facilité par la contribution qu’Israël, grâce notamment à sa maîtrise des nouvelles technologies, pourrait apporter au développement de la région. L’une des conséquences qu’en tire M. Netanyahou est l’opportunité, selon lui, de reconsidérer la question palestinienne : contrairement à l’approche retenue jusqu’ici, c’est en faisant la paix avec le reste du monde arabe que les Israéliens pourraient aboutir à une paix avec les Palestiniens. Dans ce contexte, pour la première fois depuis des années, le Premier ministre israélien mentionne la possibilité d’une "solution à deux Etats" - mais en marquant sans ambiguïté qu’Israël gardera en toute hypothèse la haute main sur les questions de sécurité sur "les deux Etats" : "les Palestiniens pourront se gouverner mais non pas nous menacer". Il lui est indifférent qu’un tel "État palestinien" soit décrit comme réduit à une "souveraineté moins" ou à une "autonomie plus".

"Pourquoi M. Netanyahou prend-il la peine de promouvoir sa vision d’un nouvel ordre proche-oriental auprès des Européens, alors même que, si on prend ce qu'il dit au pied de la lettre, les jeux sont faits ?"

Pour les observateurs qui suivent la scène proche-orientale, il n’y a rien de vraiment nouveau dans la présentation faite par M. Netanyahou devant Policy Exchange. Sa thèse n’est évidemment pas sans faiblesse. Par exemple, il est un peu rapide de soutenir qu’il existe un "camp arabe" qui serait uni contre l’Iran. En fait, ce que M. Netanyahou décrit comme l’approche des Arabes est surtout celle de l’Arabie saoudite et des Emirats Arabes Unis, à laquelle ne s’identifient pas par exemple l’Egypte ou l’Irak, pour ne pas parler du Qatar. Quant à l’Administration Trump, elle est animée en effet d’un solide sentiment anti-iranien, mais sa volonté d’affronter l’Iran sur le terrain reste pour l’instant à démontrer. L’intervention du Premier ministre israélien devant Policy Exchange offre cependant une synthèse particulièrement claire et articulée de ses vues. On peut imaginer qu’il a exposé celles-ci avec la même vigueur dans ses conversations avec la Chancelière allemande, le Président français et ses interlocuteurs à Londres. On en revient alors à la question de départ : pourquoi M. Netanyahou prend-il la peine de promouvoir sa vision d’un nouvel ordre proche-oriental auprès des Européens ? Alors même que, si on prend ce qu’il dit au pied de la lettre, les jeux sont faits : le paysage de la région est en tout état de cause en voie de recomposition par un alignement des intérêts de l’Amérique, de la Russie, d’Israël et des Etats arabes.

Un élément de réponse est que M. Netanyahou cherche vraisemblablement à s’assurer, sinon que les Européens rejoignent la coalition anti-iranienne, du moins qu’ils ne viennent pas en limiter les effets en évitant un trop grand isolement de l’Iran. Les décideurs européens devraient en tirer deux leçons : d’abord, bien sûr qu’il leur sera de plus en plus difficile de conserver une position d’équilibre entre les coalitions en voie de cristallisation en ce moment au Proche-Orient, en fonction du critère "pour ou contre l’Iran". La seconde leçon est plus importante : en raison de la stratégie suivie par Téhéran, mais aussi des choix arrêtés par les Européens eux-mêmes, tout le débat porte depuis le retrait américain du JCPOA sur la capacité de l’Europe d’assurer la poursuite des liens économiques avec l’Iran en résistant aux sanctions secondaires américaines ; or, la tournée européenne de M. Netanyahou n’incite-t-elle pas à penser que la vraie carte de l’Europe est en fait politique ? L’un des rôles majeurs de l’Europe ne réside-t-il pas dans la caution qu’elle peut apporter ou non à telle ou telle évolution ? Si cette sorte de "pouvoir de légitimation" de l’Europe avait complètement disparu, au moins s’agissant du Proche-Orient, M. Netanyahou serait moins assidu à cultiver les dirigeants européens.
 

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