AccueilExpressions par MontaigneL’Union européenne renforce sa défenseL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.16/05/2019L’Union européenne renforce sa défenseTrois questions à Maxime Lefebvre Union Européenne EuropeImprimerPARTAGER Maxime Lefebvre Le Parlement européen a approuvé un accord politique sur la création et la dotation financière du Fonds européen de la défense pour 2021-2027. L’accord est provisoire car aucune décision en matière de budget et de financement n’a été actée, décision qui sera reportée lors de l'accord global sur le prochain cadre financier pluriannuel. Que signifie cette décision pour l’Europe de la défense ? Retour sur cette question devenue incontournable dans le débat européen avec Maxime Lefebvre, diplomate et ancien représentant permanent de la France auprès de l'OSCE.Le prochain cadre financier pluriannuel de l’Union européenne intégrera le Fonds européen de la défense. À quoi servira précisément ce Fonds européen ? On parle d’un accord partiel sur la création de ce Fonds : que reste-t-il à négocier ?Le Fonds européen de la défense, proposé par la Commission européenne pour le cadre financier pluriannuel 2021-2027,permettra de financer, sur fonds européens (13 milliards d’euros prévus par la Commission), des projets de recherche militaire (4,1 milliards d’euros) et des projets de développement capacitaire de défense (8,9 milliards d’euros).Le Fonds européen de la défense permettra de financer, sur fonds européens, des projets de recherche militaire (4,1 milliards d’euros) et des projets de développement capacitaire de défense (8,9 milliards d’euros).Déjà, depuis le plan d’action pour la défense de 2016, la Commission a dégagé jusqu’en 2020 des fonds pour des projets de recherche militaire (90 millions d’euros) et de développement capacitaire (500 millions d’euros). Quelques exemples de projets : le développement d’un drone européen, le développement de la cyberdéfense et de l’intelligence artificielle dans la défense, la sécurisation et l’interopérabilité des communications militaires. Le Fonds européen de la défense va systématiser tout cela et permettre de changer d’échelle compte tenu des montants prévus par la Commission (presque deux milliards d’euros par an). Il pourrait financer des projets dits structurants comme l’avion européen du futur ou le char européen du futur.L’affectation de fonds communautaires à la défense est une étape révolutionnaire. Jusqu’à présent, la défense ne faisait pas partie des compétences de la Commission européenne, elle était traitée uniquement par le service européen d’action extérieure sous l’angle des opérations européennes de terrain, et par une agence européenne de défense intergouvernementale.L’effort de défense des Européens est non seulement faible par rapport à l’effort américain (240 milliards d’euros contre 610 milliards pour les Etats-Unis), mais, surtout, il est dispersé entre les Etats membres : 180 systèmes d’armes en Europe, contre 30 aux Etats-Unis. Certes, les fonds européens ne représenteront que 1 % du total des dépenses militaires européennes, mais la proportion est pratiquement le double par rapport aux dépenses d’équipement des Etats membres. Les fonds européens vont permettre d’agréger des dépenses nationales autour de projets communs cofinancés. Ils vont favoriser la coopération en matière d’armement, qui a toujours été difficile et laborieuse. Ils vont permettre de rentabiliser les programmes sur des échelles plus larges que les seuls marchés nationaux complétés à l’exportation. L’accord qui vient d’être confirmé en avril entre le Conseil, le Parlement européen et la Commission va permettre de lancer ce Fonds européen de la défense à horizon 2021. Tout n’est pas encore agréé, notamment le montant du fonds (qui dépendra de la négociation générale sur le cadre financier pluriannuel), mais aussi les modalités d’association des Etats tiers (avec le problème notamment du Royaume-Uni) et celles sur le "contrôle éthique".Les négociations ont connu une série d’amendements. Pourquoi ce projet est loin de faire l'unanimité au sein du Parlement européen ?Développer l’action européenne dans le domaine de la défense n’est pas dans les "gènes" du Parlement européen, qui préfère en général défendre les principes et les valeurs, comme les droits de l’Homme, l’aide au développement, l’environnement. La crainte que les armes développées sur fonds européens alimentent les conflits et la répression interne est particulièrement répandue dans les partis situés à gauche (sociaux-démocrates, Verts, gauche unie européenne). Le compromis trouvé a rencontré une opposition importante (328 voix pour, 231 contre). Sans que le Parlement soit impliqué dans la programmation précise du Fonds, il exercera un contrôle budgétaire et il y aura des mécanismes de "contrôle éthique" sur l’emploi des fonds.En cherchant à protéger son industrie de la défense, l’Union européenne vise une plus grande autonomie stratégique européenne. Est-ce que cet objectif est contradictoire avec la position atlantiste de nombreux pays européens ou, au contraire, une défense européenne permettra-t-elle de renforcer l’OTAN ?L’autonomie stratégique est au programme des Européens depuis 2013 et figure dans la stratégie globale de Federica Mogherini pour la politique étrangère et de sécurité de l’Union européenne, adoptée en 2016. Les Européens ont aussi affirmé que "l’Europe doit assumer davantage la responsabilité de sa propre sécurité"(conclusions du Conseil européen du 28 juin 2018).Développer l’industrie européenne de défense, la rendre plus compétitive et plus forte, accroître notre autosuffisance en matière militaire, font partie de l’autonomie stratégique. Cela suppose que l’accès des Etats tiers aux projets financés par le Fonds européen de la défense soit réglementé.Les Européens ont aussi affirmé que "l’Europe doit assumer davantage la responsabilité de sa propre sécurité".Un système de préférence européenne sur le marché de l’armement serait évidemment idéal, mais la réalité est que beaucoup d’Etats-membres s’approvisionnent aux Etats-Unis. On ne peut pas les en empêcher. En revanche, il est problématique que les Etats-Unis, qui nous demandent d’accroître nos dépenses de défense, nous demandent aussi d’acheter davantage d’équipements américains. Comme l’a dit la Ministre des armées Florence Parly sous forme de boutade, l’article 5 (la garantie de sécurité de l’OTAN) n’est pas l’article F35 ! D’une façon générale, il faut avancer dans la voie d’une défense européenne complémentaire de l’OTAN. L’OTAN va rester de façon prévisible le socle de la défense territoriale, par exemple face aux menaces possibles de la Russie. Mais les Européens peuvent s’organiser davantage, intégrer davantage leur industrie d’armement et leur programmation militaire, développer des opérations communes, dans les Balkans, en Afrique et sur les mers, tenter de faire émerger un pilier européen dans l’OTAN. C’est un enjeu pour la prochaine législature 2019-2024, qui s’articulera notamment autour des présidences allemande (2e semestre 2020) et française (1er semestre 2022) de l’Union européenne.Copyright : Eric FEFERBERG / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 19/04/2019 Pourquoi l'Allemagne doit s'investir dans la défense européenne Dominique Moïsi