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15/11/2021

Loi sur les infrastructures, première pierre d’un agenda Biden en construction

Loi sur les infrastructures, première pierre d’un agenda Biden en construction
 Maya Kandel
Auteur
Historienne, chercheuse associée à l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3 (CREW)

Le premier mardi de novembre était comme chaque année une journée électorale aux États-Unis, pour deux postes de gouverneur et une multitude d’élections au niveau fédéral et municipal. Mais derrière des résultats électoraux qui ont provoqué un électrochoc pour les démocrates, l’agenda de Biden a beaucoup progressé ces dernières semaines. 

Alors qu’il mettait en œuvre sa "politique étrangère pour les classes moyennes" lors de ses sommets en Europe, avec la taxation plancher des multinationales obtenue au G20, et un accord d’un nouveau type avec l’Union européenne, réglant le différend qui les opposait sur l’acier, et incluant la dimension environnementale, le Congrès lui livrait enfin sa première véritable victoire sur le cœur de son programme. Le vote de la loi sur les infrastructures intervenait tandis que Pékin annonçait la reprise de la coopération sur le climat entre les deux premiers contributeurs mondiaux au changement climatique. Le sommet (virtuel) entre Biden et Xi avait par ailleurs été confirmé pour le lundi 15 novembre. Retour sur quelques semaines riches d’enseignements.

Retour sur les enseignements de la journée électorale du 2 novembre 2021 aux États-Unis

Si les médias ont avant tout insisté sur des démocrates en mauvaise posture pour les midterms 2022, et des républicains capables de mobiliser la base en l’absence de Trump sur le bulletin, quelques nuances sont nécessaires :

  • En Virginie, le résultat est conforme à la "tradition" : dans cet État où les élections pour le gouverneur ont toujours lieu l’année qui suit une présidentielle, Biden est le 8ème président à voir l’élection du gouverneur être remportée par le parti opposé (vrai depuis Carter) ;
     
  • Le résultat est extrêmement serré et conforme à ce que l’on attend de la Virginie, État centriste par excellence, où Biden avait certes gagné de 16 points sur Trump, mais où le nombre d’électeurs républicains enregistrés comme tel avait dépassé cette année le nombre d’électeurs démocrates.

Les déterminants classiques habituels éclairent les résultats :

  • Le score du parti au pouvoir est corrélé à la faible popularité de leur leader : Biden n’est plus qu’à 42 % d’opinions favorables, un record à ce stade de la présidence battu seulement par Trump, qui était à 37 % au même moment de son mandat ; 
     
  • les difficultés économiques, en particulier l’inflation et les ruptures d’approvisionnement liées aux problèmes de chaînes de valeur ont largement pesé, avec une majorité d’Américains - y compris démocrates - considérant que "le pays va dans la mauvaise direction", indicateur toujours sûr.

Les républicains ont remporté une majorité des sièges de gouverneur et d’assemblées des États lors de la journée du 2 novembre 2021, ce qui augmente leur avantage dans le redécoupage des circonscriptions en cours (qui concerne la Chambre, mais aura aussi un impact sur 2024 car il affecte le Collège Électoral). 

La polarisation de la géographie électorale se confirme, avec de nombreuses victoires démocrates dans des élections municipales.

Mais à l’inverse, la polarisation de la géographie électorale se confirme, avec de nombreuses victoires démocrates dans des élections municipales, à New York bien sûr avec l’élection d’Eric Adams, à Boston également avec la victoire emblématique de Michelle Wu, mais aussi ailleurs de Pittsburgh à Cincinnati et Dearborn, où des candidats démocrates issus des minorités ont été élus pour la première fois de l’histoire américaine. 

De manière plus précise, on peut constater :

Côté démocrate :

  • il est clair, en Virginie mais surtout de manière beaucoup plus frappante dans le New Jersey (les deux seules élections qui se jouaient au niveau d’État) que l’énergie et l’enthousiasme sont repassés côté républicain face à des démocrates relativement démobilisés, contraste saisissant par rapport à l’an dernier ;
     
  • les analyses comme les sondages de sortie des urnes montrent que la démotivation démocrate tient avant tout à l’absence de résultats de cette administration depuis le vote de la loi de relance en janvier 2021 : or, Biden et les démocrates avaient justement fait campagne sur leur programme et leur capacité à le mettre en œuvre ;
     
  • la concentration des débats démocrates sur le "prix" de leur plan, plutôt que sur ses propositions concrètes, a accentué l’image désastreuse de divisions et petits calculs politiques au sein d’un parti en effet divisé.

Côté républicain : 

  • les candidats républicains, en particulier Youngkin en Virginie, ont démontré une capacité de mobilisation enthousiaste des électeurs républicains malgré l’absence de Trump (participation record en Virginie et au New Jersey) ;
     
  • les sondages de sortie des urnes montrent que l’école constitue une nouvelle question clivante (wedge issue) gagnante pour le parti républicain : cela illustre aussi la dégradation du débat public et la puissance de l’écosystème médiatique républicain, puisque la peur de la "critical race theory" ne repose sur rien de concret en termes de programmes scolaires en Virginie. La force de mobilisation des "guerres culturelles" est donc intacte ;

Le mécontentement des parents de Virginie, qui ont voté en masse pour le candidat républicain Youngkin, est également lié à l’attitude intransigeante des démocrates sur la pandémie, qui avait conduit à la fermeture complète de toutes les écoles publiques (enseignement uniquement à distance) de mars 2020 à septembre 2021. Ce point est intéressant, et éclairait déjà une partie du vote Trump en 2020, chez des électeurs (entrepreneurs, indépendants, commerçants…) qui souhaitaient une réouverture de l’économie et craignaient des mesures de confinement trop drastiques des démocrates.

  • autre excellente nouvelle pour les républicains, les indépendants, les femmes et les banlieues ne sont pas acquis aux démocrates, contrairement à ce que certains avaient conclu comme enseignement des élections de 2020 ;
     
  • enfin, les résultats semblent indiquer (à voir si cela est confirmé par des analyses plus fines) l’élargissement de la base "working class multiraciale" du GOP, déjà évident dans les résultats de Trump en 2020 : il avait en effet élargi son socle de 10 à 26 points selon les États chez les électeurs hispaniques, mais aussi dans une moindre mesure chez les électeurs noirs américains.

Les résultats ont déjà constitué un électrochoc pour le vote de la loi sur les infrastructures : en sera-t-il de même pour le plan "Build Back Better", qui comporte le plan climat et ce qui reste de l’ambitieux agenda social et familial ? L’enjeu est crucial pour les midterms, et la fenêtre d’action de plus en plus réduite : cela pourrait suffire à faire taire les querelles fratricides au sein de ce qui reste un même parti, celui du président. 

Les résultats ont déjà constitué un électrochoc pour le vote de la loi sur les infrastructures : en sera-t-il de même pour le plan "Build Back Better" ?

Le vote très rapide de la loi d’infrastructures à peine 3 jours après les résultats électoraux du 2 novembre, traduction de l'inquiétude des démocrates face aux résultats, montre une marginalisation des progressistes, dont seuls six ont finalement voté contre le plan à la Chambre, alors que le groupe compte 102 membres : sans surprise, il s’agit de six élus de sièges urbains "sûrs" (garantis pour les démocrates). À l’inverse, les ralliements progressistes de dernière minute (une vingtaine d’élus progressistes avaient indiqué vouloir voter contre la loi d’infrastructures si le vote n’était pas couplé à celui sur le plan Build Back Better, la loi budgétaire qui comprend les volets sociaux et climatiques) montrent que les midterms à venir entrent déjà en force dans les calculs politiques.

Mais il faut rappeler que si les démocrates sont en très mauvaise posture à la Chambre, tendance accentuée par le redécoupage électoral en cours, la carte du Sénat leur est en revanche favorable puisque sur les 33 sièges en jeu, les deux-tiers sont détenus par des républicains, et aucun ne concerne un État où Trump l’a emporté très largement sur Biden. Autre avantage possible, certains candidats adoubés par Trump pourraient repousser les électeurs, notamment les indépendants, dans une réédition de 2010, où des candidats républicains trop extrêmes avaient perdu des États pourtant "acquis" au parti républicain.

La grande question est celle de l’adaptation de la stratégie démocrate face à des scrutins qui ont indiqué à la fois la capacité de mobilisation du parti républicain trumpiste ; et la nocivité de certains slogans progressistes ("Defund the Police"), alors même que les sondages montrent aussi une adhésion majoritaire de l’opinion aux propositions sociales (notamment sur la santé) et budgétaires (infrastructures) du plan Biden. 

Mais pierre par pierre, le programme semble commencer à se concrétiser.

 

Copyright : Drew Angerer / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

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