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14/03/2018

L’Italie, une exception politique en Europe ?

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L’Italie, une exception politique en Europe ?
 Marc Lazar
Auteur
Expert Associé - Démocratie et Populisme, Italie

Alors que les élections du 4 mars dernier en Italie ont laissé le pays dans une nouvelle crise politique, Marc Lazar, professeur d’histoire et de sociologie politique à Sciences Po, analyse trois grandes tendances politiques à l’oeuvre en Europe : perte de vitesse de la social-démocratie, populisme et remise en cause du parlementarisme, division territoriale des électorats. 

Après les dernières élections en Italie, peut-on parler d'une quasi-disparition de la social-démocratie en Europe ? 

Votre question est intéressante parce qu’elle incite à sortir d’une analyse uniquement centrée sur l’Italie. A l’inverse, elle permet d’essayer de comprendre ce qui se passe dans ce pays dans une perspective européenne. Or, s’il y a naturellement des spécificités italiennes - comme il y en a pour chacun des pays de l’Union européenne - il existe également des processus politiques convergents. Notamment pour ce qui concerne la gauche réformiste. 

Le Parti démocrate italien (PD) a connu une cinglante défaite le 4 mars dernier. Ce parti, fondé en 2007, est issu de la fusion des anciens communistes et des anciens démocrates-chrétiens, ainsi que de l’apport d’autres sensibilités politiques. Nombre de jeunes qui l’ont rejoint par la suite n’ont eu aucune expérience politique antérieure. Le PD se voulait un parti innovant, de centre gauche, différent des partis sociaux-démocrates et des partis socialistes existant ailleurs. Il prétendait même montrer la voie à ces derniers en explorant, dans la lignée de la Troisième voie de Tony Blair, d’autres perspectives politiques. Toutefois, en 2014, au Parlement européen, il a rejoint le Parti socialiste européen. Le PD a donc échoué cette année. Comme la plupart des partis sociaux-démocrates et socialistes du continent européen, le Labour britannique connaissant actuellement une embellie. Tous ces partis perdent les élections et ne disposent plus du soutien des catégories populaires. Leurs électeurs proviennent plutôt des classes moyennes instruites et urbaines (et encore, ils reculent aussi dans ces catégories) et sont âgés. Ces partis sont concurrencés sur leur gauche, ou du côté de l’extrême droite ou encore par des formations populistes qui, à l’instar du Mouvement 5 étoiles, sont difficilement classables politiquement

Est-ce à dire que la social-démocratie et plus généralement la gauche réformiste sont en voie de disparition ? C’est une possibilité à ne plus exclure. Toutefois, l’histoire de la social-démocratie européenne démontre qu’elle a su souvent rebondir après des moments de crise intense en se refondant et en s’adaptant aux nouvelles réalités économiques, sociales, politiques et culturelles. Est-elle en mesure de le faire cette fois-ci ? Tout dépendra de la capacité intellectuelle de ses dirigeants et de ses experts. 

Ajoutons cependant un élément de réflexion. On parle, et l’on a raison, de cette profonde crise de la gauche européenne. Mais il faut aussi mentionner que la droite connaît de sérieux déboires en Italie, en Allemagne, en Autriche, en Espagne, en Grande-Bretagne et en France. Certes sa crise est moins prononcée que celle de la gauche. Mais elle constitue une réalité. Ce qui atteste que ce sont bien les partis de gouvernement qui sont en ce moment contestés, bousculés et remis en cause. C’est le signe de la profonde défiance politique des citoyens envers leurs responsables politiques traditionnels et les classes dirigeantes en général.

Pensez-vous que la démocratie parlementaire puisse devenir un phénomène politique marginal en Europe ? 

Non. La France semi-présidentielle est une exception dans le panorama des régimes politiques européens. La démocratie parlementaire reste une réalité fondamentale en Europe. En revanche, elle est minée par le développement des populismes. Ceux-ci non seulement progressent électoralement mais, qu’ils gagnent ou non les scrutins, ils sont en train de modifier les fondements de nos démocraties. Ils imposent leurs thématiques, leur temporalité, celle de l’urgence, leurs solutions simples puisque pour eux il n’existe pas de problèmes complexes, leurs styles, leurs modes d’organisation et l’idée grandissante que le peuple est souverain et qu’importent peu toutes les procédures et les règles de la représentation. Ils réinventent la démocratie directe en se fondant sur la révolution du numérique. Ils placent sur la défensive tous leurs adversaires, lesquels tentent de les combattre en reprenant souvent à leur compte leurs propositions ou en imitant leur façon de faire de la politique. 

Pour être un peu schématique, nos démocraties au XIXème siècle étaient parlementaires. Au XXème siècle, surtout après la Seconde Guerre mondiale, elles sont devenues des démocraties parlementaires et de partis (sauf en France à partir de 1958 avec l’établissement de la Vème République). Puis, à la fin du XXème siècle, on est entré dans ce que le philosophe français Bernard Manin a appelé la démocratie du public, caractérisée par l’affaiblissement des partis politiques, l’érosion des grandes cultures et identités politiques, la montée en puissance de la personnalisation et de la médiatisation de la vie publique. Nous assistons maintenant à l’émergence de ce que j’appelle dans un livre écrit avec mon collègue italien Ilvo Diamanti, qui analyse la France et l’Italie, "la peuplecratie" (Ilvo Diamanti, Marc Lazar, Popolocrazia. Le metamorfosi delle nostre democrazie, Laterza, 2018, non traduit en français). Celle-ci n’a pas encore triomphé mais elle progresse continûment en Italie comme en France et dans nombre de pays européens.

Comment expliquer la fracture territoriale de plus en plus visible électoralement au sein des Etats membres ? 

L’Italie a toujours connu une forte territorialisation politique. Il a existé longtemps dans ce pays des subcultures politiques territoriales caractérisées par la permanence et la longévité de l’implantation des partis sur un espace donné. Par exemple, la Vénétie était sous le contrôle de la Démocratie chrétienne et le PCI exerçait son hégémonie sur l’Emilie-Romagne, la Toscane, l’Ombrie et les Marches. Cette élection a fait apparaître des continuités et des changements à cet égard. Le Nord du pays est toujours la place forte du centre droit mais au profit de la Ligue de Matteo Salvini et bien moins de Forza Italia de Silvio Berlusconi. Le Mouvement 5 étoiles domine le Sud. Quant au Parti démocrate, il recule dans ses anciens bastions de l’Italie centrale, le Mouvement 5 étoiles et la Ligue y réalisant de belles percées. Oui, un peu partout en Europe, se profile une opposition entre ce que l’on appelle parfois les périphéries et les centres. Mais la réalité, comme toujours est souvent bien plus complexe. Et cela doit nous inciter à relancer plus que jamais et à approfondir les études de géographie électorale qui firent à une époque la réputation de la science politique française. Ces contrastes territoriaux reflètent de profondes lignes de fracture sociologiques, culturelles et générationnelles entre électeurs d’origine populaire, à faible niveau d’instruction, habitant des zones délaissées, et le reste de la population. Ces antagonismes ont un impact politique grandissant. Et préoccupant. Elles obligent les décideurs à agir pour combler ces failles. Au plus vite.

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