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31/08/2023

L'IA de confiance n'est rien d'autre qu'un développement durable

L'IA de confiance n'est rien d'autre qu'un développement durable
 Hamilton Mann
Auteur
Group Vice-President, Digital Marketing & Digital Transformation chez Thales

Au-delà des enjeux de sûreté et de sécurité que pose l'intelligence artificielle, quels défis son développement pose-t-il du point de vue environnemental ? Pour Hamilton Mann, une IA sûre et digne de confiance ne peut s'exonérer d'une dimension durable. Dans ce papier, l'auteur dresse un état des lieux des enjeux environnementaux attachés au développement de l'IA, tout en esquissant des pistes de réglementations en la matière. 

La course à l'intelligence artificielle est lancée, et nous ne pouvons faire l'économie d'une réflexion systémique sur l'impact qu’elle aura sur les ressources terrestres. 

Il est indéniable que l'un des domaines d'application parmi les plus importants de l'IA tient dans son potentiel à jouer un rôle clé dans la lutte accélérée contre le réchauffement climatique, en partie grâce à sa capacité à analyser et à interpréter de grandes quantités de données en temps réel.

Par exemple, en utilisant des algorithmes d'apprentissage automatique, les systèmes de gestion de l'énergie peuvent apprendre les habitudes de consommation et permettre d'ajuster automatiquement l'utilisation de l'énergie pour minimiser les gaspillages tout en aidant à prévoir la demande en électricité. 

L'IA peut améliorer la surveillance environnementale.

De même, l'IA peut améliorer la surveillance environnementale en analysant des images satellites pour détecter les événements météorologiques extrêmes, les changements dans les écosystèmes, comme la déforestation ou la fonte des glaces, et déclencher des alertes précoces pour permettre l'intervention anticipée.

En agriculture, des algorithmes intelligents peuvent optimiser l'utilisation d'eau et de fertilisants, réduisant ainsi les émissions de gaz à effet de serre.

Cela étant, si l'IA est l'une des solutions les plus prometteuses pour la transition écologique et la lutte contre le changement climatique, elle représente aussi une sérieuse menace pour l’environnement.

Plus puissante est l'IA, plus elle consomme d'énergie.

Dans un monde de plus en plus habité par l'intelligence artificielle, et alors que nous nous émerveillons de ses incroyables capacités, il devient crucial de considérer l'infrastructure énergivore qui la fait vivre et la propulse.

Le cœur du problème réside dans la puissance de calcul massive nécessaire à son bon fonctionnement. Cette technologie, et en particulier l'apprentissage profond, ou "Deep Learning", impliquent des opérations mathématiques intensives, particulièrement consommatrices d'énergie. 

L'entraînement de ces modèles sur de vastes ensembles de données nécessite souvent de faire fonctionner l'algorithme à plusieurs reprises sur un même jeu de data - pour ajuster les paramètres permettant précision et fiabilité - ce qui accroît d’autant plus la consommation d'énergie.

Les composants matériels, accélérateurs spécialisés de capacité de calcul, comme le GPU (Graphic Process Unit), le NPU (Neural Process Unit) et l’ASIC (Application-Specific Integrated Circuit), sont également énergivores, et ceci malgré des améliorations en matière d'efficacité énergétique. 

Enfin, les opérations d'IA à grande échelle sont souvent menées dans des centres de données, des fermes de serveurs qui dévorent, eux aussi, une quantité d'électricité colossale, allant jusqu'à rivaliser avec celle des villes. Une étude de l'Université du Massachusetts a mis en évidence que la formation d'un modèle d'IA substantiel pour le traitement du langage humain peut entraîner des émissions de près de 300 000 kilogrammes d'équivalent dioxyde de carbone, soit environ cinq fois les émissions d'une voiture moyenne aux États-Unis durant sa durée de vie complète, incluant sa fabrication.

Les composants matériels, accélérateurs spécialisés de capacité de calcul [...] sont également énergivores.

En effet, les grandes fermes de données et les infrastructures informatiques de haute performance indispensables à l'entraînement et à l'inférence de l'IA, dépendent encore fortement des combustibles fossiles tels que le charbon, le gaz naturel et le pétrole pour l'électricité qu'elles consomment.

Les États-Unis et la Chine abritent certains des plus grands centres de données. Singapour est également en passe de devenir un centre majeur pour leurs installations. Le Canada, ainsi que les pays d'Europe du Nord, tels que la Suède, la Finlande et la Norvège, sont également des lieux attrayants pour ces centres, du fait de leur climat froid et de leurs sources d'énergie. Ils sont également en expansion en Inde. Enfin, la France est également un hôte significatif pour ces centres, bénéficiant notamment d’une énergie à faible émission de carbone grâce au nucléaire.

Alors que l'IA se développe, et que les données sont le nouvel or noir, la consommation d'énergie qu'implique son développement constitue une préoccupation pressante.

L'IA, grande consommatrice d'eau.

La prolifération rapide des applications d'IA et l'expansion des technologies axées sur les données pose également des défis en ce qui concerne l'utilisation de l'eau.

La soif insatiable de puissance dans les calculs d'IA génère des quantités de chaleur très importantes dans les centres de données, rendant nécessaire des systèmes de refroidissement efficaces pour maintenir leur fonctionnement optimal.

De nombreux centres de données ont recours à des méthodes de refroidissement à base d'eau, impactant ainsi la consommation globale en eau, d’un pays ou d'une région.

Pour les centres de données situés dans des régions déjà confrontées à la rareté de l'eau, la concurrence pour les ressources en eau s'intensifie, ce qui n'est pas sans susciter de légitimes inquiétudes.

En effet, certaines régions des États-Unis, du nord de la Chine, ou encore d'Europe du Nord connaissent des pénuries d'eau qui s’expliquent par des périodes de sécheresses et une forte demande. Singapour, avec ses ressources en eau limitées, dépend fortement des importations et du dessalement. Les pays de la région Asie-Pacifique, en particulier ceux au climat aride, sont aussi confrontés à la rareté hydrique.

La consommation importante d'eau dans les centres de données peut donc mettre à rude épreuve les écosystèmes locaux. 

L'Inde connaît une situation analogue et d’autant plus aux vues de la croissance démographique enregistrée dans le pays. Le Canada n'est pas non plus étranger à ces problèmes dans certaines régions. En France, la fréquence croissante de climats secs et chauds ainsi que les vagues de chaleur précoces, ont un impact sur les activités agricoles et la disponibilité de l'eau dans certains territoires.

La consommation importante d'eau dans les centres de données peut donc mettre à rude épreuve les écosystèmes locaux. 

Par ailleurs, des prélèvements excessifs, en particulier lorsque l'eau est puisée dans des rivières, des lacs ou des aquifères souterrains, peuvent nuire à la vie aquatique, perturber les habitats naturels et abaisser le niveau d'eau, affectant la biodiversité et les écosystèmes locaux.

Le changement climatique aggrave encore le stress hydrique dans différentes régions : des événements météorologiques extrêmes tels que les sécheresses ou les inondations peuvent perturber l'approvisionnement en eau.

Les Nations Unies prévoient que d'ici 2030, la croissance démographique, combinée au changement climatique, entraînera une crise de l'eau sans précédent, avec une demande mondiale en eau douce prévue pour dépasser l'offre de 40 %.

En même temps, des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology projettent que d'ici 2050, 5 milliards (52 %) des 9,7 milliards d'habitants estimés sur Terre résideront dans des zones soumises à un stress hydrique.

Dans un contexte où le paysage de l'IA intensifie la concurrence pour l'eau, des conflits avec d'autres utilisations essentielles, telles que l'agriculture, l'industrie et les nécessités quotidiennes de chacun, peuvent survenir, impactant potentiellement sa disponibilité et sa qualité.

L'IA, productrice de déchets électroniques.

Le rythme rapide du développement des composants matériels nécessaires à l’IA entraîne des mises à niveau et des remplacements fréquents de GPU, d'ASIC et d'autres puces spécialisées.

Ce développement contribue à la génération de déchets électroniques et à l'épuisement de minéraux essentiels tels que le coltan, le cobalt et d’autres ressources naturelles rares, utilisés dans la fabrication de ces composants électroniques. 

En 2022, le monde a généré 59,4 millions de tonnes métriques de déchets électroniques, avec un taux de recyclage ne dépassant pas les 20 % dans les évaluations les plus optimistes.

En 2022, le monde a généré 59,4 millions de tonnes métriques de déchets électroniques.

Le reste, contenant des matériaux dangereux tels que le plomb, le mercure et le cadmium, se retrouve dans des décharges ou est recyclé de manière informelle, contribuant ainsi à une pollution en déchets électroniques qui pose des risques environnementaux et sanitaires.

La gestion inadéquate des déchets électroniques est devenue un problème urgent et de grande envergure, touchant divers pays du monde, dont la Chine, l'Inde, le Nigeria, le Ghana, le Pakistan, le Bangladesh, le Vietnam, les Philippines, l'Égypte et le Mexique.

Plusieurs facteurs placent ces nations en première ligne de cette problématique, étant devenues des destinations principales pour les importations de déchets électroniques.

L'attrait de solutions de recyclage peu coûteuses en font des options prisées pour le traitement de ces déchets, entraînant une accumulation considérable de ces gadgets modernes que l’on retrouve in fine dans la nature.

Le manque d'une industrie bien développée pour le recyclage couplée à l'absence d'une réglementation stricte, entrave leur capacité à faire face à cet afflux de déchets, créant par ailleurs un environnement propice au développement de pratiques de recyclage inappropriées et dangereuses.

Amplifiées par la ruée vers l'IA, les conséquences écologiques de la gestion inadéquate des déchets électroniques accentuent d’autant plus les défis environnementaux, affectant la qualité de l'air, du sol et de l'eau, et entraînant une grave pollution et des risques sanitaires majeurs.

Le développement d'une IA digne de confiance est nécessairement durable.

Action et contrôle de l'humain, transparence, explicabilité, robustesse technique, sécurité, respect de la vie privée, gouvernance des données, non-discrimination et équité sont des caractéristiques fonctionnelles certes nécessaires pour une IA digne de confiance, mais encore insuffisantes au regard de l'enjeu climatique. 

Il est impératif de prendre en compte l'impact environnemental de l'IA.

Il est impératif de prendre en compte l'impact environnemental de l'IA, qu'il s'agisse de consommation d'énergie, d'eau ou de génération de déchets électroniques qu’elle induit. Il est encore temps de changer de cap, pour ne pas compromettre la santé de notre planète, déjà fragilisée.

Du point de vue des pratiques de développement, voici quelques pistes qui pourraient être poursuivies :

  • L'infrastructure d'IA devrait passer à une dépendance principale vis-à-vis des sources d'énergie renouvelables avec des mécanismes de refroidissement écoénergétiques. 
  • Des algorithmes de répartition dynamique de ressources, qui donc distribuent intelligemment les tâches de calcul en fonction des demandes en temps réel et des ressources disponibles, devraient être mis en œuvre.
  • De nouvelles techniques pour entraîner des modèles d'IA avec une consommation d'énergie moindre doivent être explorées.
  • Des algorithmes d'inférence d'IA (processus d’évaluation de l’efficacité d’un modèle d’IA formé, par lequel le modèle fait des prédictions ou prend des décisions basées sur des données qui n’ont pas été utilisées lors de sa formation) capables d'ajuster de façon dynamique la complexité du calcul en fonction des contraintes énergétiques devraient être développés. 
  • Des investissements dans des techniques d'amélioration de la qualité des données doivent être réalisés, réduisant ainsi le besoin en stockage de données.
  • Les fabricants de composants d’IA devraient adopter des principes d'économie circulaire, privilégiant le recyclage et l'élimination responsable. 

Du point de vue de la réglementation, pourraient être élaborés et mis en place :

  • Des directives éthiques concernant la collecte et l'utilisation des données, afin d’éviter un stockage inutile des données. 
  • Des directives pour des pratiques de marquage de données respectueuses de l'environnement.
  • Un programme de "certification verte", normalisé pour l'IA, pour encourager des pratiques respectueuses de l'environnement. 
  • Des réglementations obligeant des évaluations de l'impact environnemental de l'IA pour les projets d’IA à grande échelle.
  • Une responsabilité étendue pour les fabricants de composants d'IA, afin de les rendre responsables du recyclage de leurs produits.
  • Des mécanismes de tarification du carbone, attribuant un prix aux émissions de carbone produites pendant le développement de l'IA et son apprentissage.

Du point de vue de la recherche et développement :

  • La recherche en IA devrait se concentrer sur le développement d'algorithmes économes en énergie qui ne compromettent pas les performances. 
  • Le développement et l'adoption de cadres d'IA open-sourceintégrant des principes de durabilité et des algorithmes respectueux de l'environnement devraient être encouragés. 
  • La recherche et le développement sur les architectures de modèles d'IA devraient privilégier l'efficacité de l'utilisation des ressources. 
  • La recherche sur les systèmes d'IA décentralisés qui répartissent les tâches de calcul entre les appareils tels que les smartphones, les périphériques edge et les nœuds IoT devrait être accélérée. 
  • L'accent devrait être mis sur la recherche de techniques de conception de circuits informatiques écologiques pour l'IA, telles que le calcul neuromorphique qui économise l'énergie en imitant le cerveau.

 

Le développement d'une IA digne de confiance nécessite un engagement responsable. C'est une condition sine qua none pour un futur dans lequel nous pouvons tous avoir confiance.

 

Copyright Image : WANG ZHAO / AFP

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