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03/07/2018

L’Europe va-t-elle relever le défi stratégique posé par le président Donald Trump ?

L’Europe va-t-elle relever le défi stratégique posé par le président Donald Trump ?
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

En rejetant avec désinvolture le communiqué du G7, le président Trump a, comme on le sait, porté un coup sévère à la relation transatlantique

Depuis lors, les propos et les tweets de l’intéressé ont rendu encore plus évidents les orientations de l’homme de la Maison-Blanche. Depuis Singapour, il a indiqué que "sa relation à Justin Trudeau était forte, comme désormais celle avec Kim". On ne saurait mieux dire l’effacement de toute distinction ennemi/ami. Puis, dans un tweet proprement stupéfiant, il encourage les Allemands à se défaire du leadership de Mme Merkel. Il cautionne ainsi l’agenda que son Ambassadeur à Berlin s’est fixé, c’est-à-dire soutenir les "forces conservatrices" (comprendre : populistes) en Europe.

"Le retournement de la politique américaine – car il ne s’agit pas des lubies d’un homme, mais bien de la politique étrangère effective des Etats-Unis – est protéiforme"

D’ailleurs, l’agent idéologique de M. Trump, Steve Bannon, sillonne le Vieux Continent pour appuyer les tenants de la ligne Orban. On dit même qu’il a joué un rôle pour pousser la Ligue et le Mouvement 5 étoiles, en Italie, à faire alliance. Dans un meeting le 27 juin dernier à Fargo, dans le Dakota du Nord, le Président américain déclarait que "nous [Les Etats-Unis] aimons les pays de l’Europe mais l’Union européenne a été créée pour tirer avantage de l’Amérique : nous allons y mettre fin". Cette fixation anti-UE est confirmée par des enquêtes de journalistes indiquant que Donald Trump, lorsqu’il rencontre Emmanuel Macron, lui demande pourquoi la France fait encore partie de l’Union européenne. Dans les affaires du Royaume-Uni, le Président américain laisse percer sa nette préférence pour un Boris Johnson, à défaut de Nigel Farage, sur Theresa May.

Le retournement de la politique américaine – car il ne s’agit pas des lubies d’un homme, mais bien de la politique étrangère effective des Etats-Unis – est protéiforme. A d’autres interlocuteurs, le Président des Etats-Unis répète qu’il n’est pas question pour lui d’épouser les griefs européens à l’égard de la Russie au sujet du Donbass et de la Crimée. Selon lui, il n’y a aucune raison de faire la moindre confiance à l’Ukraine et il faut impérativement trouver un modus vivendi avec Vladimir Poutine. S’agissant du Proche-Orient, Donald Trump a confié sa ligne au roi Abdallah de Jordanie : se retirer complètement de Syrie ("ramener les boys à la maison"), et s’entendre avec Poutine sur la base d’un retour de l’ensemble du pays dans le giron de Bachar el-Assad en échange d’un engagement de la Russie à limiter l’influence iranienne. Il est vrai que M. Netanyahou a joué un rôle majeur pour orienter Trump dans cette direction.

Dans ces conditions, les Européens attendent avec appréhension la prochaine tournée européenne de M. Trump. Les 12 et 13 juillet prochains, il participera au sommet de l’Alliance Atlantique à Bruxelles. Ce sera pour lui au minimum l’occasion de clouer à nouveau au pilori l’Allemagne pour son refus d’atteindre le chiffre fétiche de 2 % de son PIB pour ses dépenses de défense. On peut craindre un chantage beaucoup plus dur de la part du Président américain, parfaitement capable de mettre en balance ses exigences en matière commerciale et sa réticence à maintenir la garantie de sécurité américaine à l’Europe (art V du Traité de l’Atlantique Nord, présence militaire américaine).

"M. Trump est désormais décidé à imposer ses propres choix. Il se sait soutenu par sa base électorale. Il ne se laissera pas 'normaliser'."

Après Bruxelles et l’Otan, le Président américain poursuivra ses pérégrinations à Londres – Dieu sauve la reine – et surtout à Helsinki, où enfin Donald Trump aura avec M. Poutine la rencontre qu’il désire depuis longtemps. Depuis des mois, l’entourage du Président, comme les commentateurs, considéraient une telle rencontre comme impossible en raison des soupçons pesant sur la "collusion" entre la campagne Trump et la Russie, en raison aussi de la ligne anti russe du Congrès et notamment des Républicains. Le fait même qu’elle ait lieu montre bien qu’après plus d’un an de pratique du pouvoir, M. Trump est désormais décidé à imposer ses propres choix.Il se sait soutenu par sa base électorale. Il ne se laissera pas "normaliser". Comme le disait la semaine dernière un ancien haut responsable de l’administration Obama reçu à l’Institut Montaigne, "le président des Etats-Unis est déterminé à substituer au rules based system un Trump based system".

Ayant vu le résultat du sommet de Singapour, les Européens ont tout à craindre du sommet d’Helsinki. Leurs intérêts – s’agissant de sécurité européenne, du Proche-Orient ou encore de l’ordre mondial - risquent de se trouver directement en jeu.

Peut-être toute cette séquence "Trump en Europe" fera-t-elle finalement plus de bruit que de mal ? Elle devrait en toute hypothèse inciter les Européens à se poser la question : que faire désormais ? Jusqu’ici, les principaux dirigeants européens ont approché le défi Trump non pas en ordre dispersé, mais avec des méthodes tout de même différentes. Mme Merkel, particulièrement visée par la vindicte trumpienne, a plutôt fait le gros dos. Vu de Washington, les Allemands ont paru ces derniers mois prêts à avaler toutes sortes de couleuvres, tant ils sont tétanisés par la menace répétée de M. Trump de surtaxer les importations de voitures allemandes. Le Président Macron a joué la carte de la proximité sur la forme, pour mieux faire valoir de manière franche ses différences sur le fond avec le Président américain et tenter de l’influencer. Les institutions européennes, les Baltes, Mme May, d’autres encore ont d’une manière ou d’une autre tenté leur chance.

"Les Européens doivent sortir maintenant de la fascination de la proie pour le boa ; il est devenu urgent pour eux d’entamer une réflexion stratégique, en profondeur, sur ce que doit être la réponse européenne au défi existentiel présenté par Donald Trump."

Le moment est venu d’élaborer une vraie stratégie, à 27 ou 28 dans l’idéal, ou au moins dans le cercle d’un certain nombre de pays-clefs, en concertation avec les institutions européennes. Cela suppose d’abord de recenser les atouts et les faiblesses de l’Europe. Une faiblesse évidente réside dans le fait que, plus encore que d’habitude, Washington pourra bénéficier en Europe d’une écurie de chevaux de Troie. Comment en particulier contrer la dérive nationalo-populiste dans certains États-membres, désormais encouragée par le Président américain ? Sur quelles forces s’appuyer en Europe pour faire front à la ligne Trump ?

En second lieu, comment valoriser les atouts de l’Europe ? Faut-il par exemple mettre la pédale douce sur les enjeux géopolitiques – l’Iran, la Syrie, voire l’Ukraine – pour mieux établir un rapport de force sur les questions commerciales ? N’y a-t-il pas d’ailleurs un bon usage à faire de M. Trump en escomptant de lui une indifférence sur la taxation des GAFA ou l’obtention de concessions chinoises en matière, par exemple, de propriété intellectuelle ? Ou au contraire, dans l’état de crise profonde dans lequel se trouve l’Union européenne, ne convient-il pas de s’accrocher à une stratégie de "forteresse Europe" au sens où notre priorité serait de renforcer la cohésion européenne, de corriger les dépendances de l’économie aussi bien que de la défense européenne à l’égard de l’Amérique, en défendant notre vision de l’ordre international vis-à-vis de la vision trumpienne, mais sans chercher la confrontation ? Y a-t-il une place au contraire pour une stratégie plus offensive – projet contre projet - qui permettrait de saisir le "moment Trump" comme une opportunité pour l’Europe d’affirmer son identité ?

On voit bien que ces quelques options – purement illustratives – peuvent correspondre à des calendriers différents. Et qu’en amont de ces options, se pose la question du pari à faire sur la nature du défi Trump, son caractère durable ou non, la profondeur de l’empreinte qu’il laissera sur le système international. Une certitude en tout cas : les Européens doivent sortir maintenant de la fascination de la proie pour le boa ; il est devenu urgent pour eux d’entamer une réflexion stratégique, en profondeur, sur ce que doit être la réponse européenne au défi existentiel présenté par Donald Trump.

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