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17/07/2017

Lettre de Rabat - Où en est l'Union africaine ?

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Lettre de Rabat - Où en est l'Union africaine ?
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Michel Duclos, ancien Ambassadeur de France à Damas et auteur de la note Syrie : en finir avec une guerre sans fin, nous écrit de Rabat où il assistait à l'African Peace and Security Annual Conference.

Il s’agissait d’un premier exercice appelé à se renouveler tous les ans et permettant à une soixantaine de personnalités venues de toute l’Afrique et d’ailleurs de confronter leurs points de vue, sous le régime dit de "Chatham House", c’est-à-dire en permettant une grande liberté d’expression grâce à l’assurance que les propos tenus ne seront pas cités nominativement.

Le point de départ de la discussion résidait dans le constat de l’absence d’"autonomie stratégique" qui caractérise encore pour l’instant l’Union africaine (UA). Celle-ci se manifeste d’abord par la dépendance étonnante de l’UA sur le plan budgétaire à l’égard des financements extérieurs, essentiellement l’Union européenne (UE) et plus marginalement les États-Unis et des agences onusiennes. Dans l’état actuel des choses, le budget de l’UA n’est couvert, bon an mal an, qu’à hauteur d’environ 25 % (souvent moins) par les contributions financières de ses membres. La même dépendance se retrouve dans les opérations de maintien de la paix, pour lesquelles le rôle de l’UA n’est pas négligeable, notamment sur le plan politique et sur la mise en place de troupes, mais qui sont prises en charge financièrement par des bailleurs de fonds pour l’essentiel non africains.

Cette situation est à l’origine d’une frustration politique récurrente, que plusieurs intervenants ont illustrée par la tension euro-africaine autour de l’intervention "occidentale" en Libye. Les Africains, même s’ils n’étaient pas hostiles au départ à la mise en œuvre de la "responsabilité de protéger" dans le cas libyen, ont très vite exigé qu’une médiation se développe pour trouver un terrain d’entente entre le colonel Kadhafi et l’opposition. Le commissaire Ping, au nom de l’UA, s’est activé et a mené avec plusieurs chefs d’État de la région des contacts sur place. Les Africains estiment souvent que les "Européens", du moins ceux qui étaient à la manœuvre dans l’intervention militaire, n’ont pas laissé sa chance à cette médiation. Les puissances européennes concernées ne souhaitaient pas, selon cette analyse, le succès de la médiation. Or, c’était l’Europe qui tenait les cordons de la bourse pour couvrir les frais de mission des médiateurs africains !

En sens inverse d’ailleurs, quelques participants au colloque indiquaient mezza voce que les générosités colossales dont certains Africains avaient bénéficié de la part du président libyen au temps de sa splendeur pouvaient jeter un doute sur l’impartialité de la démarche de l’UA. Une autre conséquence de la dépendance financière de l’UA est de fausser le jeu interne des nominations et de l’accès aux postes clefs : il est fatal que les rares pays qui contribuent soient mieux servis que les autres et exercent une plus grande influence. Dans ces conditions, on comprend que l’image de l’UA ne soit pas bonne dans les opinions publiques du continent.

Comment porter remède à cet état de choses ? Le dernier sommet de l’UA a pris deux décisions de principe importantes. La première est de doter le budget de l’organisation d’un système de collecte de ressources propres par le biais d’une taxe de 0,02 % s’appliquant à toutes les importations sur le continent. Beaucoup de participants au colloque de l’OCP Policy Center se sont félicités de cette orientation en notant cependant que sa mise en œuvre resterait aléatoire. Pour beaucoup de pays pauvres en Afrique, les recettes douanières sont essentielles. La seconde décision de principe a trait à une réforme générale des modes de fonctionnement, des objectifs et des politiques suivies par l’UA, sur la base d’un rapport présenté par le président Kagamé.

Les choses, de ce point de vue, ont commencé à bouger, mais il est évident que nous n’en sommes qu’au début d’une mutation nécessaire. Si l’on s’en tient à la question du maintien de la paix, comment par exemple faire travailler ensemble des partenaires ou des "sous-régions" qui n’ont guère d’homogénéité sur les défis à relever en matière de sécurité ? Quel type de menace privilégier dans la mesure ou l’Afrique a le triste privilège de rester le continent le plus atteint par les crises interétatiques ou intraétatiques (les deux tiers des victimes de ce genre de conflits dans le monde sont africaines depuis des années) tout en étant aussi rattrapé par la menace terroriste (Boko Haram a été longuement cité) ? Comment articuler "autonomie stratégique" et coopération indispensable avec des partenaires extérieurs, comme dans le cas du G5 Sahel, lui aussi fréquemment cité ? L’"architecture africaine de sécurité" ne peut-être par définition qu’un "travail en progrès".

La réforme de l’UA et la mise au point d’une approche moderne et efficace en matière de sécurité apparaissent d’autant plus pertinentes que l’avenir économique du continent a évidemment changé de registre. Une croissance à plus de 5 % pendant des années a changé la donne – même si l’Afrique reste aussi le continent par excellence des "États faillis". La démographie explosive du contient (qui va atteindre prochainement les deux milliards d’habitants) sera-t-il une force ou une faiblesse ? Comment instaurer une chaîne de valeurs plus profitable au développement africain ? Comment gérer l’urbanisation et les autres bouleversements sociaux-culturels en cours ? Les grandes infrastructures et le développement d’une nouvelle agriculture ? Comment faire du changement climatique, comme beaucoup d’intervenants l’ont proposé, un levier pour le développement ? Il est clair que la vitalité d’un multilatéralisme proprement africain dépendra beaucoup de l’aptitude de l’UA et d’autres structures sinon à résoudre ces questions du moins à organiser les processus de décisions pour y répondre.

Le Maroc prend une part grandissante à ces débats pour deux raisons. Sur le plan économique, le Royaume est sorti des réflexes autarciques propres à un pays qui historiquement (voire géographiquement : les grands fleuves marocains ont leurs sources en territoire marocain et se jettent dans les mers sur des côtes marocaines) se suffisait à lui-même. Il a trouvé dans l’économie désormais en croissance des pays de l’Afrique sub-saharienne un débouché à ses phosphates mais aussi à l’activité de ses banques ou de ses entreprises de travaux publics. Sur le plan politique, il mène depuis une dizaine d’années une manœuvre diplomatique subtile pour réintégrer l’organisation panafricaine (OUA, à l’époque) quittée avec pertes et fracas en 1984, lorsque celle-ci avait accepté dans ses rangs la "République arabe saharouie démocratique". Le contentieux n’a pas disparu et continue notamment de tendre les relations du Maroc avec des pays tels que l’Algérie, l’Afrique du Sud ou l’Angola. La diplomatie chérifienne avait fini par conclure que son retrait de l’organisation panafricaine constituait plutôt un handicap, y compris pour la défense de ses positions sur le dossier saharoui.

C’est à Addis Abébba, en janvier de cette année, que l’UA a accepté le retour du Royaume dans l’organisation, sans qu’aucun des camps en présence n’ait eu à se déjuger. Cette victoire diplomatique représente aussi un succès personnel pour le roi Mohammed VI, qui s’est beaucoup investi pour assurer, de visites en visites, un resserrement des liens bilatéraux avec la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne et le retour du Royaume dans les instances de l’UA. Le Maroc est suffisamment avisé pour ne pas chercher à prendre d’emblée une place trop voyante au sein de l’UA. Il aura certainement à cœur de jouer un rôle constructif au sein d’une organisation, dont on a vu qu’elle est à la recherche d’une identité correspondant aux données de l’Afrique des débuts du XXIème siècle. C’est tout le sens de l’initiative de l’OCP Policy Center.

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