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19/02/2018

Lettre de Munich - la sécurité du monde "au bord du précipice"

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Lettre de Munich - la sécurité du monde
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

To the Brink - and Back?”  : tel était cette année le thème de la conférence sur la sécurité qui se réunit annuellement à Munich depuis les années 1960.

Plus de 500 participants, dont des chefs d’Etat et de gouvernement, ainsi que des ministres ou des hauts responsables en grand nombre, se sont entassés cette année encore, du 16 au 18 février, dans les salons guindés de la "Bayerischer Hof". Ce que l’on appelait jadis la Wehrkunde a longtemps traité, entre Occidentaux, des tensions propres à la guerre froide. La principale préoccupation était jusqu’à la fin des années 1990 le maintien du lien transatlantique.

"Le général MacMaster, a indiqué que l’interférence russe dans les élections présidentielles américaines était désormais "incontestable""

Puis, après la chute du mur de Berlin, le spectre des sujets abordés s’est élargi et le "Davos de la sécurité" de Munich a aussi été ouvert à des représentants de nombreux pays bien au-delà de la sphère transatlantique. L’une des interventions restée dans toutes les mémoires est celle du président Poutine en 2007 où, pour la première fois depuis la fin de l’URSS, le dirigeant russe s’est lancé dans une diatribe en règle contre la domination occidentale du monde avant d’annoncer que la Russie entrait en résistance.

L’édition 2018 de la Conférence sur la Sécurité a étrangement vu resurgir bien des aspects de l’atmosphère de la guerre froide. D’abord du fait de la montée des tensions entre la Russie et l’Amérique et ses alliés : le président Porochenko, dans un registre à vrai dire habituel, a violemment dénoncé l’intervention russe en Ukraine. De manière plus inattendue, et dans le contexte du "rapport Mueller" publié par le Département de la justice américain, le conseiller national américain pour la sécurité, le général MacMaster, a indiqué que l’interférence russe dans les élections présidentielles américaines était désormais "incontestable". Il s’est d’ailleurs fait rappeler à l’ordre par un tweet de @realDonaldTrump. 

Le ministre des affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov a naturellement taxé le rapport Mueller de "fake news". Dans sa présentation de la politique mondiale, et dans celles d’autres intervenants russes, on retrouvait le manichéisme et l’intransigeance caractéristiques d’autres temps.

"Theresa May, a lancé la proposition d’une relation forte en matière de sécurité entre le Royaume-Uni et l’Union européenne une fois le Brexit accompli"

Autre trait qui nous ramenait autrefois : le débat sur la défense européenne. Le Premier ministre Edouard Philippe a appelé les Européens, dans un discours de bonne facture, à passer à l’action concrète tout en mentionnant les avancées obtenues depuis plusieurs mois : l’Initiative européenne d’intervention ou la Coopération Structurée Permanente en matière de défense. Mais son invocation de la nécessaire "autonomie stratégique" de l’Europe s’est heurtée à un scepticisme visible de beaucoup de participants européens et américains. Le Secrétaire général de l’OTAN, M. Stoltenberg, et d’autres, puisant dans un répertoire d’arguments qui remonte à des décennies, a mis en garde contre tout "risque de duplication" avec l’OTAN. 

Comme toujours dans le grand barnum de Munich, des sous-drames se sont joués à l’intérieur de l’action principale : le duo des deux ministres française et allemande de la défense, Mme Parly et Mme Van der Leyden, a fait paraître quelques dissonances, derrière l’affichage d’une coopération sans nuage. La Première ministre britannique, Theresa May, a lancé la proposition d’une relation forte en matière de sécurité entre le Royaume-Uni et l’Union européenne une fois le Brexit accompli. Elle a paru cependant introduire un élément de conditionnalité qui lui a valu des répliques sans aménité de certains Européens (dont M. Juncker).

L’un des grands moments de la conférence a été l’intervention particulièrement grave d’un familier des lieux depuis de longues années, l’ancien Vice-Président Biden, sur fond de rumeurs de plus en plus persistantes de son intention de se présenter à la présidence des Etats-Unis en 2020. Alors que le Vice-Président Pence avait été accueilli tout juste courtoisement l’année dernière à Munich, Joe Biden a été reçu très chaleureusement. Ce contraste en dit long sur le clivage actuel entre les Européens et l’administration américaine. Joe Biden a tenu un message tout à fait dans l’air du temps : six ans plus tôt, il était venu annoncer à Munich le "reset" dans les relations avec la Russie, cette année il venait soutenir la réaffirmation (le "reassert") de la solidarité transatlantique.

"Ne testez pas la détermination d’Israël"

C’est toutefois autour des conflits du Proche-Orient que la montée des tensions apparaissait la plus palpable dans cette conférence. La veille, le Général MacMaster avait été très dur dans ses propos sur la politique de l’Iran, appelant les Alliés à sanctionner sans faiblir le Corps des Gardiens de la Révolution Islamique. Le Premier ministre israélien, présent pour la première fois à Munich, a offert dimanche matin une démonstration de fermeté menaçante. S'adressant au ministre des affaires étrangères iranien, il a prévenu qu’Israël “n’hésitera pas à agir pour se défendre et ce, si nécessaire, non seulement contre des forces affiliées à l’Iran mais contre l’Iran lui-même”. Puis, tenant à la main un morceau du drone iranien abattu dans le ciel israélien huit jours plus tôt, il a demandé de manière théâtrale : "M. Zarif, le reconnaissez-vous ? (...) Ne testez pas la détermination d’Israël". Le ministre des affaires étrangères iranien s’est ensuite exprimé, principalement pour développer son idée, déjà exposée l’année dernière dans les mêmes circonstances, d’une structure de dialogue et de sécurité pour la région du Golfe, qu’une grande partie de l’audience a estimé en décalage avec les réalités actuelles. Comme d’habitude, le ministre a rejeté la responsabilité de tous les troubles de la région sur l’Arabie saoudite. En réponse à des questions, M. Zarif a par ailleurs refusé de reconnaître l’existence d’Israël.

Les débats sur la Syrie ont conduit de la même manière à une juxtaposition de points de vue antagonistes. Les désaccords entre la Turquie et ses alliés européens et américains ont été rappelés sans qu’apparaisse d’ouverture. Sur un autre plan, les discussions sur la fin possible de l’ordre international libéral sont restées peu conclusives. Il est vrai que la pièce qui se joue dans les salles de conférence du Bayerischer Hof est doublée par d’innombrables  conciliabules confidentiels, à portes fermées, entre officiels ou officieux de divers horizons. Ainsi, une délégation iranienne avait rendez-vous avec des responsables du service d’action extérieure de l’Union européenne ; le représentant du Secrétaire Général des Nations Unies pour la Libye menait quant à lui des consultations discrètes. 

Sous réserve de ce que peuvent donner ces conversations dans les coulisses, toujours utiles, le constat principal qui se dégage de cette rencontre est bien la montée des tensions sans vraie recherche de terrains d’entente. Le maître des lieux, l’Ambassadeur Ischinger, a d’ailleurs conclu en disant que les problèmes avaient été identifiés mais que la manière de les traiter n’avait pas progressé. "To the Brink - and Back?". Force est de reconnaître que l’on ne voit pas pour l’instant d’instances ou de canaux de dialogue qui permettraient aux grand acteurs internationaux de se donner les moyens d’éviter le "précipice" qui est devant nous.

 

Crédit photo : Munich Security Conference

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