AccueilExpressions par MontaigneÀ l'Est, du nouveau !L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.22/11/2021À l'Est, du nouveau ! EuropeImprimerPARTAGERAuteur Dominique Moïsi Conseiller Spécial - Géopolitique Le fossé entre les pays membres historiques de l'Union européenne et ceux de l'ancien bloc communiste semble se creuser chaque jour un peu plus. Pourtant, il y a des signes tangibles de changement et d'alternance en Europe de l'Est et du Centre, qui doivent nous garder d'un trop grand pessimisme, écrit Dominique Moïsi.C'est en 1335 à Visegrad en Hongrie - un lieu hautement symbolique de l'histoire de l'Europe centrale - que les rois de Bohème, de Hongrie et de Pologne constituèrent une alliance anti-Habsbourg. C'est en 1991, plus de six siècles plus tard, que fut recréé, entre les mêmes pays, le "groupe de Visegrad". Ce nouveau triangle devint un groupe des 4 en 1993 avec l'indépendance de la Slovaquie. Son objectif n'était plus, comme en 1335, de faire face aux ambitions des Habsbourg d'Autriche, mais de rejoindre l'Autriche dans l'Union européenne, et d'intégrer l'Otan.En 2021, le groupe de Visegrad existe toujours. Mais son image a bien changé. Il apparaîtrait presque comme le "club des cancres" de l'UE : la réunion de mauvais élèves indisciplinés et peu respectueux de l'État de droit. Et l'illustration - sinon la confirmation pour certains - que l'élargissement de l'Union vers l'Europe du Centre et de l'Est avait été une "fausse bonne idée". Les pays du groupe de Visegrad (sans parler de la Bulgarie et de la Roumanie, pires encore) n'ont-ils pas en commun, au-delà de leur géographie, le fait qu'ils partagent des réflexes négatifs sur des questions essentielles : une démarche fermée et intransigeante sur les questions migratoires, une approche réactionnaire sur les questions sociétales, et plus encore, un respect à géométrie variable de l'État de droit.Le groupe de Visegrad serait ainsi l'illustration la plus parfaite de la fracture Est-Ouest grandissante au sein de l'Union européenne.L'alternance est en marcheLes pays du groupe de Visegrad ont certes constitué un terreau fertile pour la montée et la consolidation des populismes européens. Pourtant, la réalité sur le terrain est infiniment plus complexe que cette vision manichéenne et en apparence convaincante ne le laisserait penser. Pour plagier Erich Maria Remarque, "Il y a du nouveau à l'Est." On ne peut plus décrire sommairement le groupe de Visegrad comme un bloc populiste uni dans sa vision rétrograde du monde. Contrairement à ce que vient d'écrire la journaliste américaine Anne Applebaum dans le dernier numéro de la revue "The Atlantic" : "The Bad Guys are winning", les mauvais ne l'emportent pas toujours. L'Allemagne de Scholz, l'Italie de Draghi (la France de Macron demain encore ?) sont la démonstration éclatante que le pire n'est pas sûr.L'Allemagne de Scholz, l'Italie de Draghi (la France de Macron demain encore ?) sont la démonstration éclatante que le pire n'est pas sûr. Et ce schéma s'applique aussi à l'est et au centre de l'Europe. En Bulgarie, un parti anticorruption fondé il y a quelques mois à peine par deux anciens diplômés d'Harvard, Kiril Petkov et Assen Vassilev, a créé la surprise en l'emportant aux toutes dernières élections législatives - certes les troisièmes en un an, ce qui n'est pas un signe de bonne santé démocratique. Mais même à Sofia, l'alternance est en marche.Cette alternance, elle s'est manifestée aussi en Slovaquie, dans ce qui constitue sans doute la meilleure nouvelle intervenue récemment en Europe centrale. C'est une femme issue de la société civile, Zuzana Čaputová, qui est depuis 2019, la nouvelle présidente du pays. Il s'agit certes d'un poste doté de pouvoirs plus proches du modèle allemand que du modèle français. Mais il n'en demeure pas moins que l'élection de cette avocate libérale, pro-européenne, et avant tout soucieuse de la protection de l'État de droit face à la montée de la corruption, n'est pas qu'un simple épiphénomène. Sa victoire constitue plus qu'une brèche dans une vision strictement cynique et pessimiste de l'évolution de l'Europe centrale. Car, en République tchèque aussi, un modéré centriste, Petr Fiala, vient de réussir à former un gouvernement de coalition après la défaite surprise aux élections législatives d'octobre du parti d'Andrej Babiš : un entrepreneur populiste resté en place trop longtemps, qui était en train de devenir une humiliation pour le pays de Vaclav Havel.L'Allemagne, un rempartBien sûr, rien n'est réglé dans ces deux pays clés que sont la Hongrie ou la Pologne. Mais la République tchèque et la Slovaquie viennent de faire la démonstration que le groupe de Visegrad est tout sauf un bloc uni dans sa violation systématique et délibérée des valeurs de l'Europe.En Pologne, les ultraconservateurs sont toujours au pouvoir et ils viennent de bénéficier du soutien indirect de la Biélorussie de Loukachenko. Qui en Pologne s'opposerait à la construction d'un mur face à l'afflux de migrants ? Mais l'immense majorité de la société civile polonaise ne veut pas d'un mur de séparation avec l'Union européenne. En Hongrie, le régime de Victor Orbán flirte de plus en plus avec un autoritarisme à la Poutine ou à la Erdogan. Mais là encore la situation n'est pas figée et une coalition des forces de l'opposition pourrait comme en Tchéquie créer la surprise et imposer demain ce qui constitue le véritable et ultime test de la démocratie : l'alternance.L'Allemagne de par sa position géographique, sa centralité économique, et au-delà politique, pourrait-elle exercer une influence positive sur l'Europe centrale ?S'il est un pays qui a poussé hier à l'élargissement de l'Union européenne vers l'Est et le Centre, c'est bien l'Allemagne. Et la démocratie allemande va bien. L'alternance l'a emporté, l'extrême droite n'a pas seulement été contenue, elle a même légèrement reculé. L'Allemagne de par sa position géographique, sa centralité économique, et au-delà politique, pourrait-elle exercer une influence positive sur l'Europe centrale, ou pour le moins constituer une forme de rempart face aux tentations populistes les plus extrêmes à l'est de l'Union ?Égal égoïsme sur les migrantsMais l'espoir ne vient pas seulement de Berlin. La pandémie de Covid-19 contribue paradoxalement elle aussi à expliquer sur un plan politique, cette petite lumière positive venant de l'Est. Populisme, corruption et Covid ne font pas bon ménage.Pour autant la résilience de l'Allemagne, de l'Italie (et demain de la France ?) et les petites lueurs démocratiques venues du centre ou de l'est de l'Europe, ne signifient pas que le populisme est derrière nous.Et surtout, ne nous voilons pas la face. À la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, il n'y a pas que sur le drame des migrants de fracture Est-Ouest. Face au cynisme manipulateur d'un Loukachenko, les Européens - qu'ils soient de l'Est ou de l'Ouest - font preuve jusqu'à présent d'un égal égoïsme et d'une même et choquante absence d'humanité. Avec l'aimable autorisation des Echos (publié le 21/11/2021). Copyright : Wojtek Radwanski / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 04/10/2021 Le charme discret de la vie politique allemande Dominique Moïsi 05/07/2021 La voie étroite de l'Europe face à Viktor Orbán Dominique Moïsi