AccueilExpressions par MontaigneLes élections présidentielles au Venezuela : un jeu à somme nulleL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.16/05/2018Les élections présidentielles au Venezuela : un jeu à somme nulle États-Unis et amériquesImprimerPARTAGERAuteur Institut Montaigne Dans un contexte de crise politique, économique et sociale majeure, les Vénézuéliens sont appelés aux urnes dimanche 20 mai prochain, afin d’élire leur président de la République. Le président sortant, Nicolás Maduro, bien que tenu pour responsable du chaos dans lequel vit actuellement le pays, semble être en passe d’emporter ce scrutin alors que son seul véritable adversaire - après que la coalition de l'opposition vénézuélienne ait refusé de participer à l’élection -, Henri Falcón, est en tête des sondages. Paula Vasquez, anthropologue et sociologue experte du Venezuela, chargée de recherche au CNRS, nous livre son décryptage des enjeux de ce scrutin. Pourquoi avoir avancé la date du scrutin, initialement prévu fin 2018, au premier trimestre de la même année, avant de la repousser au 20 mai prochain ?Plusieurs facteurs sont à l’origine des modifications récentes de la date du scrutin. Tous les changements du calendrier électoral s’inscrivent dans une histoire plus longue, qui remonte à 2015 lorsque l’opposition a remporté la majorité des sièges à l'Assemblée nationale - avant d’être déchue suite à la convocation par le président Maduro d’une constituante destinée à la neutraliser. Cette Assemblée constituante a dépossédé le Parlement de ses pouvoirs, le réduisant à une sorte de coquille symbolique. Depuis, l’agenda électoral est en permanence négocié dans un contexte de tensions extrêmement fortes entre Nicolás Maduro et la commission électorale en charge de l’organisation du scrutin. La modification de la date du scrutin s’inscrit également dans un contexte politique et social particulièrement tendu, marqué par une crise de confiance vis-à-vis de l’autorité électorale. Suite à la profonde crise politique qu’a connu le Venezuela en 2017, le premier trimestre de 2018 a conduit à la fin du pouvoir législatif en tant que tel. Des négociations ont ainsi été menées en République dominicaine visant à trouver des solutions politiques à la situation dans laquelle se trouve le pays. L’opposition exigeait un remaniement de la Commission électorale ainsi que la présence d’observateurs internationaux pour garantir une certaine impartialité qui n’était pas assurée - en effet, selon l’entreprise en charge du vote électronique, une importante possibilité de fraude était à prévoir. Dans ce contexte, la moindre des choses aurait été que le gouvernement de Nicolás Maduro modifie les bureaux électoraux, ce qui n’a pas été fait. Ceci a entraîné une déroute profonde des négociations et une perte de légitimité du président Maduro qui a donc organisé l’élection à une date plus favorable pour lui. L’absence d’argument officiel pour expliquer ce changement de date est un signe supplémentaire de la profonde crise de légitimité du gouvernement de Maduro et du manque de confiance des Vénézuéliens vis-à-vis de leur système électoral. Seize pays ont averti, lors du sommet des Amériques des 13 et 14 avril derniers, que "sans garanties électorales, la présidentielle du 20 mai serait illégitime" ; et la coalition de l'opposition vénézuélienne refuse de participer à ce scrutin. Quelles sont les implications pour l'issue des élections de ces différentes déclarations ? Différents gouvernements européens ont d'ores et déjà déclaré que l’élection serait illégitime. Ainsi, même si Nicolás Maduro venait à l’emporter, cette élection constituerait un échec car elle ne serait pas adoubée par la communauté internationale. Les conséquences pour la population vénézuélienne sont dramatiques : elle se demande jusqu’où le président Maduro est prêt à aller pour se maintenir au pouvoir. La population est déjà fortement fragilisée avec notamment un état de santé extrêmement dégradé dû à l’effondrement du système d’importation de médicaments. En outre, la situation économique, marquée par une crise de PDVSA (Petróleos de Venezuela), la compagnie pétrolière nationale - que la simple montée du prix du pétrole ne suffira pas à résoudre -, associée à la destruction de l’économie non-pétrolière, dessine un panorama terrible pour la population. Sans changement de gouvernement, on ne peut espérer une amélioration de cette situation. Les partis d’opposition ont appelé à ne pas participer aux élections dans un contexte où le gouvernement a recours à des procédures extrêmement répressives visant à les museler. La situation est particulièrement complexe, marquée par un déchirement de l’opposition qui soulève de nombreuses interrogations. La question n’est plus de savoir s’il faut voter ou pas mais plutôt que va-t-il se passer au lendemain des élections. Quel positionnement va être pris ? Est-ce que l’opposition va le soutenir si Henri Falcon, principal opposant à Maduro, crie à la fraude ? Est-il véritablement un adversaire du régime actuel ? Malgré la crise politique, économique et sociale majeure qui traverse le pays, les analystes s'accordent à dire que Nicolas Maduro remportera probablement ce scrutin. Pensez-vous qu'Henri Falcon, son principal opposant, qui le devance actuellement dans les intentions de vote, puisse remporter cette élection ? C’est très difficile à dire car les capacités de recherche ou d’effectuer des sondages sont rares au Venezuela, en raison de la répression. Le Venezuela fait face à une forme de répression subtile car c’est un régime dictatorial qui, contrairement à d’autres tels que Cuba, ne réprime pas la délinquance. Ainsi, le relatif “ordre social” qui va souvent de pair avec les dictatures n’est pas présent au Venezuela, qui combine donc une grande criminalité et un état répressif. Cela donne lieu à des situations où il est difficile de distinguer la violence fruit de délinquance et celle issue de la répression. Outsider, Henri Falcon a contribué à l’implosion de la - déjà très affaiblie - coalition de l’opposition vénézuélienne. Cet ancien officier de l’armée de terre, issu du chavisme, qui fut gouverneur de l’Etat de Lara semble rappeler Hugo Chavez, malgré son manque de charisme. Bien qu’il sache s’adresser au peuple en jouant notamment sur les pénuries alimentaires dramatiques, son programme économique demeure très faible. De plus, de nombreuses questions entourent sa candidature : qui le soutient politiquement ? Par qui est-il financé ? Il provoque en outre des interrogations quant à l’authenticité de son opposition à Nicolas Maduro. Il a en effet accepté de jouer le jeu des élections et a ainsi rompu l’accord de l’opposition concernant la demande de garanties électorales, ce qui ne semble pas refléter un véritable désir de changement et de réforme profonde des pratiques politiques vénézuéliennes. Dans le cas où Nicolas Maduro l’emportait, comme le prévoient les analystes, sans reconnaissance internationale, il est difficile de prédire ce qu’il compte faire : il risque de verrouiller encore plus la répression, limitant ainsi de nouveau les marges de manoeuvre de l’opposition. C’est cette coexistence contradictoire entre une forte incertitude et une forme de lassitude due au sentiment que cette élection ne peut rien changer qui domine dans l’opinion publique vénézuélienne. ImprimerPARTAGERcontenus associés 29/11/2017 Le Venezuela, de la prospérité à la faillite : entretien avec Kevin Parthen... Institut Montaigne 01/03/2018 Cryptomonnaie : le Venezuela mise sur le Petro. Trois questions à Éric Chan... Institut Montaigne