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03/06/2021

Les deux politiques africaines du Président Macron - éléments d’un premier bilan

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Les deux politiques africaines du Président Macron - éléments d’un premier bilan
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Emmanuel Macron est arrivé à l’Élysée avec des convictions fortes sur l’Afrique. 

Il les a exprimées notamment lors de son discours de Ouagadougou en novembre 2017 : sortir du "pré-carré" francophone ("l’Afrique, c’est 54 pays"), miser sur la jeunesse et donc sur l’éducation, s’attaquer à certains blocages psychologiques liés au passé colonial (Algérie) et post-colonial (Rwanda), positionner l’Europe et la France sur cette réserve de croissance majeure pour les décennies à venir que constitue le continent.

Le Président a aussi compris d’emblée que se concentre en Afrique une grande partie des "enjeux globaux" que connait la planète : changement climatique, démographie, terrorisme, développement, santé notamment. Par ailleurs, il a fait le choix - là aussi d’emblée - de maintenir notre engagement militaire au Sahel et plus généralement d’assumer une certaine continuité vis-à-vis de l’Afrique francophone. Il est artificiel bien sûr de parler de "deux politiques africaines" du Président - celles-ci composent dans son esprit une stratégie cohérente - mais pour la commodité de la réflexion, cette dualité peut avoir son intérêt. 

Un repositionnement vers une "Afrique globale"

Focalisons-nous d’abord sur la "première politique" : la recherche d’un repositionnement de la France vers une Afrique "globalisée" a connu quelques succès notables, comme on a pu le constater au mois de mai, à la faveur de toute une séquence d’événements. 

Ce fut d’abord le 17 mai le sommet à Paris sur le Soudan : la France s'est engagée sur un prêt relais à hauteur de 1,5 milliard de dollars pour consolider la transition dans ce pays ; ce qui est surtout remarquable, c’est qu’elle soit apparue comme le catalyseur des efforts de la communauté internationale sur un dossier qui jusqu’ici n’appartenait pas à sa zone d’influence.

Le lendemain, également à Paris, le sommet sur le financement des économies d’Afrique subsaharienne permettait de faire la démonstration de la capacité de la France à mettre le poids dont elle dispose dans le système multilatéral au service des intérêts de l’Afrique. 

Le sommet du 18 a permis d’ouvrir des perspectives sur la dette africaine, notamment par le biais d’une prochaine émission de DTS par le FMI - "pour que 33 milliards de dollars deviennent 100 milliards" a dit le Président -, ainsi que sur la vaccination des pays africains.

La recherche d’un repositionnement de la France vers une Afrique "globalisée" a connu quelques succès notables.

À cette occasion, plusieurs des chefs d’État des pays africains non francophones invités par le Président (Afrique du Sud, Ghana, Nigeria) ainsi que la directrice générale du FMI avaient fait le déplacement à Paris ; un des quatre vice-Premiers ministres chinois, Han Zheng, et la Secrétaire d’État au Trésor américaine, Janet Yellen, ont participé par visio-conférence. L’enjeu est évidemment d’éviter autant que possible que la crise du Covid-19 n’aggrave le décrochage entre les économies africaines et les économies développées. 

Quelques jours plus tard, la visite du Président au Rwanda aboutissait à un résultat important, peut-être historique, à savoir la normalisation des relations entre Paris et Kigali sur la base d’une reconnaissance par la France des "responsabilités accablantes" qui furent les siennes lors du génocide rwandais en 1994. On sait que le Président s’est appuyé sur le rapport de la commission présidée par Vincent Duclert sur le génocide au Rwanda, remis à l’Élysée le 26 mars. 

Dans son discours au mémorial du génocide à Kigali, le Président a trouvé les mots justes -"seuls ceux qui ont traversé la nuit peuvent peut-être pardonner, nous faire le don de nous pardonner" - sans pour autant verser dans la repentance. M. Kagamé, dont l’étoile a pâli dans le monde anglo-saxon, paraît pour l’instant disposé à entrer dans la logique de la réconciliation. C’est certainement un élément positif pour lever l’un des blocages psychologiques pesant sur la relation franco-africaine - de même que le rapport Stora sur la mémoire de la colonisation en Algérie, remis à l’Elysée le 21 janvier, même si à la différence de M. Kagamé, les autorités algériennes ne se sont pas déclarées satisfaites.

Notons dans le même registre que le Président Macron a pris au cours des années écoulées d’autres mesures pour prendre en compte la sensibilité de certains secteurs de l’opinion africaine : il s’est engagé sur la voie du démantèlement du Franc CFA, se heurtant d’ailleurs à la réticence de la plupart des chefs d’États africains concernés ; il a confié à l’historien camerounais Achille Mbembe, l’un des intellectuels africains phares, animateur des Ateliers de la pensée de Dakar, l’organisation d’un sommet franco-africain des société civiles qui doit se tenir à Montpellier au mois de novembre ; ou encore, il a engagé les premiers pas d’une démarche de restitution des biens culturels africains aux pays d’origine.

Après Kigali, le Président Macron s’est rendu à Pretoria. Il partage avec le Président Cyril Ramaphosa l’objectif de développer rapidement en Afrique du Sud une capacité de production de vaccins anti-Covid. Il a à cette occasion infléchi sa position sur la levée des brevets concernant ces vaccins (il avait dans un premier temps montré une réaction réservée).

Au total donc, on peut estimer que le président de la République a marqué des points dans sa stratégie visant à "changer le regard de l’Afrique sur nous", selon sa formule, et à élargir le cadre de notre propre approche vis-à-vis de l’Afrique. La première de ses "deux politiques africaines" paraît commencer à donner des résultats. Une des questions que l’on peut se poser à ce stade est la suivante : n’est-il pas rattrapé par les réalités, sinon de la "Françafrique" proprement dite, du moins par son ombre - dans un autre secteur de notre action, notamment au Sahel ? 

Le Président Macron a pris au cours des années écoulées d’autres mesures pour prendre en compte la sensibilité de certains secteurs de l’opinion africaine.

L’ombre de la Françafrique 

Là aussi, une séquence d’évènements récents apporte des éléments de réponse. Ainsi, le sommet de Nouakchott, en février 2021, avait été conçu comme un rendez-vous de suivi du sommet de Pau, tenu en janvier 2020, qui avait été marqué par un renforcement de 600 hommes de l’opération Barkhane, c’est-à-dire de l’intervention militaire française au Mali (5 000 militaires).

Il était attendu qu’à l’occasion du sommet de Nouakchott, le Président annoncerait un retrait de ces 600 éléments de renfort. On pouvait aussi penser que M. Macron ferait état d’une intention de révision de notre posture au Sahel, dont il est généralement admis qu’elle ne pourra pas se prolonger à son niveau et sous sa forme actuels. En fait, il n’en a rien été, confirmant qu’à côté d’un Macron ambitieux et novateur vis-à-vis de l’Afrique globale, existe aussi un Macron plus classique, prudent et réaliste, dans la relation avec l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale - celui de la "seconde politique africaine". 

Sur ce plan, on avait pu observer que le président de la République avait dû finalement accepter la décision de M. Ouattara de se représenter à la tête de la Côte d’Ivoire, après qu’il se fût engagé à se retirer de la vie politique. Il est vraisemblable que la France ne pourra s’opposer aux successions dynastiques apparemment inévitables au Cameroun ou au Congo Brazzaville. 

Mais les déboires sont venus du cœur même de notre stratégie au Sahel. D’abord avec la mort dans des conditions très suspectes du Président Idriss Déby du Tchad, le 19 avril 2021. M. Macron a été le seul chef d’État occidental à assister aux obsèques de cet allié historique de la France. Attitude courageuse, mais qui illustre bien les dilemmes de la présence française dans la région : nous avons absolument besoin de l’armée tchadienne pour le succès de Barkhane. Il nous est donc très difficile de marquer un désaccord trop net - M. Macron l’a fait mais après avoir paru montrer dans un premier temps qu’il s’en accommodait - à la succession purement dynastique qui a été amorcée au Tchad. 

Deuxième déboire : le coup d’état dans le coup d’état au Mali, les 24-25 mai, conduisant à la prise du pouvoir encore plus directe (accession à la présidence) du colonel Assimi Goïta, lequel avait évincé il y a quelques mois le Président Ibrahim Boubacar Keïta.

M. Macron a menacé de retirer nos troupes de l’opération Barkhane si la transition malienne n’était pas remise sur les rails.

Les événements de ces derniers jours mettent de nouveau en évidence une présence d’une Russie et d’une Turquie promptes à exploiter d’éventuelles difficultés dans l’action de la France.

Pour Paris, les risques sont nombreux : l’un d’entre eux étant que les militaires au pouvoir à Bamako ouvrent des négociations avec certains des groupes djihadistes qui ont tué des soldats français - et dont la neutralisation est la raison d’être de notre engagement militaire. Un autre risque serait de devoir cautionner un régime dénué de toute légitimité. Un troisième risque - qui est déjà une réalité - est d’aggraver l’impopularité de la France dans les opinions de la région ; celle-ci voient dans l’intervention française un prétexte pour couvrir des intérêts inavouables, dans le cadre d’une complicité avec les régimes autoritaires locaux. 

En arrière-plan, les événements de ces derniers jours mettent de nouveau en évidence une présence d’une Russie et d’une Turquie promptes à exploiter d’éventuelles difficultés dans l’action de la France. Plus généralement, un doute existe maintenant sur l’ampleur de la mainmise de l’islam politique sur une immense zone. 

Esquisse de bilan 

Dans ces conditions, quelle analyse peut-on faire de la stratégie africaine de M. Macron ? Nous avancerons l’idée que l’articulation entre les "deux politiques" que nous avons évoquées pourrait fournir - dans quelques mois, à la fin du quinquennat actuel - une grille de lecture. On peut notamment imaginer que :

  • une accumulation de déboires dans notre engagement au Sahel non seulement finisse par nous obliger à mettre un terme à celui-ci dans de mauvaises conditions (c’est le scénario d’un "Afghanistan à la française") mais qu’elle nuise aussi aux gains obtenus dans le cadre du repositionnement de la France vers l’"Afrique globale" ; 
  • à l’inverse, des succès dans la "première politique africaine" de M. Macron - notamment par un réel changement d’image de la France - aide celui-ci à gérer l’évolution nécessaire de notre posture au Sahel. 

Dans un autre registre, une sorte de consensus se dégage : la stratégie du Président n’a pour l’instant pas permis de renverser la timidité des entreprises françaises - en dehors de quelques groupes traditionnels - à se saisir des opportunités de l’économie africaine. Emmanuel Macron en convient avec franchise dans l’interview qu’il a accordée à Antoine Glaser et Pascal Airault pour leur livre Le piège africain de Macron. Sur des secteurs particulièrement porteurs dans l’Afrique d’aujourd’hui - l’agro-alimentaire ou la ville - les milieux d’affaires français ont pourtant des cartes à jouer. Enfin, dans quelle mesure la création d’un "axe Europe-Afrique", qui doit être finalement le point d’aboutissement de la stratégie du Président, a-t-elle avancé ? Réponse sous la présidence française de l’UE, au premier semestre 2022.

 

 

Copyright : Ludovic MARIN / AFP

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