Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
10/10/2012

L’énergie s’immisce dans le débat sur la compétitivité de l’Europe

Imprimer
PARTAGER
L’énergie s’immisce dans le débat sur la compétitivité de l’Europe
 Iana Dreyer
Auteur
Chercheuse associée à l’Institut Montaigne



Les enjeux climatiques ont dominé la politique énergétique européenne ces dernières années. Mais, dans une Europe en proie à une crise industrielle majeure et à un décrochage de compétitivité, la question énergétique en tant que telle s’invite de plus en plus dans les débats qui se tiennent dans les Etats-membres et à Bruxelles sur l’avenir du tissu productif du Vieux continent.

La rencontre annuelle des membres du Parlement européen issus de la majorité actuelle, qui s’est tenue à Berlin du 4 au 6 octobre derniers, a reflété cette récente évolution. Dédiée avant tout à la crise de la zone euro, cette université d’été a eu pour invitée surprise la question énergétique.

Une stratégie énergétique européenne favorisant des prix élevés

Les Etats membres de l’Union européenne – Allemagne en tête – ont ces dernières années poursuivi des politiques énergétiques favorisant des prix élevés, censés modérer la consommation et favoriser l’efficacité énergétique de l’industrie. Cependant, le subventionnement massif des énergies renouvelables dans le cadre des objectifs de la politique "20-20-20"[1] fait de plus en plus débat dans un contexte de maintien de prix élevés pour le pétrole et d’accroissement du coût s’agissant de l’électricité.

Les conséquences économiques de la décision allemande d’accélérer sa sortie du nucléaire suite à l’accident de Fukushima au Japon l’année dernière commencent à se faire sentir. Les consommateurs d’électricité subissent des hausses de facture significatives car les prélèvements en vue de subventionner les énergies renouvelables et de financer l’adaptation des réseaux électriques augmentent. Les grandes industries allemandes – chimie, sidérurgie, entre autres – très consommatrices d’énergie, sont exemptées de ces charges. Mais cette politique est remise en cause par la grogne des consommateurs allemands et risque d’être retoquée par la Cour de Justice Européenne comme aide d’Etat illégale.

En France, plus 85 % des 70 milliards d’euros du déficit de la balance commerciale du pays sont du seul fait des importations de pétrole et de gaz. L’ensemble de la filière électrique subit actuellement des hausses de coûts. Les autres pays européens font face à des évolutions similaires. Avec la "révolution du gaz de schiste" aux Etats-Unis, l’industrie européenne est désavantagée.

Si l’Europe subit une énergie chère, les Etats-Unis bénéficient des effets positifs de la "révolution du gaz de schiste" depuis 2007. Les prix du gaz sont désormais, chez nos partenaires américains, au quart des prix européens. Les Etats-Unis parviennent ainsi à résoudre trois problèmes à la fois :
1) la part du charbon dans la production électrique diminue, ce qui permet de réduire significativement leurs émissions de CO2 ;
2) ils fournissent une électricité abondante et peu chère à l’industrie ;
3) ils réduisent leurs importations d’hydrocarbures. Selon certaines estimations, la baisse des coûts de l’énergie permettrait à l’économie américaine de gagner 0,5 point de PIB entre 2012 et 2016 [2]. A l’heure où l’Europe peine à retrouver le chemin de la croissance, une telle divergence avec les Etats-Unis représente un défi majeur de compétitivité.

Un débat énergétique de fond lancé au sommet de l’Europe

Le Commissaire à l’Energie, Günther Oettinger, qui est intervenu durant cette université d’été, a tiré la sonnette d’alarme. Les prix de plus en plus élevés en Europe ne sont plus "acceptables" a-t-il souligné. La politique énergétique européenne "doit aussi être une politique industrielle" :avec les évolutions des marchés du gaz, "l’électricité va devenir la mesure de toutes choses" en matière de compétitivité. Le Commissaire présente ainsi une vue différente de celle proposée jusqu’à il y a peu par l’institution dont il est issu.

Dans une tribune récente, Jean-Paul Tran Thiet, membre du Comité directeur de l’Institut Montaigne, a appelé à faire de la politique énergétique un "véritable levier de la compétitivité" et à l’Europe de "penser ensemble" son avenir énergétique. Les conclusions d’un groupe de travail sur la politique énergétique en France et en Europe seront présentées lors du prochain forum franco-allemand de Genshagen, dédié cette année aux questions d’énergie.

A ce titre, le débat qui s’amorce au niveau européen promet d’être riche.

Notes

[1] La politique énergétique européenne en vigueur depuis 2009 a arrêté l' « initiative 20-20-20 » pour 2020 : réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, accroître de 20 % la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique totale, accroître l'efficacité énergétique afin d'économiser 20 % de la consommation d'énergie.

[2] The Economist, « Gas works. Shale gas is giving a boost to America’s economy », 14 juillet 2012

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne