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28/01/2021

Le Comité interministériel de la mer fixe le cap

Trois questions à Pierre Sallenave

Le Comité interministériel de la mer fixe le cap
 Pierre Sallenave
Consultant en stratégie et développement territorial

Vendredi dernier se tenait le Comité interministériel de la mer (CIMer), chargé de fixer les orientations de l'action gouvernementale dans tous les domaines de l'activité maritime. Pierre Sallenave, auteur de la noteCompétitivité de la vallée de la Seine : comment redresser la barre ?revient sur les principales orientations et annonces faites lors de ce rendez-vous.

Que retenir des annonces faites par le Premier ministre ?

Concernant la politique portuaire, il faut saluer une affirmation extrêmement importante : la performance du service logistique rendu aux clients, non seulement dans les ports mais aussi dans tout leur hinterland, est un levier déterminant du développement de nos hubs portuaires.

Aujourd’hui, la compétitivité des ports du Benelux et d’Allemagne repose sur une automatisation poussée, une rotation rapide des stocks et plus largement le souci constant des différents acteurs de gagner du temps, à la faveur notamment d’entrepôts nombreux et flexibles. L’amélioration de notre performance portuaire passe impérativement par la mise en place d’une organisation logistique plus optimale et le développement de solutions de transport massifié. 

Anvers ou Rotterdam assurent plus de 50 % de leurs pré et post acheminements par voies fluviale et ferroviaire, alors qu’en France on estime que ces deux modes ne représentent pas plus de 10 % des flux. Le développement du transport massifié doit permettre de capter de nouveaux trafics et de réduire considérablement l’empreinte carbone des transports. 

L’amélioration de notre performance portuaire passe impérativement par la mise en place d’une organisation logistique plus optimale et le développement de solutions de transport massifié.

L'ambition portée lors du CIMer vous semble-t-elle suffisante pour reconquérir des parts de marché sur les ports concurrents étrangers ?

L'ambition est la bonne. La fusion des trois ports de l’axe Seine (Le Havre, Rouen, Paris), réunis à partir du 1er juin 2021 dans un établissement public unique (Haropa), va faciliter la mise en cohérence, et ainsi permettre de renforcer leur compétitivité. 

À ce titre, les intentions affichées par Haropa dans son plan stratégique peuvent d’ores et déjà être saluées.

En outre, le lancement d’une réflexion sur les mesures fiscales permettant de dynamiser l’attractivité des zones industrialo-portuaires et d’améliorer leur compétitivité vis-à-vis de leurs concurrents européens est louable. Ma note va dans ce sens, en formulant l’idée de la création d’un ensemble de zones de compétitivité logistique le long de l’axe-Seine.

Cependant, l’urgence est aujourd’hui à l’action. Depuis 25 ans, les faiblesses sont bien identifiées, et les ambitions globalement honorables. La concrétisation de celles-ci repose sur un fort volontarisme politique, éminemment nécessaire au regard des enjeux, et seul susceptible de rappeler que le recul du port du Havre dans la compétition européenne et mondiale n’est pas une fatalité.

Fixer des objectifs de résultats à très court terme est une nécessité. De la même manière, imposer des délais courts afin que les acteurs publics et privés s’entendent sur les moyens d’y parvenir doit permettre d’enclencher une dynamique vertueuse. 

Dans un domaine où rien ne peut avancer de façon spontanée, étant donné les intérêts divergents des différents acteurs, l’intérêt général impose que l’État assume un rôle de stratège. 

En particulier, l'objectif de report modal annoncé par le Premier ministre lors de son allocution à l’occasion du Comité interministériel de la mer, qui vise à accroître de 30 % la part des modes de transport massifiés dans les pré et post acheminements portuaires à horizon 2030, ne saurait rester vœu pieux.

En tout état de cause, l'impulsion doit être vigoureuse sous peine de rester dans l'incantation et l'immobilisme qui ont caractérisé l’action publique en la matière au cours des dernières décennies. 

 Pour atteindre cet objectif, je propose la mise en place d’un système incitatif de bonus-malus qui faciliterait la mutualisation des coûts fixes de manutention du transport fluvial. Cette solution conduirait à une réduction du surcoût structurel de la desserte fluviale par rapport au transport routier, et doit ainsi permettre d’impulser une croissance de la part du mode fluvial dans les modes d’acheminement.

En tout état de cause, l'impulsion doit être vigoureuse sous peine de rester dans l'incantation et l'immobilisme qui ont caractérisé l’action publique en la matière au cours des dernières décennies. 

Pourquoi l'amélioration de l'attractivité et de la compétitivité des zones industrialo-portuaires doit-elle être au cœur de notre stratégie portuaire ? 

Les ports doivent être au service de l'économie nationale au travers de leurs clients, et les infrastructures portuaires peuvent être le fer de lance des stratégies de relocalisation des activités industrielles. Leur performance est un des leviers dont nous disposons pour aider l'industrie française à retrouver de la compétitivité et à se redévelopper. 

La vallée de la Seine ne saurait être un simple lieu de transit de marchandises. Le développement de zones logistiques le long de l’Axe-Seine, par le déploiement d'infrastructures de stockage ou de manutention, doit se faire en lien avec les besoins des opérateurs et des chargeurs. Ces zones doivent avoir la capacité de capter de nouveaux trafics, et ainsi d’entraîner la fixation d'activités de production ou de transformation industrielles à haute valeur ajoutée. En effet, la valorisation de la marchandise à chaque rupture de charge est le seul moyen de compenser le coût intrinsèque de cette rupture de charge.

Le développement d’un ensemble de zones de compétitivité logistique sur l’axe Paris-Le Havre, qui doit offrir des solutions de report modal tout en bénéficiant de la proximité des infrastructures portuaires, doit favoriser l’éclosion de projets industriels à haute valeur ajoutée. 

La réussite de ce projet représente un enjeu clé en matière d'emploi et de prospérité, de préservation de l'environnement, mais aussi d'indépendance et de souveraineté. Si la France en a profondément besoin, le succès de l'axe Seine et du couloir rhodanien constitue d’ailleurs un enjeu plus vaste, de dimension européenne. 

 

Copyright : Sameer Al-DOUMY / AFP

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