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22/02/2021

L’Amérique de retour - Où sont les Européens ? La Conférence sur la sécurité de Munich 2021

L’Amérique de retour - Où sont les Européens ? La Conférence sur la sécurité de Munich 2021
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Joe Biden a choisi la Conférence sur la sécurité de Munich - dans une version virtuelle cette année - pour prononcer sa première intervention majeure de politique étrangère devant une audience internationale. 

Dans le cadre de cette enceinte archi-classique de la relation de défense États-Unis-Europe, le nouveau Président a proclamé que "les États-Unis sont de retour" et affiché que cela passe en priorité par le rétablissement de la relation transatlantique. M. Biden, pour bien marquer la différence avec son prédécesseur, a réaffirmé le caractère central de l’article V du traité de l’Atlantique Nord (la clause de défense mutuelle). Il a rappelé qu’il annulait la décision de départ d’une partie des troupes américaines d’Allemagne prise en fin de parcours par l’administration Trump. 

Après le président américain, se sont exprimés la Chancelière Merkel depuis Berlin, le président Macron depuis Paris et enfin (avec un temps de retard dû à son rôle de président du G7 - dont un "sommet" également virtuel s’était tenu juste avant la conférence de Munich), le Premier Ministre britannique depuis Londres. 

Si l’on examine les commentaires provoqués par cet échange de déclarations, il apparait que deux lectures de l’évènement "Munich 2021" sont possibles. Selon une première lecture, les pièces du puzzle transatlantique se rapprochent certes, mais restent dispersés.

Les pièces du puzzle transatlantique se rapprochent certes, mais restent dispersés.

Les propos soigneusement rédigés du président américain ont mis en scène un "point d’inflexion" dans l’histoire des démocraties : celles-ci sont désormais menacées par les pouvoirs autoritaires, et d’abord par la Chine ainsi que par la Russie (pour laquelle il a eu des mots durs). Il faut donc que les alliés de l’Amérique, en Europe et d’ailleurs également en Asie, se rassemblent pour faire face à ce vaste défi. Cela demandera des efforts dans la durée - c’est une stratégie de type "containment" qu’envisage M. Biden vis-à-vis de la Chine - mais les ressources internes aux régimes libres doivent assurer la victoire

Le président américain ne fait pas allusion à une éventuel "rééquilibrage" de la relation transatlantique. 

La Chancelière et le président de la République se sont déclarés en harmonie avec l’intervention de M. Biden et enchantés du retour de l’Amérique. L’une comme l’autre se sont toutefois abstenus d’endosser la vision d’une alliance des démocraties contre la Chine. La Chancelière a insisté sur la contribution qu’apporte l’Allemagne aux opération de l’Otan en Afghanistan et en Irak et son effort pour atteindre l’objectif de 2 % de son PIB pour les dépenses militaires (elle en est à 1,5 %). Elle a critiqué le comportement russe sans pour autant mentionner une révision de Nord-Stream II. Elle a indiqué en passant que l’Otan et la défense européenne étaient complémentaires. Les commentateurs notent sa prudence sur la Chine. 

Emmanuel Macron a indiqué les principaux éléments qui permettraient à "l’Ouest" (vocable pas si habituel dans la bouche d’un président de la Ve République) de redresser sa situation dans la compétition avec les autoritaires. Comme il l’avait fait au G7, il a avancé une proposition précise pour la "diplomatie des vaccins" : couvrir les besoins de l’ensemble du personnel soignant en Afrique (13 millions de doses pour 6,6 millions de soignants). Il a aussi énuméré les crises - du Sahel à l’Iran en passant par la Syrie ou le Haut-Kharabakh - pour lesquelles une coopération entre Européens et Américains était nécessaire. 

Les commentateurs retiennent cependant deux aspects de l’intervention du président français : sa défense réaffirmée de l’autonomie stratégique européenne et son plaidoyer intact en faveur du dialogue avec la Russie. Ajoutons que Boris Johnson a prononcé un discours très construit, qui peut être considéré comme la première formulation cohérente de la diplomatie de "Global Britain" : celle-ci fait une large place à la confrontation avec la Chine et avec la Russie.

Une autre lecture que celle du "puzzle transatlantique éparpillé" nous parait cependant pertinente. 

En premier lieu, s’il y a en effet entre les deux rives de l’Atlantique et d’ailleurs entre les Européens eux-mêmes des différences, un tronc commun de préoccupations se dégage fortement des échanges de la conférence de Munich. La pandémie, le changement climatique, la relance mondiale sont bien - avec le dossier nucléaire iranien - les tâches communes perçues comme prioritaires, avec une conscience commune que c’est là que se joue en priorité la "concurrence des modèles" avec les autoritaires. Aucune divergence ne s’est exprimée sur ces sujets dont il n’est pas anodin d’observer qu’ils correspondent à un agenda sur lequel les Américains rejoignent les Européens. 

Dans le même sens, puisque le Français fait nécessairement figure de "vilain petit canard" dans la mare transatlantique, il faut souligner que le président Macron est allé loin dans l’affirmation de sa "croyance en l’OTAN" et même dans les travaux qui vont commencer en vue de la révision de son "concept stratégique"

Une conscience commune, c’est là que se joue en priorité la "concurrence des modèles" avec les régimes autoritaires.

Incidemment, la discussion virtuelle de Munich devrait relancer le débat entre experts américains sur "quel partenaire privilégier en Europe ?" - entre a/ Allemands très atlantistes mais en retrait sur la Chine, b/ Français en dehors du "mainstream" sur la Russie et la défense européenne mais présents sur les théâtre d’opération et sur les enjeux globaux, c/ Britanniques décidés à retrouver un rôle global, désireux de se rendre utiles, handicapés cependant par l’affaiblissement de leurs liens avec l’UE et dont le crédit international reste incertain. 

En second lieu, il y a les déclarations et il y a les actes. Dans les jours précédant Munich, trois rencontres ont marqué un progrès considérable dans la coopération transatlantique - largement du fait d’une capacité nouvelle des Américains à écouter leurs alliés. Une rencontre le 17 des ministres des Affaires étrangères dans le format "E3 plus 1", c’est-à-dire Allemagne, France, Royaume-Uni plus États-Unis a permis une avancée sur le dossier nucléaire iranien, en offrant à Washington la possibilité d’indiquer sa disponibilité à entamer des négociations avec l’Iran sur un retour au JCPOA sans renier ses objectifs à long terme sur un "JCPOA+". Une conférence des Ministres de la défense de l’OTAN les 16 et 17 s’est traduite par des décisions précises sur l’Afghanistan et l’Irak (avec sur ce dernier point un rehaussement de la contribution des Européens à la mission de formation de l’Otan). Enfin, le "sommet du G7" a aussi été un succès. 

Ajoutons un codicille à ces éléments de réflexion. Cette conférence virtuelle de Munich constitue un miroir déformant. Elle donne une prime aux "Grands Européens" alors que la dynamique européenne est plus complexe que celle des différences internes au trio. Le rôle de l’UE y est minimisé. Certains acteurs potentiellement majeurs ne figuraient pas au générique : ainsi M. Erdogan, dirigeant d’un pays important de l’OTAN et partenaire difficile de l’Europe ; ou encore M. Draghi, le nouveau président du Conseil italien, dont l’expérience internationale devrait redonner du poids à son pays au moment où celui-ci préside le G20. 

Enfin, par construction, la conférence de Munich ne présente pas un caractère décisionnel : un test plus important d’un éventuel nouveau départ de la relation transatlantique pourrait être le prochain sommet de l’OTAN que Boris Johnson et d’autres chercheront à organiser au printemps, en présentiel, lors du déplacement envisagé de M. Biden pour le "vrai" sommet du G7.

Copyright : MANDEL NGAN / AFP

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