AccueilExpressions par MontaigneLa Pologne ou le paradoxe eurosceptiqueL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.07/12/2016La Pologne ou le paradoxe eurosceptique Union EuropéenneImprimerPARTAGERAuteur Institut Montaigne En 2015, la République de Pologne a tenu des élections législatives qui ont porté au pouvoir les représentants du parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwo??, PiS). Depuis cette date, le gouvernement polonais attire l'attention de la presse européenne et apparaît comme le moteur premier partisan des idées eurosceptiques. La Pologne de Beata Szyd'o souhaite-t-elle pour autant sortir de l'UE, à l'instar de leur allié britannique ? Une tradition europhile Tôt après la chute de l’Union soviétique, la Pologne a émis le souhait de participer à la construction européenne. Cette volonté est d’abord politique : pour une partie des Polonais, il s’agit d’un véritable « retour à l’Europe » après la fin de l’expérience communiste. Mais elle est également économique : le pays a besoin de nouveaux débouchés pour ses industries. Après un premier accord d’association signé en 1991, la Pologne dépose sa demande officielle d’adhésion en 1994. Pour pouvoir intégrer la Communauté européenne, puis l’Union européenne, le pays doit néanmoins réaliser d’importantes réformes afin « d’intégrer l’acquis communautaire ». Une fois passée cette difficile étape, la Pologne organise en 2003 un référendum que les partisans d’une adhésion à l’Union européenne (UE) remportent avec plus de 77 % des voix. Quelques années auparavant, en 1999, le pays avait rejoint l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Les dirigeants polonais des années 90 et du début du XXIème siècle ont souhaité ancrer leur pays dans un cadre politique, économique et stratégique occidental afin de s’extraire de l’emprise de Moscou sur le pays. Malgré la perte de puissance russe après la fin du Pacte de Varsovie, la crainte d’un conflit avec le puissant voisin oriental reste un des invariants de la diplomatie polonaise. La montée en puissance du parti Droit et Justice Le référendum de 2003 sur l’adoption de la monnaie unique représente la première prise de distance du pays avec le projet européen. Avant cette date, les différents gouvernements polonais avaient pour habitude d’organiser des campagnes d’information afin d’expliquer à la population les avantages que peut avoir pour le pays la participation à l’UE, ce qui pouvait expliquer le fort taux d’opinion favorable au projet européen. Deux années avant le référendum sur l’euro, le parti Droit et Justice voit le jour à droite de l’échiquier politique. Le parti défend une ligne conservatrice fondée sur les valeurs traditionnelles et nationales et s’oppose à tout partage supplémentaire de souveraineté avec ses partenaires européens. Dès 2005, le parti accède au gouvernement et choisit comme Premier ministre Kazimierz Marcinkiewicz. Quelques semaines plus tard, Lech Kaczyński, fondateur avec son frère jumeau Jarosław Kaczyński du PiS, devient président de la République. Après la démission de Marcinkiewicz, en 2006, les deux frères occupent les deux postes les plus importants du pays. En 2007, des élections législatives anticipées les en délogent. Le parti reste dans l’opposition jusqu’à son retour au pouvoir en 2015. Un pays euro-réaliste ? Le 7 juin dernier, le Pew Research Center a publié une importante étude statistique sur l’euroscepticisme au sein des dix principaux pays européens. L’opinion publique polonaise y est la plus favorable à l’UE, à 72%, contre 38% en France. La Pologne est également le pays où la population est la plus satisfaite de la politique économique européenne, à 47% , à égalité avec l’Allemagne, contre 27% en France et 6% en Grèce. Malgré ce fort attachement populaire à la construction européenne, le gouvernement polonais défend une vision de l’Europe décrite par les gouvernements des principaux États membres et par les institutions européennes comme eurosceptique. Pour comprendre ce paradoxe, les sénateurs Jean Bizet, Pascal Allizard et François Marc se sont rendus en Pologne les 16 et 17 juin derniers afin d’y rencontrer parlementaires et membres du gouvernement. A leur retour, ils ont publié un rapport d’information dont l’objet est de faire le point sur la politique européenne menée par l’actuelle majorité au pouvoir. Dans les faits, le PiS ne propose pas une sortie de l’UE, ni même une dissolution de l’UE. Mais il souhaite qu’une partie des compétences nationales transférées aux instances européennes redescende au niveau des États. A ce titre, le rapport d’information de la mission sénatoriale indique que les différents officiels polonais rencontrés durant leur séjour "n’ont cessé de répéter et de manifester leur attachement à l’Europe", avant d’indiquer qu’il est "sans doute excessif d’assimiler les nouvelles autorités polonaises aux “eurosceptiques” au sens habituel". Comme l’indique un rapport de l’Institute of Public Affairs consacré aux élections européennes de 2014, la vision européenne défendue par le PiS dans son programme est la suivante : "L’UE est – et doit rester – une organisation internationale". Le même programme politique explique : "nous proposons une communauté euro-réaliste de nations et d'États qui remplacerait les fantasmes européens". Malgré cet attachement à une forme de construction européenne, le pays semble s’éloigner de l’idéal de l’État de droit défendu depuis l’origine du projet européen. Deux réformes récentes ont notamment fait l’objet de fortes critiques, tant au sein du monde politique polonais que de la communauté européenne. Dès décembre 2015, le gouvernement a annulé la nomination de cinq juges du tribunal constitutionnel promus par le précédent gouvernement. Il a ensuite voulu réformer le fonctionnement et le rôle de ce tribunal en instaurant une nouvelle majorité qualifiée, de nouveaux délais de traitement des dossiers, ainsi que la possibilité pour le président de la République et le ministre de la justice de décider de poursuites disciplinaires à l’encontre des juges de ce tribunal. A ce jour, cette réforme n’a pas encore abouti. En janvier 2016, le gouvernement a également fait passer une loi donnant au ministre du Trésor le pouvoir de nommer les dirigeants de l’audiovisuel public et rendant leur fonction révocable. Ainsi, malgré l’attachement à l’Europe professé par le gouvernement en place, il ne fait aucun doute que ce dernier semble prendre un chemin éloigné des idéaux démocratiques au cœur de la construction européenne et défendus par les Etats fondateurs. Cependant, l’opposition reste forte dans le pays et le PiS pourrait ne pas rester au pouvoir lors des prochaines élections législatives de 2020. Sur le même sujetLes Pays-Bas dans l’Union européenne : fondateur mais frondeurLes peuples européens et l’UE : le cas du DanemarkL’Autriche, prochaine prise des populistes ?ImprimerPARTAGER