AccueilExpressions par MontaigneLa France et l’immigration : "ni une forteresse, ni une passoire"L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.26/10/2021La France et l’immigration : "ni une forteresse, ni une passoire" Société Villes et territoires Action publiqueImprimerPARTAGERAuteur Bruno Tertrais Expert Associé - Géopolitique, Relations Internationales et Démographie Notre pays n’a jamais hébergé autant d’étrangers sur son sol. La France est redevenue un "pays d’immigration". Plus d’un cinquième de la population est directement issue de l’immigration récente (immigrés et enfants d’au moins un parent immigré). Le phénomène migratoire a changé d’ampleur et de nature. Mais si la France n’est pas une "forteresse", elle n’est pas pour autant une "passoire", notamment dès lors qu’on la compare aux autres grands pays européens. Le phénomène migratoire a changé d'ampleur et de nature Dans son ampleur Il n’y a jamais eu autant d’étrangers en France depuis le Second Empire. La France comptait environ 1 % d’étrangers sur son sol en 1851. Cette proportion dépasse aujourd’hui le maximum enregistré en 1931 (7 %) pour atteindre 7,6 % en 2020, soit 5,1 millions de personnes (dont 4,3 millions d’immigrés et 0,8 million de personnes nées en France).Pour la France, un "immigré" est une personne née étrangère à l’étranger quelle que soit sa nationalité actuelle (y compris des Français donc). Les catégories "immigrés" et "étrangers" se recoupent donc mais ne sont pas identiques. Le nombre d’étrangersLe nombre de titres de séjour est une mesure imparfaite du nombre d’étrangers en France, puisqu’il ne répertorie ni les Européens (libre circulation), ni les mineurs sauf exception, ni les autorisations provisoires de séjour, ni l’immigration irrégulière (clandestins et déboutés - au moins 300 000 à 400 000 personnes), et qu’il prend en revanche en compte des entrées pour séjours relativement courts (saisonniers, étudiants). Il n’y a jamais eu autant d’étrangers en France depuis le Second Empire. Néanmoins, son évolution est éclairante. Le stock de titres de séjour valides a augmenté significativement depuis trente ans et est désormais supérieur à trois millions (3 454 816 fin 2020). Les flux annuels d’entrées d’étrangers de pays tiers (premiers titres de séjour) sont eux aussi en augmentation constante depuis trente ans.Ils sont supérieurs à 200 000 depuis 2012 (219 000 en 2020). Les personnes concernées sont très majoritairement africaines (58 % des titres de séjour accordés chaque année, notamment à des Maghrébins). Cette augmentation est attribuable aux titres accordés : pour études - devenu le premier poste. Il s’agit notamment d’étudiants maghrébins et chinois, dont environ un tiers resteront au-delà de leurs études (mariage, emploi) ; pour motif économique (ex. professions médicales) ; pour motif humanitaire (asile et protection subsidiaire). En revanche, le nombre de titres accordés pour motifs familiaux, lui, reste stable et sa part dans le total des titres accordés tend ainsi à décroître (moins de la moitié aujourd’hui). Cette évolution est le fruit des accords de gestion concertée des flux migratoires, qui ont accru l’immigration estudiantine et professionnelle, de l’accroissement très significatif des demandes d’asile (supérieur à 150 000 par an depuis la fin des années 2010), ainsi que de leur taux d’acceptation (supérieur à un tiers depuis le milieu de la dernière décennie). Les principaux pays concernés ces dernières années sont des États d’Asie du sud (Afghanistan, Bangladesh), d’Europe orientale (Albanie, Géorgie) et d’Afrique subsaharienne. Nombre de demandeurs sont des "dublinés" ayant déjà fait des demandes d’asile dans un autre pays européen. Le nombre d’immigrésLe seuil symbolique de 10 % d’immigrés dans la population est maintenant dépassé alors que cette proportion était de 3,7 % il y a un siècle, 5 % au sortir de la guerre et de 7,4 % en 1975. La France comptait en 2020 6,8 millions d’immigrés (10,2 % de sa population), dont 64 % d’étrangers (4,3 millions) et 36 % de Français par acquisition (2,5 millions). Plusieurs dizaines de milliers d’immigrés - majoritairement d’origine africaine - deviennent français chaque année, par naturalisation ou par déclaration (mariages). Ce nombre tend à baisser (cf. infra.). Dans sa nature L’équation migratoire a graduellement évolué au cours des dernières décennies. Le solde migratoire est très variable d’année en année (moyenne +70 000), les entrées et les sorties représentant des flux de plus de 300 000 personnes. Mais sa structure a évolué : les entrées sur le territoire concernent désormais, à plus des deux tiers, des immigrés ; pour les sorties, c’est l’inverse. Les proportions d’immigrés venant d’Europe et du reste du monde se sont inversées.Les 4,3 millions d’immigrés étrangers en France sont désormais majoritairement d’origine africaine, et un quart de la population étrangère est d’origine maghrébine. Ces proportions sont encore supérieures dans la population immigrée totale (y compris Français) : 47,5 % d’origine africaine (29 % du Maghreb), une proportion croissante. Ceci représente une évolution significative de la composition de l’immigration : entre le milieu des années 1970 et aujourd’hui, les proportions d’immigrés venant d’Europe et du reste du monde se sont inversées. La France n'est "ni une forteresse, ni une passoire"Les comparaisons internationales montrent que la situation migratoire française se situe à bien des égards dans la moyenne. La France reste un pays d’accueil. Elle est attractive de manière générale : elle a traité 658 000 demandes de visas de court séjour en 2020, soit un chiffre beaucoup plus élevé que la plupart de ses voisins (412 000 pour l’Allemagne par exemple). Les déboutés bénéficient de la Couverture maladie universelle (CMU) pendant encore six mois. Les conditions de retrait de la qualité de réfugié et d’expulsion sont strictes et contrôlées (crime grave ou délit relatif au terrorisme, et "menace grave pour la société française"). La France se caractérise par un taux peu élevé de départs effectifs d’étrangers au regard du nombre de décisions d’éloignement prononcées. Entre 2010 et 2016, il n’était que de 23 %, contre 44 % en moyenne européenne (71 % en Suède, 89 % en Allemagne et au Royaume-Uni). Le taux d’exécution des Obligations de quitter le territoire français (OQTF) a même baissé au cours des années 2010, en dépit d’une remontée récente (15 % en 2020). Pour autant, elle est plutôt moins "ouverte à l’immigration" que ne le sont ses voisins. La proportion des immigrés dans la population (12,8 %) y est inférieure à la moyenne de l’OCDE (13,6 %). Elle est en effet de 13,3 % en Espagne, 13,5 % aux Pays-Bas, 13,7 % au Royaume-Uni et 16,2 % en Allemagne. Il en est de même pour la proportion de la population née à l’étranger, qui est inférieure à celle de la plupart de ses voisins : 12,7 % contre 13,8 % aux Pays-Bas, 14,8 % en Espagne, 18,1 % en Allemagne, 19,5 % en Suède. La France figure au rang des grands pays les plus restrictifs en premiers titres de séjour par habitant (en 2016 : 3,72/1 000, contre 14,53 pour la Suède, 12,18 pour l’Allemagne, 10,72 pour les Pays-Bas, 9,08 pour la Belgique, 6,32 pour le Royaume-Uni, 7,65 pour l’Espagne, 4,42 pour l’Italie). L’immigration durable totale (y compris Européens mais sans les étudiants et les saisonniers) représentait 292 000 personnes en 2019, soit moins de 0,5 % de la population alors que la moyenne de l’UE et de l’OCDE est de l’ordre de 0,8 %. Le taux de reconnaissance (asile et formes assimilées au regard du nombre de demandes) y est inférieur à la moyenne européenne : en 2019, 25 % en première instance (contre 38 % pour l’UE) et 21 % en appel (31 % pour l’UE). Le nombre d’acquisitions de la nationalité tend à baisser : d’environ 100 000 par an dans les années 2000, il est aujourd’hui passé à un peu plus de 60 000 par an (moins de naturalisations). Elle est en fait, sur bien des critères, dans la moyenne européenne : en nombre de personnes s’installant chaque année dans la durée sur le territoire (y compris au titre de la libre circulation européenne) : 277 000 personnes en 2018 contre 124 000 pour la Suède, 239 000 pour l’Italie, 244 000 pour l’Espagne, 631 000 pour l’Allemagne. en proportion de demandes d’asile au regard de sa population : 81 700 en 2020 soit un taux de 121/100 000 contre 36 pour l’Italie, 123 pour l’Allemagne, 131 pour la Suède, 182 pour l’Espagne, 354 pour la Grèce. en termes d’accueil de réfugiés au regard du total de sa population : 1,86/1 000 habitants contre 0,57 pour le Royaume-Uni, 1,01 pour l’Italie, 2,25 pour l’Allemagne, 5,99 pour la Grèce (chiffres de 2016). en ce qui concerne les droits octroyés et opportunités offertes aux immigrés (selon l’indice MIPEX). La France, dans l’ensemble, n’est donc aujourd’hui ni plus ni moins ouverte à l’immigration que ne le sont la plupart de ses grands partenaires européens. On relèvera en revanche qu’elle est, du fait de son héritage migratoire, au premier rang des États d’Europe de l’Ouest en ce qui concerne la population totale d’origine immigrée selon les critères de l’OCDE : 26,78 % contre 25,41 % pour la Belgique, 23,79 % pour l’Allemagne, 23,29 % pour le Royaume-Uni, 20,32 % pour les Pays-Bas, 13,56 % pour l’Espagne, 11,74 % pour l’Italie. Copyright : SEYLLOU DIALLO / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 01/07/2021 De l’Afrique vers l’Europe, un "grand déplacement" ? Bruno Tertrais 07/03/2019 Peut-on parler sereinement de l’immigration africaine ? Bruno Tertrais