La France est un singulier pluriel

Article paru dans la rubrique "Point de vue" du Monde.fr, le 3 décembre 2009

"Qu'est-ce qu'être français ?" C'est la question qu'a posée l'Institut Montaigne, pas celle de l'identité nationale. La logique dans laquelle il a travaillé – et continue de travailler – est celle de la diversité, pas celle de la conformité. Nous voulons contribuer à ce qu'Ernest Renan appelait le "vouloir vivre ensemble", à partir de la diversité des origines, de la pluralité de la francité. Pas à cerner une norme identitaire.

S'il existe bien une identité de la France, comme le soulignait l'historien Fernand Braudel, celle-ci est précisément la réunion singulière d'une diversité de peuples – ceux qui se sont installés sur le territoire pendant des siècles –, et d'une unité que le centralisme jacobin a pour ainsi dire surlignée. Formée de populations mélangées, pour sa plus grande richesse, la France est un creuset au sein duquel ces populations se fondent, sans jamais céder au communautarisme, contraire à nos principes républicains.

L'expression "identité nationale" est au singulier, c'est sans doute là son défaut : elle risque de gommer les différences ou d'appeler à leur effacement, au nom d'une norme qu'il est bien difficile d'établir. Quelle que soit l'expression employée, cela ne doit pas écarter la nécessité du débat. Non pour exclure, mais pour comprendre ce qui permet d'inclure. Non pour rejeter mais pour accueillir. Non pour ostraciser mais pour intégrer.

Depuis 2003, l'Institut Montaigne s'est penché sur un des défis majeurs des sociétés contemporaines : l'égalité des chances. Des publications successives attestent un engagement qui ne s'est pas démenti au cours des années : des Oubliés de l'égalité des chances (janvier 2004), à Comment déghettoïser les "quartiers". Un exemple concret : les Bosquets à Montfermeil (2009), en passant par Ecoles primaires en ZEP : faire plus et différemment (septembre 2006). Ces travaux partagent tous un même objectif : faire qu'il n'y ait pas des français moins français que les autres, à cause de la couleur de la peau, de l'origine, de la croyance. L'accès à un emploi, à un logement, les droits et les devoirs doivent être les mêmes pour tous. La toute dernière publication de l'Institut est un ouvrage intitulé Qu'est-ce qu'être français ? Ce livre recueille dix-huit contributions de femmes et d'hommes d'origines diverses, de formations différentes, immigrés ou enfants d'immigrés pour les uns, récemment naturalisés pour les autres, tout simplement nés dans l'Hexagone pour les troisièmes. Tous disent leur amour de la France et leur fierté d'être français, sans d'ailleurs se priver d'une certaine tendresse critique. Ce travail, entamé en 2006, a pris du temps. Il sert de prélude à une matinée de réflexion qui aura lieu le 4 décembre prochain, à l'Ecole militaire, et qui porte le même titre que le livre.

Si l'on veut contribuer au développement des atouts de la France dans le contexte mondial, comme s'y efforce l'Institut Montaigne, il faut connaître ces atouts. Au premier rang d'entre eux figure la diversité, aujourd'hui comme jadis. On peut être français de plusieurs manières, et adhérer aux mêmes aspirations. En débattre est légitime. De ce point de vue, tout ce qui peut favoriser le "vouloir vivre ensemble", la reconnaissance de l'autre et son acceptation concourt à l'enrichissement de la France. Tel est le sens d'une réflexion qui vise à faire évoluer la conscience sociale de notre pays. Pour lui permettre de rester ouvert. Pour lui offrir la puissance de la diversité. Pour que l'identité de la France reste tout à la fois singulière parmi les nations, et plurielle par sa composition.

François Rachline est directeur de l'Institut Montaigne et Professeur à Sciences Po