Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
23/02/2023

La difficile montée en puissance des armées sahéliennes

Entretien avec Nina Wilén

La difficile montée en puissance des armées sahéliennes
 Nina Wilén
Directrice du programme Afrique de l'Institut Egmont

Le Sahel est toujours en proie aux violences perpétrées par différents groupes djihadistes et d'autres groupes armés non-étatiques, les États de la région ayant du mal à les contrer. Dans le contexte de la fin de l'opération Barkhane, du retrait des forces spéciales françaises du Burkina Faso et de l'implantation du groupe Wagner au Mali, Nina Wilén, directrice du Programme Afrique de l'Institut Egmont, répond aux questions de l'Institut Montaigne sur les armées sahéliennes et leurs capacités.

Sans évoquer le soutien militaire étranger ou la constitution de milices populaires, quelles sont les capacités autonomes actuelles des armées sahéliennes ?

Il est très difficile de répondre à cette question. L'information concernant les effectifs et les capacités militaires est souvent confidentielle. Il s'ensuit que les données publiques et accessibles ne sont donc pas nécessairement correctes.
 
C'est également une question de définition : qu'entend-on par "capacités autonomes" ? Dans quelles circonstances recourir à celles-ci ? Il est à noter que ces capacités militaires diffèrent non seulement d’un pays à l’autre au Sahel, mais varient également au sein même des armées. S'il existe des unités très bien entraînées, disposant d’importantes capacités, elles sont loin de représenter la totalité d'entre elles.

Il est à noter que ces capacités militaires  diffèrent non seulement d’un pays à l’autre au Sahel, mais varient également au sein même des armées.

Ceci dit, on peut malgré tout souligner une évolution au sein de l'armée malienne notamment. Formée dans le cadre de l'EUTM (EU Training Mission), une mission de l'Union européenne visant à renforcer l'autonomie des forces armées maliennes, elle a bénéficié d'un accompagnement des Français dans le cadre de l'opération Barkhane. Elle a également été accompagnée par la Task Force Takuba. Sous commandement français, cette force opérationnelle était composée de huit cent soldats issus de onze pays de l'Union européenne. 

Auparavant, les soldats restaient très - trop - longtemps stationnés dans l'enceinte de leur base. Les opérations de patrouilles étaient rares. En cas d’attaque, les militaires étaient souvent amenés à céder les positions occupées sans même combattre. Il faut enfin noter que lorsqu'elles subissent des attaques, il est fréquent que les FAMa perdent des équipements et des véhicules qu'elles cèdent ainsi à l'adversaire. De façon involontaire, elles concourent ainsi à l'armement de ces groupes armés.

Cependant, ils conduisent désormais de véritables opérations contre les groupes armés non-étatiques. Les soldats ne s'éternisant plus dans les camps, l'armée a ainsi gagné en mobilité. Jusqu’à l’année dernière, ces opérations étaient menées en coopération avec les forces françaises. Depuis son retrait cependant, elles sont maintenant réalisées conjointement avec le groupe Wagner. Les abus perpétrés par la FAMa (Forces armées maliennes) à l'encontre des populations civiles et les violations de droits de l'Homme ont néanmoins persisté. Elles sont même de plus en plus nombreuses. C’est un point éminemment problématique. En facilitant le recrutement pour les groupes djihadistes, ces abus ne font que renforcer le cercle de la violence.

Comment expliquer leurs difficultés à faire face aux groupes djihadistes ?

Il faut tout d'abord rappeler que le problème des groupes extrémistes violents, tel que celui posé par les groupes djihadistes, ne sera jamais résolu uniquement par l'utilisation de la force militaire. Les militaires sont souvent les premiers à l'admettre. Les leaders politiques en sont également conscients, ce qui rend difficilement justifiable le fait qu’ils continuent à placer l'aspect militaire au cœur de leurs efforts.

Dans une perspective purement opérationnelle, les groupes djihadistes ont une capacité à s’adapter rapidement aux différentes tactiques militaires employées par les forces de sécurité étatiques. Ils sont ainsi en mesure de surprendre, même si leurs effectifs sont réduits en comparaison des forces étatiques. Les groupes djihadistes sont également très mobiles et mènent fréquemment des offensives à moto. Les armées sahéliennes s’y sont adaptées pour améliorer leur propre flexibilité, en adoptant elles aussi les motos dans le cadre de leurs opérations.

Les groupes djihadistes ont une capacité à s’adapter rapidement aux différentes tactiques militaires employées par les forces de sécurité étatiques.

Les unités ULRI (Unité Légère de Reconnaissance et d'Intervention), formées par la Task Force Takuba au Mali, ou les compagnies mobiles de contrôle des frontières (CMCF) au Niger sont deux exemples de cette capacité d’adaptation des armées et forces de sécurité sahéliennes. Se pose enfin la question des vastes espaces à quadriller pour des effectifs sécuritaires en réalité limités. Le Niger, par exemple, fait plus de deux fois la taille de la France. Pourtant, les forces nigériennes disposent d’environ 25 000 militaires, là où les Forces armées françaises en comptent environ 205 000 actifs. Ces chiffres sont évidemment à considérer avec précaution. Même si le Niger venait à doubler ses effectifs, cet écart numérique demeurerait très important. C’est sans parler des capacités en termes de matériel militaire, notamment sur le plan aérien, tout aussi cruciales pour pouvoir contrôler effectivement des territoires aussi étendus que ceux des pays sahéliens.

Comment ces capacités ont-elles évolué ces dix dernières années, depuis le début de l'Opération Serval, notamment grâce au soutien des partenaires extérieurs dans le cadre de l'Opération Barkhane, de la Task Force Takuba, de l'EUTM Mali et de l'EUCAP Sahel ?

C'est une question très pertinente, mais à laquelle il n'existe pas de réponse exhaustive. En effet, il est quasiment impossible d'évaluer le progrès au niveau opérationnel de ces armées, qui restent insérées dans un contexte conflictuel sans cesse changeant. Nous savons certes que des milliers de soldats ont été formés par l'EUTM Mali et des milliers de policiers par l'EUCAP Sahel. Il est néanmoins impossible d’attribuer leurs succès ou leurs échecs sur le terrain aux seules formations qu’ils ont reçues. Si l’armée malienne a été formée en droit des conflits armés depuis presque une décennie par l'EUTM Mali, cela ne l'a pas empêché d’être à l’origine de nombreuses violations des droits de l'Homme.

Il est quasiment impossible d'évaluer le progrès au niveau opérationnel de ces armées, qui restent insérées dans un contexte conflictuel sans cesse changeant. 

Malgré tout, les armées sahéliennes sont désormais dotées de nouvelles capacités, d'équipements et de structures. C’est notamment le cas des unités mentionnées auparavant, comme les ULRI et les CMCF. Il est plus facile d’évaluer les capacités des armées sahéliennes en direct, lorsqu'elles sont accompagnées ou soutenues par des forces externes au cours d'opérations. Comme le contexte et les acteurs en présence tiennent une place importante dans cette évaluation des capacités, il est difficile de la généraliser. 

La Task Force Takuba a par exemple conduit plusieurs opérations conjointes avec les FAMa - opérations qui sont d'ailleurs considérées comme de véritables succès tactiques. Cependant, cela ne fournit que peu de renseignements quant à la réelle capacité de l'armée malienne.

Quels bénéfices les armées tirent-elles ou pourraient-elles tirer de la coopération avec le groupe Wagner ?

Il est difficile de parler de bénéfices s’agissant de la coopération avec le groupe Wagner, compte tenu des rapports parus concernant les violations des droits de l'Homme perpétrés par ces mercenaires (exactions, tortures contre les populations civiles, etc.), que ce soit dans les pays où le groupe opère actuellement ou où il a auparavant opéré. On pourrait toutefois affirmer avec cynisme que c'est précisément en cela que réside le “bénéfice” pour l'armée hôte : pouvoir agir au mépris des droits de l'Homme et du droit des conflits armés. Ce serait en effet bien plus difficile à envisager si le partenaire externe était une armée européenne, comme la France par exemple.
 

 

Copyright Image : SOULEYMANE AG ANARA / AFP

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne