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27/09/2022

Italie : un scrutin historique dans un pays en crise ?

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 Italie : un scrutin historique dans un pays en crise ?
 Marc Lazar
Auteur
Expert Associé - Démocratie et Populisme, Italie

Comment qualifier le scrutin de dimanche et son grand gagnant, Fratelli d’Italia ?

On peut qualifier les résultats des élections de ce dimanche "d’historiques". Historiques pour l’Italie qui voit Fratelli d’Italia remporter 26 % des suffrages, avec d’importantes répercussions en Europe et en France. Historiques aussi car ces élections se tiennent en 2022, 100 ans après la Marche sur Rome de 1922, qui relance le débat sur le fascisme en Europe. Un débat d’ailleurs beaucoup plus présent en France qu’en Italie. Comment caractériser le parti Fratelli d’Italia ? C’est très difficile. Il s’agit d’un parti composite, en pleine transformation, avec des origines "post" ou "néo-fascistes", et surtout souverainiste et nationaliste. Deux autres éléments clés plaident pour le caractère historique de ce résultat : c’est la première fois qu’une femme va être nommée à la tête du gouvernement italien d’abord. Ensuite, avec plus de 36 % d’abstention, il s’agit d’un record sans précédent dans l’histoire de la politique italienne. Dernier fait inédit enfin : le processus de recomposition politique plus globale qui est à l'œuvre, avec un parti démocrate qui stagne autour de 19 %, un Mouvement 5 étoiles qui s’ancre comme un parti du Mezzogiorno, au Sud de l'Italie, ce qui n’était pas le cas avant. Avec une droite enfin qui est certes à 43 %, mais avec une Ligue de Matteo Salvini très affaiblie face au parti de Giorgia Meloni qui est en position dominante, au point que cette coalition peut être qualifiée de droite-centre. Certes, en termes de pesée globale des forces électorales, leurs adversaires du centre, du Parti démocrate et du Mouvement 5 étoiles, sont plus nombreux mais ils étaient divisés et ont donc été battus : ils sont très minoritaires au Parlement.

Dès le 13 octobre, on procèdera à la désignation des Présidents des Chambres, à la Chambre des Députés et au Sénat.

Quelles sont les prochaines étapes et quels sont les éléments majeurs du programme que la coalition de droite pourrait mettre en place dans les prochains mois ?

Dès le 13 octobre, on procèdera à la désignation des Présidents des Chambres, à la Chambre des Députés et au Sénat. S’agira-t-il de Présidents très marqués politiquement ? Ou de nomination de compromis ? La question reste ouverte. Le 15 octobre ensuite, on assistera à la composition des groupes parlementaires. On peut d’ailleurs imaginer que des parlementaires rallient le camp des vainqueurs, notamment au sein de la coalition de droite-centre. À partir de ce moment-là, le Président de la République va consulter l’ensemble des partis. Le Quirinale, le siège de la Présidence italienne, a dit vouloir accélérer la composition du gouvernement. Des négociations, sans doute serrées, vont avoir lieu avec les alliés de Meloni ainsi que des discussions avec le Président de la République qui, et c’est important de le rappeler, en vertu de l’article 92 de la Constitution est bien celui qui nomme les Ministres, sur proposition du président du conseil. Des nominations aux postes clés vont être très scrutées : ce sera le cas bien sûr à l’Économie et aux Finances, à l’Intérieur, aux affaires étrangères, aux affaires européennes et éventuellement aussi à la Défense, dans le contexte de la guerre en Ukraine. La composition du gouvernement donnera un premier signal très important pour la suite.


Le premier des chantiers du gouvernement en place sera le budget pour 2023. Que peut faire Giorgia Meloni dans un contexte budgétaire extrêmement contraint ? Elle a beaucoup insisté durant sa campagne sur la baisse des impôts. Elle pourrait également prendre des mesures en faveur de la natalité. Elle insistait beaucoup dans son programme - beaucoup plus d’ailleurs que dans le programme de coalition - sur l’incitation des femmes à refaire des enfants, sans pour autant l’opposer au travail. Elle soutient que les femmes doivent travailler et que les inégalités doivent être rattrapées. La question est évidemment de savoir ce qu’elle proposera sur l’immigration. Le blocus naval ? Cela semble très difficile à mettre en place. Des mesures de dissuasion financières contre l’immigration ? Sur l’Europe, elle a annoncé à plusieurs reprises vouloir modifier certains éléments du plan de relance et de résilience, mais on ne sait pas sur quelles mesures elle souhaite revenir précisément. Elle s’est aussi prononcée en faveur de la dissociation immédiate du prix du gaz de celui de l’électricité.

Mais la principale difficulté dans la mise en œuvre de ce programme concerne les divergences de fond et les rivalités de personnes qui demeurent au sein de la coalition de droite. Du côté de Frères d’italie, le parti a longtemps été "ghettoisé", ses membres veulent donc s’imposer une bonne fois pour toute. Mais Meloni cherchera de tout faire pour maintenir son gouvernement au pouvoir. Elle a un grand projet : garder le pouvoir et former un grand parti sur le modèle du parti Républicain aux États-Unis, avec une dimension plus tournée vers le Tea party. Elle était d’ailleurs très admirative du gouvernement Trump, et est très atlantiste.

Mais Meloni cherchera de tout faire pour maintenir son gouvernement au pouvoir. Elle a un grand projet : garder le pouvoir

Quelles répercussions peut-on attendre en Europe et en France ?

Sur l’Europe, la vraie question est de savoir ce qu’elle fera avec la Hongrie de Viktor Orbán et la Pologne. Tout dépendra de la personnalité qui sera nommée au poste de Ministre des Affaires étrangères. Giorgia Meloni est très proche de Viktor Orbán, avec qui elle a néanmoins un désaccord fondamental sur la guerre en Ukraine. Mais sur tout le reste, les deux dirigeants sont très proches. Va-t-on assister à l’émergence d’un axe Varsovie - Budapest - Rome ? Qui irait même jusqu’à Stockholm ? Il est trop tôt pour le dire mais n’oublions pas que son parti a voté contre la déclaration du Parlement européen condamnant les dérives anti démocratiques de la Hongrie. Sujet majeur pour l’Europe en ce moment, sa position vis-à-vis de la guerre en Ukraine sera très scrutée. Sur l’Ukraine, Silvio Berlusconi a dit qu’il "comprenait" Poutine, qui aurait été contraint d’intervenir en Ukraine. S’agissait-il d’un moment d’égarement ? Ou la seule manifestation de sa volonté de montrer sa différence avec Meloni ? Rappelons ici que la communauté ukrainienne en Italie était la plus importante d’Europe avant la guerre, avec 275 000 personnes, très intégrées dans le pays. Enfin, Giorgia Meloni déclare aujourd’hui vouloir "transformer l’Europe" sans en sortir, ce qui rappelle les propos des Polonais et des Hongrois comme les évolutions récentes du discours de Marine Le Pen sur l’UE (qui ne fait néanmoins pas partie du même groupe au Parlement européen). Meloni a d’ailleurs tout fait pour se différencier de Marine Le Pen (qui soutenait Salvini) dans le cadre de sa stratégie de dédiabolisation.

Elle ne peut pas mutiler le plan de relance et de résilience ni sacrifier les relations économiques avec ses partenaires européens, au premier rang desquels la France.

Sur la France, elle a été violemment critique à l’égard d’Emmanuel Macron en 2018. Son propos s’est ensuite apaisé, comme l’atteste son entretien dans le Figaro du 14 septembre où elle déclare que la France est une nation amie. Rappelons que la France est le deuxième partenaire économique de l’Italie. Elle ne peut pas mutiler le plan de relance et de résilience ni sacrifier les relations économiques avec ses partenaires européens, au premier rang desquels la France. Je pense que malgré les profondes divergences qui existent entre Emmanuel Macron et Giorgia Meloni, la raison d’état l’emportera.

La relation entre Paris et Rome ne sera pas aussi intense que du temps de Mario Draghi, elle sera plus froide, il y aura parfois des polémiques, mais il ne devrait pas y avoir de rupture. Ce n’est ni l’intérêt de la France ni celui de l’Italie.

 

Pour poursuivre l'analyse des élections italiennes, consultez le décryptage de Georgina Wright.

 

Copyright : Andreas SOLARO / AFP

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