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22/07/2024

[Gouverner avec son opposant] - L'Italie, de la crise à l’union ?

[Gouverner avec son opposant] - L'Italie, de la crise à l’union ?
 Marc Lazar
Auteur
Expert Associé - Démocratie et Populisme, Italie

Tout l'été l'Institut Montaigne s'intéresse aux pratiques de compromis, de cohabitation et de coalitions en Europe et dans le monde. Ce deuxième épisode nous emmène en Italie. Cela fait trente ans que, tant au niveau local que national, les pratiques de coalitions et d’alliances, notamment entre les forces de droite, y sont courantes. Dans quelle mesure Giorgia Meloni s’inscrit-elle dans cette trajectoire historique ? Quel est le bilan politique de ce partage du pouvoir et quelles perspectives dessine-t-il ? Que peut nous enseigner la vie politique et partisane italienne au regard de la situation française ? Entretien avec Marc Lazar pour comprendre la vie politique au palais Montecitorio.

Le débat politique en France se concentre aujourd’hui sur les notions de coalitions, de cohabitation et de compromis. Quelle est la place de ces notions dans la culture politique et institutionnelle italienne ? Quels sont leurs grands fondements théoriques, historiques et philosophiques ?

En Italie, on ne peut pas vraiment parler de cohabitation, mais les notions de compromis ou, plus encore, de médiation, structurent la vie politique italienne depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Lors de la création de l’Italie républicaine, en 1947-1948, après vingt années de fascisme, ce sont les partis politiques antifascistes qui ont élaboré une Constitution où la notion de compromis, notamment entre les partis communiste, socialiste et la démocratie chrétienne, était cruciale. Il faut reconnaître entre autres à Alcide De Gasperi, fondateur en 1942 de la Démocratie chrétienne (aussi surnommée la "baleine blanche" du fait de sa colossale capacité d'absorption), sa grande intelligence politique, qui s’est attelée à asseoir les institutions démocratiques.

Les notions de compromis ou, plus encore, de médiation, structurent la vie politique italienne depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

La nécessité de composer entre des partenaires-adversaires aux options idéologiques très opposées et la volonté de rompre définitivement avec le fascisme ont ainsi été les deux piliers sur lesquels s’est édifiée la Constitution italienne promulguée le 27 décembre 1947.

Le pouvoir exécutif est ainsi réduit au profit du pouvoir législatif pour éviter à tout prix le retour d’un homme fort. Néanmoins, cet esprit d’union n’a pas prévalu longtemps : dès le début de la Guerre froide, le Parti socialiste (Partito Socialista Italiano, PSI) et le parti communiste (Partito Comunista Italiano, PCI, deuxième force électorale du pays) ont dû quitter le gouvernement d‘union nationale ;  l’Italie est d’ailleurs le seul pays d’Europe occidentale où le PS est resté allié avec le PC.

La mise en place des institutions de l’Italie démocratique s’inscrit dans le contexte paradoxal d’un pays extrêmement divisé, avec les très forts antagonismes entre fascistes et antifascistes, communistes et anti-communistes, sans parler des divisions socio-économiques entre le Nord et le Sud de la péninsule, d’une part, mais d’autre part la nette volonté d’empêcher que ces tensions ne dégénèrent en guerre civile. Les élections de 1948 furent emblématiques : premières élections politiques nationales dans le cadre de la République, quelques mois seulement après le coup de Prague (21-25 février 1948), avec des partis communiste et socialiste au plus fort de leur puissance. Les enjeux étaient donc considérables : le Front de gauche (qui se dénommait Front populaire) allait-il gagner, ou bien les forces unies autour de la démocratie chrétienne (Democrazia Cristiana) l’emporteraient-elles ? L’élection s’est déroulée dans un climat extrêmement virulent, toutes les capitales mondiales avaient les yeux braqués sur la situation italienne mais, le 18 avril, la démocratie-chrétienne présidée par Alcide De Gasperi l’a nettement emporté. C'est alors que s’est jouée la spécificité d’un destin politique "à l’italienne" : bien  que, avec 48,5 % des voix, les démocrates-chrétiens auraient pu gouverner seuls, ils ont choisi de ne pas le faire et de se tourner vers d’autres petits partis, comme les sociaux-démocrates et le parti républicain, pourtant laïc voire anticlérical. Depuis cette date et jusqu’aux années 1990, la plupart des gouvernements ont été de coalition : avril 1948 reste un moment fondateur.

Les partis coalisés gouvernent ensemble avec la difficile tâche de limiter les risques que la situation d’affrontement ne dégénère en guerre civile, d’endiguer le petit parti néofasciste, le Mouvement social italien, et surtout de contenir la progression d’un PC italien qui deviendra le premier parti communiste de toute l’Europe occidentale. Toutefois, l’hostilité aux communistes, pour être irréductible, n’empêche pas que de nombreuses lois ont été votées avec leur soutien au Parlement, surtout dans les années 1970. En 1973, après le coup d’État de Pinochet au Chili (11 septembre), Enrico Berlinguer, à la tête du PC, propose à la démocratie chrétienne un compromis historique pour éviter un coup d’État et "garantir l’avenir de la République". Cette tentative encore plus marquée dans les années qui suivent, celles des années de plomb, où le terrorisme noir et rouge fait trembler la péninsule, pour trouver des formes d’alliances avec la démocratie-chrétienne, n’aboutira pas. Les communistes ne rentreront jamais dans le gouvernement mais le PC poursuit néanmoins un processus "d'acculturation démocratique" : il entre dans le jeu parlementaire, cherche des formes de médiation. La république parlementaire a donc une grande habitude des coalitions, qui changera de nature lors des grands bouleversements politiques des années 1990, sur lesquels nous reviendrons.

Les institutions italiennes ont-elles été imaginées pour favoriser des coalitions, ou cette pratique relève-t-elle avant tout de l’usage et de la pratique ?

Sans être initialement prévues pour cela, c’est ainsi que les institutions ont été utilisées. On entend souvent que la démocratie italienne était faible du fait de sa parlementarisation, mais le corps social et politique italien était si fracturé que seul le Parlement était apte à trouver des formes de médiation viables

La pratique des coalitions, qui a été une des constantes de la vie politique italienne, présente des éléments de faiblesse et de force. De faiblesse, car jusqu’aux années 1970, les incessantes tractations entre les partis politiques, et les petits avantages que chacun réclamait, ont pu disperser les efforts et favoriser la multiplicité des courants et des factions au sein des partis, et notamment dans la DC, au prix d’une instabilité gouvernementale fortement dommageable à l’efficacité et à la crédibilité politiques.

La démocratie italienne était faible du fait de sa parlementarisation, mais le corps social et politique italien était si fracturé que seul le Parlement était apte à trouver des formes de médiation viables.

Les décisions n’étaient pas prises ou elles étaient laissées dans un grand flou qui favorisait une libre interprétation des choses. Il y eut, en Italie, plus de soixante-dix gouvernements, dont l’espérance de vie était d’un an et demi… Toutefois, de 1948 à 1990, ce sont les mêmes hommes qui sont passés d’un gouvernement à un autre et la stabilité du personnel politique a permis une réelle continuité.
 
Ainsi, ce sont moins les institutions qui ont prévu les coalitions que les coalitions qui ont détourné, noyauté et colonisé le système des institutions. L’Italie a été une partitocratie car les partis étaient puissants dans la société, jusqu'au début des années 1980, et dans les institutions. Une pratique consacrée et très répandue consistait, dans les tractations politiques, à ce que chaque parti négocie d’avoir sa mainmise sur telle ou telle institutions : on parle de "lotisation", ou mise en lot, des structures étatiques, paraétatiques et parapubliques. Banques, hôpitaux, caisses d'épargne étaient placées sous la tutelle des partis, avec ce que cela implique de corruption et de détournement de fonds. La télévision publique était ainsi répartie entre les démocrates-chrétiens (chaîne 1), les socialistes (chaîne 2) et les communistes (chaîne 3).

En quoi le fonctionnement politique italien a-t-il changé dans les années 1990 suite à l’opération "mains propres", et comment cette culture de la "médiation" a-t-elle évolué suite à cela ?

Les années 90 sont un "big-bang" politique qui accouche d’un nouveau modèle. Le 17 février 1992 éclatent les révélations sur un système de corruption généralisé. Des juges milanais mènent l’opération "Mani pulite" (mains propres) qui montre que tous les grands partis sont concernés. La très forte indignation citoyenne qui en résulte conduit à leur disparition. Démocratie chrétienne, Parti socialiste, Parti socialiste démocrate, Parti Libéral, Parti républicain laissent un champ politique dévasté. Les partis d’opposition, le PC et le MSI, se métamorphosent. De nouveaux partis émergent (la Ligue du Nord, Lega Nord, parti populiste  alors autonomiste, ou Forza italia, fondé par Silvio Berlusconi en 1994) et la loi électorale est modifiée, inaugurant une nouvelle ère. Le nouveau système politique qui a cours jusqu’en 2013 se caractérise par la formation de deux grandes coalitions dites de centre droit et de centre gauche, à partir de 1996. Ces deux grands pôles sont tour à tour au pouvoir : 1994 est marquée par la victoire du centre droit, en 1996 le centre gauche reprend la main, sous la houlette de Romano Prodi. Cela fonctionne jusqu’en novembre 2011, date à laquelle Silvio Berlusconi remet sa démission au président Giorgio Napolitano.

Le nouveau système politique qui a cours jusqu’en 2013 se caractérise par la formation de deux grandes coalitions dites de centre droit et de centre gauche, à partir de 1996.

L’Italie entre alors dans la troisième phase de sa vie politique et institutionnelle, marquée par d’importants bouleversements économiques et une vie politique perturbée, qui s’étend de 2013 à 2022. Les tentatives pour réformer les institutions font long feu à trois reprises (deux tentatives de Berlusconi entre 2008 et 2011, et une de Matteo Renzi en 2016) et achoppent sur les référendums.

La grande question de renforcer le pouvoir exécutif soulevée par de nombreux acteurs politiques et des constitutionnalistes pour que le gouvernement soit plus stable reste pendante.

Le concept de "cordon sanitaire" a-t-il du sens dans la vie politique italienne ?

L’expression en tant que telle n'existe pas mais les Italiens parlent des "forces de l’arc constitutionnel", qui avait été proposée par la gauche pour exclure les néo-fascistes du Mouvement social italien (MSI). De plus, la Constitution interdit la reformation du parti fasciste, le Partito Nazionale Fascista (PNF). En 1960, un démocrate-chrétien avait tenté de former un gouvernement uniquement démocrate chrétien en bénéficiant des votes des parlementaires du  MSI. Cela avait suscité l’indignation jusque dans les rangs de son parti. Et trois plus tard, le MSI avait voulu organiser son congrès à Gênes, ville médaille d’or de la Résistance. Cela s'était soldé par une quasi insurrection dans le pays, violemment réprimée. Le gouvernement fut contraint à la démission. Cet arc a peu à peu intégré le PC, qui s’était rendu compatible avec l’ordre institutionnel, s’était rangé du côté de l’OTAN plutôt que de celui du Pacte de Varsovie et avait affirmé son autonomie par rapport à Moscou, toutefois sans jamais  couper complètement les liens jusqu’en 1991, date  à laquelle il a renoncé à son identité communiste.
 
Mais tout change en 1994 lorsque Silvio Berlusconi décide de soutenir la candidature, à la mairie de Rome, du président du MSI, Gianfranco Fini. Même si ce dernier n’est pas élu, le MSI est progressivement intégré à cet "arc constitutionnel", tout comme la Ligue du Nord. Berlusconi a revendiqué une stratégie de "dé-fascisation" de ce mouvement, mais tout le débat est de savoir s’il l’a "dé-fascisé" ou a, au contraire, participé à sa banalisation et l’a conforté. À partir de 1994 Berlusconi est l’architecte de la construction d’une coalition autrefois impensable, avec une Ligue du Nord qui crache sur Rome, et avec une nouveau parti post fasciste. Berlusconi parvient à mettre ensemble ces deux forces, dont il devient le grand leader, et il fait de Forza Italia le premier parti d’Italie. Celui qu’on appelle "Il Cavaliere" tente alors de présidentialiser le régime, du moins dans sa façon d’incarner le pouvoir.

Cette coalition de centre droit, qui se maintient aux alentours de 40 % depuis 1994, rassemble aujourd’hui trois composantes, qui sont dans trois partis différents au Parlement européen : la Ligue (Identité et démocratie, désormais au sein des Patriotes pour l'Europe), Forza italia (Parti populaire européen) et Fratelli Italia (Conservateurs et Réformistes européens). Un point les unit : leur capacité à aller ensemble aux élections autour d’un chef et leur irréductible volonté de barrer la route à la gauche. Le rapport de force au sein de cette coalition change en 2022, lorsque Fratelli d’Italia devient le premier parti. De centre-droit, la coalition est devenue de droite-centre.

Cette coalition de centre droit, qui se maintient aux alentours de 40 % depuis 1994, rassemble aujourd’hui trois composantes, qui sont dans trois partis différents au Parlement européen : la Ligue (Identité et démocratie, désormais au sein des Patriotes pour l'Europe), Forza italia (Parti populaire européen) et Fratelli Italia (Conservateurs et Réformistes européens). Un point les unit : leur capacité à aller ensemble aux élections autour d’un chef et leur irréductible volonté de barrer la route à la gauche. Le rapport de force au sein de cette coalition change en 2022, lorsque Fratelli d’Italia devient le premier parti. De centre-droit, la coalition est devenue de droite-centre.

Le rapport de force au sein de cette coalition change en 2022, lorsque Fratelli d’Italia devient le premier parti. De centre-droit, la coalition est devenue de droite-centre.

On a beaucoup évoqué en France ces dernières semaines la pratique italienne des "gouvernements techniques". Comment s’est-elle matérialisée concrètement et a-t-elle permis de surmonter les difficultés des partis politiques ?

L’Italie a plusieurs fois eu recours à des "gouvernements techniques", c’est-à-dire des gouvernements non politiques. On peut recenser quatre expériences :

En 1993, en pleine crise économique et politique, le président de la République Oscar Luigi Scalfaro nomme le gouverneur de la Banque d'Italie, Carlo Azeglio Ciampi, qui, avec le soutien d’une partie des partis, gouverne pendant un an avec un mélange de personnalités dites "techniques", issues du milieu universitaire, et de quelques hommes politiques. Il est chargé de rassurer les marchés financiers et de "faire le sale boulot".

Entre 1994 et 1996, c’est encore à un économiste qu’incombe la tâche de former un gouvernement : Lamberto Dini, directeur général de la Banque d’Italie, est nommé président du Conseil par le président de la République . Certains partis rejoignent son gouvernement technique, sans qu’il n’y ait jamais d’union nationale complète. Forza Italia reste ainsi à l’écart.

En 2011, Mario Monti, économiste, président de la Bocconi, la prestigieuse université milanaise, consultant pour Goldman Sachs mais aussi ancien commissaire européen au Marché intérieur est d’abord nommé sénateur à vie puis porté à la présidence du Conseil par Giorgio Napolitano, dans un contexte très tendu: Silvio Berlusconi a dû démissionner dans le contexte scabreux du scandale “bunga bunga” (des soirées libertines avec des jeunes filles mineures) et l’Italie subit de plein fouet les effets de la crise financière et économique amorcée en 2008. A ce moment-là, le président de la République acquiert un rôle de plus en plus indispensable. Tous les portefeuilles sont détenus par des experts, notamment des professeurs, qui appliquent à l’Italie une cure d'austérité drastique. Cela rassure les marchés financiers mais conduit aussi, en 2013, à l’émergence du Mouvement 5 étoiles, fondé en 2009 par l’humoriste Beppe Grillo.

Entre 2013 et 2014, un gouvernement de “grande entente” se met en place, qui n’est pas un gouvernement technique à proprement parler. Giorgio Napolitano nomme Enrico Letta, membre du Parti démocrate (centre gauche) président du Conseil. Celui-ci parvient à rassembler différentes forces de droite et de gauche mais tombe au bout de seulement sept mois à cause de son camarade de parti, mais rival, Matteo Renzi.

Entre 2013 et 2014, un gouvernement de "grande entente" se met en place, qui n’est pas un gouvernement technique à proprement parler.

En 2021 enfin, les partis politiques étant dans l’incapacité de former un gouvernement, le président Sergio Mattarella appelle Mario Draghi à prendre place au Palais Chigi pour gouverner pendant un an. Les ministres sont des techniciens et des représentants des partis qui tous le soutiennent à l’exception de Frères d’Italie.

Il démissionne en juillet 2022. Le président de la République dissout les Chambres (la Chambre des députés et le Sénat) et les élections permettent à  Giorgia Meloni avec ses alliés, La Ligue et Forza italia de l’‘emporter. Son parti passe de 4 % en 2018 à 26 % des suffrages en quatre ans.

Il est à remarquer que chaque gouvernement technique est aussi de facto un gouvernement du président de la République dans le sens où celui-ci travaille étroitement avec les présidents du Conseil mettant à leur service sa grande expérience politique.

Les gouvernements de coalition, en dépit de leur grande instabilité, et cette culture de la "médiation" ont-ils permis de mener les réformes nécessaires pour le pays ?

Mario Draghi a mené des réformes en profitant des millions d’euros pour la relance dans le cadre du plan Next generation UE et il est parvenu à faire face à la crise sanitaire.

Entre 1994 et 2013, la coalition de centre gauche et celle de centre droit avaient les moyens de mener, alternativement, leur politique. Les urnes donnaient des majorités nettes. Il pouvait y avoir des tensions dans les coalitions de droite, mais le gouvernement menait sa politique. Ce fut plus délicat pour la gauche, au gouvernement de 1996 à 2001, de 2008 à 2011, et 2013 à 2018, très souvent divisée en son sein.

Il y  eut aussi les très baroques coalitions de Giuseppe Conte, entre 2018 et 2021 En 2018, aucune coalition n’a de majorité absolue car le Mouvement cinq étoiles, premier parti politique, trouble le jeu. Après un blocage qui dure 82 jours, une coalition inattendue se dégage : la Ligue se détache de la coalition de centre droit et accepte de former un gouvernement avec le Mouvement 5 étoiles. Ils écrivent ensemble un programme commun, font donc des concessions, mènent des réformes comme celle du revenu de citoyenneté et gouvernent pendant un an, jusqu’à ce que, renversement des positions, la Ligue, alors en pleine ascension, fasse tomber le gouvernement en 2019 pour tenter d’obtenir des élections anticipées. Mais le président de la République refusa de dissoudre les Chambres et chercha à trouver une solution politique. Et, en effet, le Mouvement 5 étoiles gouverne ensuite, entre autres, avec le parti démocrate jusqu'en 2021, où une nouvelle crise donne le pouvoir à Mario Draghi. Matteo Salvini entame alors un déclin aussi rapide que fut assez fulgurante sa montée en puissance. 

Que pourrait modifier la réforme constitutionnelle promise par Giorgia Meloni, qui vise notamment à renforcer les pouvoirs de la présidence du Conseil et à empêcher les changements de majorité en cours de législature ?

La réforme est en cours, elle vise à renforcer les pouvoirs du président du Conseil en organisant son élection au suffrage universel direct. Elle suscite de nombreuses controverses mais répond à une attente réelle, dont on parle en Italie depuis des décennies. Le débat porte sur la répartition exacte des pouvoirs entre le président du Conseil et celui du président de la République, et sur le mode de scrutin.

Elle vise à renforcer les pouvoirs du président du Conseil en organisant son élection au suffrage universel direct.

La deuxième question concerne la loi électorale : faut-il donner la majorité absolue des sièges au parti qui a obtenu la majorité relative dans les suffrages, quel qu’en soit le score ou faut-il une élection à deux tours, pour amoindrir le fait majoritaire ?

Fratelli d’Italia et ses supporters sont bien sûr très favorables à cette réforme, tandis que le parti démocrate de centre gauche, ainsi que des constitutionnalistes, la refusent catégoriquement. Mais de nombreux think tank et constitutionnalistes de tous horizons considèrent que cette adaptation n’a rien d'hérétique et que, si elle était bien pensée, elle pourrait améliorer le système politique.

Pour que cette réforme entre en vigueur, il faudrait le vote favorable de 75 % des parlementaires et si ce n’est pas le cas une victoire par référendum que Giorgia Meloni, instruite par l’exemple malheureux de Matteo Renzi et Silvio Berlusconi, redoute.

Pour conclure cette discussion, quelles leçons la France pourrait-elle retenir du modèle italien dans la séquence politique inédite qu’elle traverse ?

La difficulté italienne à mener à bien des  réformes est réelle. Mais le système politique de la péninsule possède de fortes capacités de médiation qui ont permis, dans le passé, de "romaniser les barbares", pour reprendre les termes de l’historien et du politologue Giovanni Orsina, c’est-à-dire d’acculturer les partis les plus radicaux au fonctionnement institutionnel en place : ce sont successivement le Parti communiste, le Mouvement social, dans une certaine mesure, la Ligue, le Mouvement 5 étoiles et Fratelli d’Italia, qui se sont ralliés au système démocratique. La démocratie parlementaire facilite le dialogue, malgré les moments de grandes tensions et de polarisation.
 
Propos recueillis par Hortense Miginiac

Giorgia Meloni, présidente du Conseil, Antonio Tajani, président du Parlement et président de Forza Italia, Matteo Salvini, vice-président du Conseil des ministres et leader de la Ligue, Sergio Mattarella, président de la République.

Copyright image : Alan-Ducarre

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