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04/12/2018

G20 à Buenos Aires – le tango des néo-autoritaires

G20 à Buenos Aires – le tango des néo-autoritaires
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Ce sommet du G20 à Buenos Aires était entouré d’une étrange atmosphère. Comme on se rapprochait de l’échéance, un double suspense retenait l’attention des observateurs.

Tout d’abord, Donald Trump s’associerait-il cette fois-ci à une déclaration finale, contrairement à ce qui s’était passé pour le dernier G7 ? Et si c’était le cas, cette déclaration finale conserverait-elle quelque substance ? Les spécialistes du multilatéralisme sont finalement soulagés. Le Président des Etats-Unis a affiché une humeur aussi maussade qu’à Paris lors des cérémonies pour le centième anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale, sans toutefois se répandre en propos agressifs contre ses homologues cette fois-ci. Il s’est contenté d’annuler la plupart des entretiens bilatéraux qui étaient prévus, dont celui avec M. Poutine. Un texte a bien été agréé entre les 20 à Buenos Aires, qui toutefois laisse de côté les Etats-Unis s’agissant de la mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le changement climatique. Les diplomates européens ont obtenu que le G20 réaffirme son attachement, en matière de commerce, à un "système fondé sur des règles". La seule véritable avancée, mais qui n’est pas négligeable, porte sur le lancement d’une réforme de l’Organisation Mondiale du Commerce, ce qui correspond à une préoccupation commune des Européens et des Américains.

On peut noter aussi que le sommet avait été précédé de la signature à grand spectacle d’un nouvel accord Amérique-Canada-Mexique se substituant à l’ALENA honni des électeurs de M. Trump. Là aussi, il s’agit plutôt d’une bonne nouvelle, car la mise en scène d’une grande victoire de l’administration américaine à ce sujet dissimule en fait un résultat beaucoup plus équilibré, de nature en tout cas à réintroduire un élément de stabilité dans le commerce international.

Le dîner qui réunissait les délégations américaine et chinoise s’est conclu par l’annonce d’une trêve dans l’actuelle confrontation sur les tarifs commerciaux.

C’est toutefois le second suspens qui a fait les titres des journaux : quel accueil serait fait au prince héritier saoudien, Mohamad Ben Salmane (MBS), sur qui pèsent de forts soupçons dans l’affaire du meurtre du journaliste Jamal Khashoggi à Istanbul ? Comment interpréter l’annulation du rendez-vous Trump-Poutine ? Comment allait se conclure la rencontre, prévue comme capitale, entre M. Trump et M. Xi, le dirigeant chinois ? Signe des temps, au fond : c’est sur le cercle des néo-autoritaires – M. Modi et M. Erdogan n’étant pas loin – que se concentrait l’attention.

Le tango Trump-Xi a été apparemment un succès. Le dîner qui réunissait les délégations américaine et chinoise s’est conclu par l’annonce d’une trêve dans l’actuelle confrontation sur les tarifs commerciaux. Ce n’est pas une indication sûre pour l’avenir, puisque M. Trump a fait de son imprévisibilité la marque de sa politique. C’est toutefois un répit utile. Ne faut-il pas y voir aussi l’esquisse d’un nouveau condominium ? La valse manquée entre Trump et Poutine a dû laisser d’autant plus de traces dans l’ego du chef du Kremlin que le sommet dans le sommet, la rencontre sino-américaine, a dans une certaine mesure éclipsé la réunion du G20 proprement dite. Pour justifier, au dernier moment, l’annulation de son entretien avec le Président russe, M. Trump avait tweeté que "les navires et équipages ukrainiens n’avaient pas été rendus". La raison officielle de l’annulation concernait donc bien le dernier incident en mer d’Azov.

Beaucoup d’observateurs estiment qu’en réalité, Donald Trump a préféré renoncer à voir Vladimir Poutine pour des raisons de politique intérieure. Les dernières révélations de l’enquête sur la collusion de sa campagne électorale avec la Russie, à la suite d’un nouveau retournement de position de son ancien avocat, M. Cohen, semblent indiquer que M. Trump continuait à rechercher un deal immobilier avec Moscou alors qu’il allait être endossé par les Républicains comme leur candidat aux présidentielles.

La valse manquée entre Trump et Poutine a dû laisser d’autant plus de traces dans l’ego du chef du Kremlin que le sommet dans le sommet.

On pense donc que le Président américain a jugé qu’il n’était pas opportun de se montrer dans un moment de convivialité avec M. Poutine. Ce dernier a quitté Buenos Aires en faisant savoir qu’il ne relâcherait pas les marins ukrainiens qu’il détient, aussi longtemps que M. Porochenko resterait au pouvoir à Kiev. C’est sans doute sa manière à lui de marquer sa mauvaise humeur.

Quand à MBS, il a dansé avec tout le monde : arrivé en paria, il est reparti à nouveau adoubé, ayant saisi l’occasion d’enchaîner une série d’entretiens bilatéraux, fussent-ils des apartés, comme avec le Président Macron. Le seul participant au sommet qui soit resté glacial avec lui a été le Président turc, M. Erdogan. En revanche, les grandes accolades entre M. Poutine et MBS ont été remarquées. C’est l’un des paradoxes de l’affaire Khashoggi : le Président américain a la volonté de préserver la relation stratégique de Washington avec le prince héritier saoudien, mais l’une des leçons que celui-ci tirera sans doute de cette affaire est la nécessité d'accroître la diversification de ses alliances.

Pour être complets, ajoutons que Buenos Aires a été aussi l’occasion d’une rencontre à trois, entre M. Modi, M. Trump et le Premier ministre japonais, M. Abe. L’année prochaine, le sommet du G20 se tiendra au Japon. Le Brésil sera représenté par M. Bolsonaro, nouveau venu dans le club des néo-autoritaires qui, avec probablement le nouveau président mexicain, M. Andres Manuel Lopez Obrador, pourrait constituer avec M. Trump un autre trio. Il y a ainsi toute une géopolitique des néo-autoritaires qui se dessine sous nos yeux : elle n’est pas faite que de connivences, comme en témoigne la rupture Erdogan-MBS ou le refroidissement entre M. Poutine et M. Trump. Elle a évidemment pour corollaire un rétrécissement de la coopération internationale sur les grands enjeux de gouvernance. ABuenos Aires, peut-être le pire a-t-il été évité, notamment en matière de commerce, mais les travaux de ce sommet du G20 paraissaient singulièrement décalés par rapport aux risques que font peser la tendance au retournement de l’économie mondiale, la compétition numérique sans règle du jeu, le retard pris dans la lutte contre le changement climatique, la montée des inégalités. Sans compter bien entendu la politique au bord du gouffre que l’on voit se propager sur le plan géopolitique au Proche-Orient (crises en chaîne), en Asie (mer de Chine du Sud) et en Europe (Ukraine).

 

Crédit photo : GCIS

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