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12/07/2023

France - Allemagne : entretien avec Anna Lührmann, ministre chargée des Affaires européennes et du Climat

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France - Allemagne : entretien avec Anna Lührmann, ministre chargée des Affaires européennes et du Climat
 Alexandre Robinet-Borgomano
Auteur
Expert Associé - Allemagne
 Institut Montaigne
Auteur
Institut Montaigne

Le 11 juillet dernier, l’Institut Montaigne recevait la ministre allemande chargée des Affaires européennes et du Climat, Anna Lührmann. Dans cet entretien exclusif, elle répond aux questions d’Alexandre Robinet Borgomano, spécialiste de l’Allemagne, expert associé à l’Institut Montaigne. Dans une période marquée par de profonds chamboulements stratégiques sur la scène internationale, ils reviennent sur la relation franco-allemande, ses perspectives et ses défis ; la souveraineté européenne, les politiques économiques et de défense.

Comment la notion de "souveraineté européenne" est-elle appréhendée depuis Berlin ?

L'Allemagne partage avec la France l'objectif de renforcer la souveraineté européenne. Comme l'a rappelé le chancelier Scholz à Prague il y a un an, nous devons raffermir notre souveraineté dans tous les domaines, assumer une plus grande responsabilité pour notre propre sécurité, travailler ensemble plus étroitement et faire preuve de davantage d’unité dans la défense de nos valeurs et de nos intérêts dans le monde. Il faut également lever un malentendu : la souveraineté économique ne signifie pas l'autosuffisance, mais elle implique une coopération européenne plus forte et des investissements dans la transformation environnementale et numérique.

La relation franco-allemande semble affaiblie. Partagez-vous cette impression et, si c'est le cas, comment expliquez-vous cette détérioration ?    

Notre partenariat est solide. Il repose sur un système d'échanges et de confiance très robuste qui s'est construit au cours des 60 dernières années et qui, précisément lorsque des désaccords surviennent, s'avère très précieux. Avec la crise climatique et le retour de la guerre en Europe, la France et l'Allemagne - comme l'ensemble du continent européen - sont confrontées à d'immenses défis. Ils ébranlent de nombreuses certitudes sur lesquelles reposent nos sociétés. Mais une certitude est épargnée : celle selon laquelle nous pourrons toujours compter sur la France, qui est notre plus proche partenaire et notre meilleur ami. Récemment encore, des convergences que nous attendions depuis longtemps se sont mises en place, dans le domaine de l'industrie européenne ou de la politique d'élargissement de l'UE.

La place de l'énergie nucléaire dans le mix énergétique européen, comme les niveaux élevés de dettes publiques, ont toujours fait l’objet de désaccords entre la France et l'Allemagne. Quelle est votre perception de l'évolution du débat franco-allemand dans ces deux domaines ?

Il est important de rappeler que nos deux pays sont alignés dans la plupart des domaines. Mais il est vrai que nos positions divergent sur le rôle du nucléaire dans le bouquet énergétique de l'UE. Permettez-moi de souligner néanmoins que nos deux pays convergent sur la nécessité d'accélérer la place des énergies renouvelables, et qu'ils ont tous deux réalisé des progrès très rapides en la matière au cours des dernières années. En Allemagne, l'année dernière, la moitié de l'électricité provenait des énergies renouvelables !

Nous devons nous assurer que nous renforçons la capacité d'action de l'UE, que nous augmentons notre compétitivité mondiale et que nous préparons l'Union pour l'avenir.

S’agissant maintenant des niveaux d'endettement et des nouveaux défis en matière d'investissement, l'UE débat de la manière de mettre à jour son cadre de gouvernance économique. Les questions qui se posent sont les suivantes : comment tenir compte de l'évolution de l'environnement ? Comment intégrer les réponses politiques aux nouveaux défis dans le pacte de stabilité et de croissance ? Comment pouvons-nous encore améliorer l'efficacité du pacte ? Nous devons nous assurer que nous renforçons la capacité d'action de l'UE, que nous augmentons notre compétitivité mondiale et que nous préparons l'Union pour l'avenir.

L'Allemagne continuera à contribuer de manière constructive à ce débat. Je suis convaincue que nous progresserons et que nous trouverons de bonnes réponses.

Lors de son discours au Bundestag, dans lequel il a développé l'idée d'une nouvelle ère ("Zeitenwende"), le chancelier Olaf Scholz a esquissé un nouveau rôle de leader pour l'Allemagne en matière de politique de défense. Cette ambition pourrait-elle conduire à de nouvelles tensions entre Paris et Berlin ?

Au contraire ! Dans notre nouvelle stratégie de sécurité nationale, nous indiquons clairement que la sécurité de l'Allemagne est indissociable de celle de nos partenaires et alliés. Nous nous engageons à allouer 2 % de notre PIB, en moyenne sur une période de plusieurs années, à la réalisation des objectifs capacitaires de l'OTAN. C’est le fonds spécial nouvellement créé pour la Bundeswehr qui nous permettra de porter cette ambition dans un premier temps. Cela correspond parfaitement à la position française concernant l'importance de l'augmentation des dépenses de défense.

Quelles sont selon vous les trois initiatives très concrètes qui pourraient rapprocher Paris et Berlin ?

Le traité d'Aix-la-Chapelle propose bien plus de trois initiatives concrètes ! Je pense notamment à la participation d'un ministre au Conseil des ministres de l'autre pays, comme l'a fait le ministre Baerbock à Paris en mai, ou bien la création de l'Assemblée parlementaire franco-allemande, qui renforce considérablement les échanges bilatéraux au niveau parlementaire, comme l'a montré la dernière réunion en mai. Lors du Conseil des ministres franco-allemand de janvier dernier, nous avons également décidé d'organiser des rencontres ministérielles plus larges, et l'Allemagne accueillera la première cet automne.

Mais ce qui est peut-être plus important encore, ça n'est pas seulement de rapprocher Paris et Berlin, mais aussi de rapprocher nos sociétés civiles. Et là, les derniers sondages sont assez inquiétants : les jeunes reconnaissent que les relations entre nos pays sont importantes, mais la connaissance et l’intérêt mutuels restent faibles.

Les jeunes reconnaissent que les relations entre nos pays sont importantes, mais la connaissance et l’intérêt mutuels restent faibles.

Le lancement du billet de train franco-allemand à l'occasion du 60e anniversaire du traité de l'Élysée a été une excellente initiative à cet égard. Nous sommes également très engagés dans la mise en œuvre de nos stratégies linguistiques respectives. Avec le Fonds citoyen franco-allemand, une autre initiative du traité d'Aix-la-Chapelle, doté d'un budget de 5 millions d'euros cette année, nous souhaitons soutenir financièrement des initiatives citoyennes qui créent des ponts entre nos sociétés, en mettant fortement l'accent sur les organisations ou les personnes qui ne sont pas encore actives dans la sphère des relations franco-allemandes.

Copyright Image : JOHN THYS / AFP

La ministre d'État allemande chargée de l'Europe au ministère fédéral des Affaires étrangères, Anna Lührmann, fait une déclaration à son arrivée au Conseil des ministres des Affaires générales (CAG) au siège de l'UE à Bruxelles, le 14 décembre 2021.

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