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16/08/2018

Face aux néo-autoritaires : que faire ? Éléments pour lancer un débat

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Face aux néo-autoritaires : que faire ? Éléments pour lancer un débat
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Nous l’avions indiqué lors de notre premier portrait, celui de Vladimir Poutine : en évoquant dix figures en quelque sorte emblématiques du "néo-autoritarisme", qui parait avoir le vent en poupe dans le monde d’aujourd’hui, nous avons procédé de manière essentiellement arbitraire, sans appliquer des critères de sélection rigoureux ou suivre un concept directeur.

Avouons-le : nous nous sommes laissés guider par l’air du temps. Une fois écartés les despotismes congelés, du type biélorusse, anciens pays soviétiques ou dictateurs africains, nous avons pris différents personnages qui – il faut le constater – redonnent, sous des formes variées, de l’attractivité au modèle autoritaire

On peut regretter des absences notables dans notre galerie : les nouveaux dictateurs d’Amérique latine (un Nicolas Maduro) qui font revivre la filière bolivarienne ou les hommes forts d’Asie (un Rodrigo Duterte) peut-être aimantés par le modèle Xi. D’autres dirigeants européens ou du monde méditerranéen auraient eu toute leur place dans notre bestiaire (certains lecteurs réclament une "seconde vague" de portraits). On peut juger inversement critiquable d’avoir inclus dans la même série des dictateurs authentiques, parfois versant dans la barbarie absolue comme Assad, et des dirigeants démocratiques "seulement" – si l’on peut dire – attirés par l’autoritarisme ou inspirés par le populisme (cette rampe de lancement des "dérives autoritaires").

Le caractère hétérogène de notre échantillon rend difficile, diront les sages ou les savants, de tirer de notre galerie de portraits des conclusions générales.

"Sans verser dans le marxisme, il est probable que l’économie – la globalisation, quarante ans de néo-libéralisme, la crise de 2008 – a quelque chose à voir (au moins dans les pays occidentaux) avec le phénomène que nous décrivons."

Et pourtant… Première leçon : il s’est bien passé quelque chose au cours des 18 premières années de ce XXIème siècle qui, indépendamment des frontières entre les systèmes politiques, a conduit à un recul des valeurs issues des Lumières

Ainsi, Viktor Orban avait été élu vice-président de l’Internationale Libérale dans un congrès à Mayence à la fin des années 1990. En l’an 2000, M. Poutine faisait encore figure justement de "libéral" dans la Russie émergent du chaos post-soviétique. M. Erdogan se proposait de réconcilier l’islam politique et la démocratie. A l’autre bout du spectre, M. Xi en 2000 était déjà lancé sur la trajectoire de tout haut responsable du PC chinois ayant l’ambition d’accéder au sommet mais ce n’est que bien plus tard qu’il donnera cette touche "personnelle" qui caractérise désormais son exercice absolu du pouvoir. Assad était déjà à l’orée de ce siècle un dictateur bien entendu, héréditaire de surcroit, mais il offrait encore un visage réformiste. Chez Sissi, on a l’impression certes d’un modèle immuable, à vrai dire d’un retour en arrière, mais MBZ et MBS, comme l’a montré notre portraitiste, renouvellent incontestablement le style de l’ "homme fort" arabe classique.

Sans verser dans le marxisme, il est probable que l’économie – la globalisation, quarante ans de néo-libéralisme, la crise de 2008 – a quelque chose à voir (au moins dans les pays occidentaux) avec le phénomène que nous décrivons. Celui-ci est sans doute inséparable de la crise des classes moyennes, de l’explosion des inégalités, de la dévalorisation de la politique, perçue par beaucoup comme soumise au marché.

"Progressivement, des rapprochements se sont dessinés entre régimes autoritaires, fondés sur des convergences d’intérêt mais aussi sur des affinités profondes de régime à régime"

Deuxième leçon : on ne peut qu’être frappé par l’attirance qu’éprouvent l’un pour l’autre ces autoritaires du XXIème siècle. Poutine est leur patriarche. Sa longévité, ses succès au moins apparents, ses choix idéologiques aussi, donnent un cachet de respectabilité à la confrérie des néo-autoritaires. En contrepoint de Bush puis en opposition à Obama, il est celui qui a brisé le tabou d’une "victoire" inéluctable du libéralisme politique en même temps que de l’économie de marché. Progressivement, des rapprochements se sont dessinés entre régimes autoritaires, fondés sur des convergences d’intérêt mais aussi sur des affinités profondes de régime à régime : de telles affinités ont beaucoup compté par exemple dans l’action de la Russie aux côtés d’Assad en Syrie - l'ère des "expéditions militaires néo-autoritaires" n'a-t-elle pas succédé à celle des "interventions néo-conservatrices" ? - puis dans la coopération stratégique Turquie-Russie-Iran sur le Levant.

L’une des raisons d’inclure Donald Trump dans notre galerie de portraits se situe là : le célèbre promoteur immobilier new-yorkais, disrupteur de l’ordre international libéral mais aussi prompt à jouer avec les limites du jeu démocratique dans son propre pays, apprécie de toute évidence M. Poutine, M. Xi, M. Kim. Il souhaiterait avoir M. Erdogan pour ami. Il méprise ses alliés européens ou canadiens – tout en cultivant en Europe les tenants de la ligne populiste. Nous n’en sommes pas encore au point où il pourrait adhérer à une "internationale autoritariste", et comme le précise notre portraitiste, Alexis Clérel, des cordes de rappel existent heureusement dans la plus vieille démocratie du monde. Pour l’instant toutefois, le comportement de Trump a un effet de légitimation des autoritaires et des dirigeants illibéraux.

"L’éloignement des classes moyennes à l’égard des standards du libéralisme politique a ouvert la voie à cette pulsion identitaire que l’on constate à peu près partout"

Troisième leçon : au moins autant que le profil personnel des nouveaux autoritaires, c’est le rapport à leurs sociétés qui doit retenir l’attention. Malgré, encore une fois, les différences de contextes, de filiations, d’itinéraires, quelques fils directeurs communs peuvent être repérés. 

L’éloignement des classes moyennes à l’égard des standards du libéralisme politique a ouvert la voie à cette pulsion identitaire que l’on constate à peu près partout, chez les électeurs hindous de M. Modi comme dans la base de "petits blancs" de M. Trump. Les nouvelles technologies, les nouveaux réseaux numériques en particulier, ont décuplé les moyens de contrôle des autoritarismes sur leurs peuples et leurs capacité à perturber le jeu démocratique dans les sociétés ouvertes. Dès lors, que vous soyez un dictateur issu d’un parti communiste traditionnel ou un dirigeant élu honnêtement mais en rupture de ban pour affirmer votre pouvoir, ou encore un prince arabe soucieux de rassembler derrière vous une nation en construction, les mêmes recettes se présentent à vous : la xénophobie, l’hostilité aux immigrants, la "politique de la colère et du ressentiment" dénoncée par Barak Obama dans son beau discours pour l’anniversaire de la naissance de Mandela, l’exaltation d’un rêve identitaire national ou autre. A quoi s’ajoutent dans les pays de tradition libérale ou ayant subi l’empreinte du libéralisme (Turquie, Inde, Europe centrale) des traits empruntés au système des dictatures : l’exploitation du sentiment anti-establishment, la limitation de la liberté des médias, plus généralement le rejet des corps intermédiaires (ou autres "intermédiations" comme disent les politologues), l’identification du supposé "pouvoir populaire" à un dirigeant "fort".

L’un des traits les plus notables de notre Zeitgeist réside dans le continuum qui existe désormais entre la démocratie régressive et la dictature la plus absolue avec de très nombreux degrés intermédiaires entre ces deux archétypes. 

"Il faut que le débat se développe dans notre pays et en Europe sur ces sujets"

Que faire, face à la vague des néo-autoritaires ? On suggérera que trois approches doivent être combinées pour imaginer une riposte de la part des démocraties libérales.

  • Une nécessaire prise de conscience : on ne peut plus raisonner aujourd'hui sur les affaires internationales en faisant abstraction de la nature des régimes, comme cela a très largement été le cas ces dernières décennies, en dépit de déclarations de principe en soutien aux droits de l'homme, des politiques des pays occidentaux (et de la France en particulier). La raison en est simple : la contagion des autoritarismes risque désormais de mettre en cause la souveraineté même des Etats qui sont fondés sur la démocratie libérale. L'idée que les Occidentaux ont eu le tort de se livrer à du prosélytisme en faveur du modèle libéral a toujours été contestable mais elle est maintenant décalée par rapport aux réalités : si l'on compare avec le début des années 2000, le renversement de tendance fait que c'est le modèle libéral qui, dans la compétition des puissance, est désormais menacé.

    Pour être complète cette prise de conscience doit inclure une vue lucide de la situation en Europe. Celle-ci a rendez-vous avec son destin car la ligne de fracture entre le modèle libéral et la "démocratie illibérale" passe en son sein. Le président Macron l'a relevé à juste titre dans son discours devant le Parlement européen le 17 avril, en marquant très bien le défi à relever : "Face à l'autoritarisme qui partout nous entoure, la réponse n'est pas la démocratie autoritaire mais l'autorité de la démocratie". 
     
  • L’approche géopolitique : la nécessaire prise de conscience du "moment néo-autoritaire" (qui peut s'éterniser !) doit-il conduire à formuler des politiques étrangères "vertueuses", orientées par des considérations exclusivement "idéologiques" ? Evidemment non : la loi des rapports de force, des intérêts d’État, de la Realpolitik va continuer à s’appliquer car c'est la nature du milieu international. Ce qui nous parait important, c'est que les décideurs politiques intègrent désormais dans leurs calculs le paramètre de la montée en puissance du néo-autoritarisme - un autoritarisme conforme à "l'air du temps" - et de la menace qui en résulte pour les sociétés libérales.

    Il ne s’agit pas pour autant de ressusciter l’"alliance des démocraties", chère à Madame Albright. Il n’y a pas pour l’instant, ou pas encore, de "bloc autoritaire". On l’a observé : nous avons affaire à un continuum avec beaucoup de nuances. L’objectif devrait être d’exploiter les divergences d’intérêt stratégique entre États autoritaires pour empêcher un encerclement ou un étouffement des démocraties libérales. Même avec M. Modi, l’Inde redoute la montée en puissance de la Chine et un risque de collusion entre celle-ci et la Russie. Même avec M. Poutine et M. Erdogan, la lune de miel entre Moscou et Ankara trouvera un jour ses limites. A condition toutefois, notamment pour les Européens, de jouer les cartes dont ils disposent - et d'exploiter les faiblesses des néo-autoritaires (un exemple entre tous : leur addiction aux fortunes mal-acquises, souvent placées dans les coffres de banques occidentales). 
     
  • L’approche par les sociétés : la bataille à long terme doit se mener dans les opinions publiques. Or, l’une des leçons de notre série de portraits est que dans un grand nombre des pays concernés, tout espace public n’a pas disparu, la société civile existe encore. Les démocraties libérales doivent considérer que soutenir les sociétés civiles constitue un investissement d’avenir.

    Bien entendu, il ne peut y avoir en ce domaine que des politiques très différenciées en fonction des situations. Dans certains pays, le cas-type étant celui de la Chine, il est presque impossible d’entrer en relation soutenue avec des éléments actifs de la société civile. Ou il faut trouver des moyens très indirects. Il y a en tout cas ce qu’il ne faut pas faire : par exemple, vendre des systèmes de contrôle des opposants comme les ONG accusent le gouvernement français de le faire vis-à-vis de l’Égypte. En Turquie, en Inde et évidemment en Hongrie, en Egypte également et ailleurs, le canal des ONG, les liens culturels, les relations entre villes ou communautés infra-étatiques et autres peuvent être utilisés. Pour éviter le reproche d’interférence dans les affaires intérieures, il est de toutes façons nécessaire de démultiplier les relais non étatiques. Dans le cas de la France, cela suppose une remise en question, tant nous sommes habitués à négliger notre soft power et, même en ce domaine, à privilégier l’action de l’Etat. Cela implique aussi, au cas par cas, de devoir parfois négocier avec certains pays l’accès à la société civile et d’établir un rapport de forces à cet effet. 

Finalement, il nous apparait nécessaire et urgent, qu’un débat se développe dans notre pays et en Europe sur ces sujets. Nous serions heureux que cette série de portraits, dus à des plumes hautement compétentes et rehaussés des caricatures talentueuses de David Martin, ait pu y contribuer. Suggérons qu’un tel débat devrait être l’occasion de nouer un dialogue plus étroit entre ceux qui, des deux côtés de l’Atlantique, défendent les valeurs libérales. Observons aussi qu’un aspect du défi qui se présente aux démocrates devrait faire l’objet de plus de recherche et de réflexion : si M. Poutine fait pour l’instant figure de phare des néo-autoritaires, M. Xi n’est-il pas l’avenir de l‘autoritarisme ? Par quels canaux un "modèle chinois" d’autoritarisme pourrait-il se diffuser ? En quoi consisterait un tel modèle ? Quelle serait son attractivité, quel impact pourrait-il avoir dans le vaste monde, malgré le caractère si spécifique de l’expérience chinoise ?

 

Dessin : David MARTIN pour l’Institut Montaigne.

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