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15/12/2021

Evergrande - deux mois plus tard

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Evergrande - deux mois plus tard
 Philippe Aguignier
Auteur
Expert Associé - Asie

Après la publication d’une analyse de Philippe Aguignier qui, en septembre, posait la question de savoir si le groupe immobilier chinois Evergrande était "too big to fail", et son entretien croisé avec François Godement qui, en octobre, estimait les risques de contagion économique de cette "faillite au ralenti", Evergrande, a, depuis, échoué à rembourser ses créanciers à temps, ce qui lui a valu début décembre un abaissement de sa note à "défaut restreint". Philippe Aguignier, chercheur associé à notre programme Asie, fait ainsi le point sur ce dernier rebondissement dans la saga Evergrande, et le met en perspective avec l’instabilité financière plus générale à laquelle la Chine fait aujourd’hui face.

Le groupe Evergrande a finalement été déclaré en situation de défaut de paiement le 9 décembre par l’agence de notation financière Fitch. L’événement n’a pas eu quand il a fini par arriver de répercussion notable sur les marchés financiers. Cette relative placidité des marchés ne doit pas masquer la gravité des problèmes qui affectent le secteur immobilier, et au-delà potentiellement les fondements mêmes de la croissance économique chinoise. 

Les autorités chinoises, bien conscientes des effets potentiellement ravageurs d’une faillite désordonnée d’Evergrande, ont cherché à gagner du temps.


Les autorités chinoises, bien conscientes des effets potentiellement ravageurs d’une faillite désordonnée d’Evergrande, ont cherché à gagner du temps. Un défaut sur une dette internationale est un événement très visible avec un fort retentissement médiatique et des conséquences difficiles à contrôler. Il était donc crucial, pour Pékin, de le retarder le plus longtemps possible afin de pouvoir mettre en place un dispositif de restructuration de la dette colossale du groupe. Plusieurs échéances de paiement d’intérêt sur des obligations en USD tombaient en octobre et novembre.

Le groupe a chaque fois trouvé les fonds nécessaires à la toute dernière minute, sans explication sur leur provenance - il semble que Xu Jiayin, actionnaire principal et président du groupe, en soit à l’origine.

Les autorités ont mis à profit le temps gagné pour parer aux urgences : des messages rassurants ont été émis par la banque centrale sur le fait que les difficultés d’un groupe n’étaient pas le signe de difficultés pour tout le secteur ; les banques se sont vu expliquer où était leur devoir et nombre d’entre elles ont publié des communiqués annonçant qu’elles continueraient à financer acheteurs et promoteurs pour des projets immobiliers "raisonnables" ; des groupes de travail ont été mis en place avec les autorités locales dans toutes les villes où Evergrande a des projets en cours pour éviter l’arrêt des chantiers ou les relancer ; la situation de Shengjing Bank, une banque de Shenyang dont Evergrande était à la fois un actionnaire et un débiteur important et qui donnait des signes de faiblesse, a été stabilisée (ce, par le rachat par une société d’État locale d’une partie des actions détenues par Evergrande dans la banque, les fonds ainsi générés par Evergrande ayant servi à rembourser une partie de sa dette auprès de la banque) ; le 6 décembre, Evergrande annonçait la création d’un "comité de gestion des risques", comprenant un nombre important de représentants de sociétés d’État de la province du Guangdong, signe fort du rôle essentiel des autorités locales dans le pilotage de la situation.

À court terme, cette stratégie a porté ses fruits, et semble avoir calmé les marchés financiers. À y regarder de plus près, tout est loin d’être réglé. De nombreux autres promoteurs immobiliers ont, depuis septembre, rencontré des problèmes de liquidité et ont fait défaut ou sont sur le point de le faire. Les données précises manquent pour évaluer la situation réelle des transactions immobilières, mais tout indique que leur volume a baissé significativement et, malgré les messages rassurants, il n’est pas certain qu’elles reprennent si les acteurs estiment que les prix vont continuer à baisser.

Il y a fort à parier que la saga Evergrande n’est pas le dernier épisode d’instabilité financière auquel la Chine est confrontée.

On ne sait pas vraiment ce qui se passe sur le terrain et combien de chantiers ont été relancés et dans quelles conditions ; le sujet est jugé sensible et les informations publiques sont donc filtrées. 

Ce dont on est sûr, en revanche, est que l’essentiel du coût de ces restructurations sera porté par les autorités locales, déjà très endettées, et qui vont de plus souffrir d’une diminution de leurs revenus, qui dépendent fortement des ventes de terrain. Dans de nombreuses villes, des terrains sont restés sans acheteur lors d’enchères publiques ces derniers mois et les acheteurs - quand il y en avait - étaient plus souvent des promoteurs étatiques que des groupes privés. Les gouvernements locaux auront besoin de trouver des financements sur une grande échelle. Il n’est pas rassurant que le groupe Baoneng, un autre conglomérat important de Shenzhen (comme Evergrande), actif dans l’immobilier et les services financiers et porteur d’une dette estimée à 30 milliards de dollars, soit également en cours de restructuration sous l’égide des autorités locales, qui ont visiblement fort à faire. 

Il y a fort à parier que la saga Evergrande n’est pas le dernier épisode d’instabilité financière auquel la Chine est confrontée. Nous continuerons à nous pencher dans nos prochaines publications sur les causes profondes de ces épisodes et de leur récurrence.

 

Copyright : Noel Celis / AFP

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