AccueilExpressions par MontaigneÉlections législatives à risque en SuèdeL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.04/09/2018Élections législatives à risque en Suède Union Européenne EuropeImprimerPARTAGERAuteur Alice Baudry Alors Directrice du marketing et de la communication Dimanche prochain, les électeurs suédois voteront, comme tous les quatre ans, pour élire les 349 membres du Riksdag, parlement à une seule chambre. C’est l’un des scrutins importants qui se tient avant les élections européennes de mai 2019 et il aura, comme beaucoup d’autres élections nationales, valeur de test… avec toujours la même question : les forces populistes, d’extrême droite et anti-européennes vont-elles l’emporter ? Et avec quelles conséquences ?Un contexte d’éclatement multipartite Traditionnellement, les partis au Riksdag coopèrent en se retrouvant dans des blocs différents. Lorsque les partis de droite forment un bloc, on parle d’ "Alliance" entre les Modérés, le Parti du centre, les Libéraux et les Chrétiens-démocrates. Le deuxième bloc, connu comme « Rouges-Verts », est formé par les Sociaux-démocrates et le Parti de l’environnement - c’est cette coalition qui gouverne depuis les élections de 2014 -, et parfois le Parti de gauche. Dans ce contexte d’éclatement multipartite, les sondages pré-électoraux donnent tous les Démocrates de Suède, qui comme son nom ne l’indique pas est un parti nationaliste et anti-immigration, vainqueur ou deuxième de ce scrutin avec 20 % des voix environ – certains sondages lui prédisent davantage. Ce parti né en 1988 est longtemps resté confidentiel, marqué notamment par la contribution des milieux « racistes, nazis ou suprémacistes blancs » [1] suédois à sa création. Lors des premières élections législatives qui ont suivi sa naissance, il a recueilli 0,02 % des suffrages, puis 0,4 % dix ans plus tard en 1998. Les années 2000 l’ont vu croître de façon régulière : 1,4 % des voix en 2002, 2,9 % en 2006, 5,7 % en 2010 – première année de sa représentation au Parlement (puisque le parti dépassait, 22 ans après sa naissance, 4 % des voix) et 12,9 % en 2014. Selon un sondage mené fin août 2018 par Sifo (Kantar), le bloc « Rouges-Verts » recueille 41 % des intentions de vote. Les partis de l’« Alliance » obtiennent quant à eux 37,7 %. Cela signifie qu’aucun des blocs ne parviendrait à sécuriser la majorité, soit la moitié des votes. Les Démocrates de Suède deviendraient le deuxième parti du pays avec 19% des intentions de vote. Cela signifie qu’il prend plus d’importance que les Modérés, qui culmineraient à 18,5 %. Ils ne sont pas les seuls à progresser, puisque les Chrétiens-démocrates pourraient faire mieux que d’habitude, ainsi que le Parti de l’environnement, qui profitera peut-être des incendies de forêts survenus cet été. Comme partout ailleurs, les acteurs à la marge du système ou qui le remettent en cause progressent, au détriment des forces politiques classiques.Le pays du bonheur et de la prospérité !Ce « dégagisme » à la mode suédoise ne peut pas s’expliquer, comme en France, par le sentiment d’un malheur public ou d’un pessimisme généralisé. En effet, dans le dernier World Happiness Report de publié cette année par le Réseau des solutions pour le développement durable de l’ONU, la Suède pointe en 9e position, entourée du Canada, de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie. À titre de comparaison, la France se trouve en 23e position, la Grande Bretagne est 19e et l’Allemagne 15e. Ce n’est pas non plus la situation économique du pays qui explique la progression de l’extrême droite. Si la croissance a été divisée par deux en trois ans entre 2015 et 2017, elle est supérieure à 3 % en moyenne depuis le début de l’année, presque deux fois celle de la France. En outre, avec un taux de chômage de 6,2 % au moment des élections (il est 50 % supérieur en France) – soit le plus bas depuis 2010 –, la Suède se trouve du côté de l’Europe qui réussit, même si on estime qu’il est de 20 % pour la population d’origine étrangère. Il faut cependant regarder cette situation sans fatalisme car les projections d’évolution du marché du travail semblent indiquer que sans immigration, le pays connaîtrait une pénurie de main d’œuvre.L’irrésistible montée du populisme d’extrême-droiteC’est le leader des Démocrates de Suède depuis 2005, Jimmie Åkesson, qui a permis l’ascension de son parti, en le modernisant et en pratiquant une politique ferme de refus des déclarations racistes, une véritable stratégie de « dédiabolisation ». Ce qui n’empêche pas les Démocrates de Suède de porter tous les stigmates des partis nationalistes et populistes qui se développent sur ce modèle en Europe. Mercredi 29 août, dans une interview le matin à la radio (le jour du dernier débat officiel), Åkesson a déclaré qu’il ne pouvait pas choisir entre Macron et Poutine, rejoignant implicitement le front que le hongrois Viktor Orban et l’italien Matteo Salvini ont décidé de former contre le Président français. L’après-midi même, interpellé par le candidat libéral - « Vous ne voulez pas choisir entre la France démocratique libre et un pays qui devient une dictature ? » -, Åkesson a répondu : « Je n’ai pas à choisir. Personne ne doit hésiter sur ce que je pense de la politique étrangère agressive de la Russie ou sur le régime impérialiste agressif de Poutine en Russie, mais cela ne signifie pas que je doive choisir un impérialiste de gauche qui passe par l’UE. Je n’en veux pas ». Comme le montre bien l’étude de Johan Martinsson conduite récemment pour la Fondapol, les Démocrates de Suède cultivent habilement l’attachement fort de la population à l’Etat-providence et à la cohérence de la communauté nationale. Si celle-ci n’est pas définie ethniquement, elle repose sur des principes culturels, linguistiques et identitaires, qui ne peuvent conduire qu’à rejeter l’arrivée de migrants venus d’ailleurs qu’Europe. L’immigration est devenue le sujet le plus préoccupant pour l’opinion publique suédoise, particulièrement depuis la crise migratoire de 2015. Le fait migratoire n’est pas récent en Suède, comme le rappelle une autre étude de la Fondapol rédigée par Tino Sanandaji, qui souligne que « la Suède a enregistré le plus grand afflux de demandeurs d’asile par habitant jamais enregistré dans un pays de l’OCDE » [2].Le rôle des réseaux sociaux dans la campagne électorale De nombreux débats ont eu lieu pendant la campagne, bien sûr. Sur le marché du travail, sur l’éducation, l’égalité, la santé, le climat, l’Union européenne, mais ce sont ceux qui touchent à la justice, à la sécurité et à l’immigration, bien entendu, qui ont polarisé l’attention du public. Les citoyens interagissent sur les réseaux sociaux et le bruit s’est particulièrement concentré à droite (rappelons que pendant l’élection de novembre 2016 aux Etats-Unis, Breitbart et ses 920.000 interactions sur Facebook avaient bien plus de lecteurs en ligne que le New York Times ou CNN). Le nombre de pages à droite a régulièrement augmenté, tandis que le nombre de pages à gauche est demeuré relativement stable. Sur Facebook, des pages comme « Politiquement incorrect » ou encore « La Suède ensemble » sont deux des pages que le quotidien suédois Dagens Nyheter a suivies (un article récent leur a été consacré), car elles diffusaient des messages populistes. Elles ont connu un pic de fréquentation début août et le rythme de publication y a été extrêmement soutenu. La campagne a également révélé que 17 % des comptes Twitter qui publient sur la politique suédoise seraient faux. C’est du moins ce que pense l’Agence suédoise de recherche pour la défense dans une étude consacrées aux élections de 2018 et publiée dans le tabloïd Aftonbladet. Entre juillet et août dernier, le nombre de comptes de robots a doublé (de 600 comptes en juillet à 1200 en août). Les tweets émis par ces robots sont évidemment favorables aux Démocrates de Suède en attaquant l’islam, les partis libéraux et les médias établis. Les élections de dimanche prochain ressemblent donc beaucoup à d’autres scrutins qui se sont tenus en Europe depuis deux ans : poussée anti-système, refus de l’immigration, montée du populisme d’extrême-droite, influence des réseaux sociaux… Sans oublier la peur de l’islam et le refus de l’islamisme, amalgamés : dans les dernières heures de la campagne, le grand média installé Svenska Dagbladet a publié un dossier important contre le salafisme en Suède. [1] Johan Martinsson, Les « Démocrates de Suède » : un vote anti-immigration, Fondapol, septembre 2018. [2] Tino Sanandaji, Les Suédois et l’immigration. Fin de l’homogénéité ?, Fondapol, septembre 2018.ImprimerPARTAGERcontenus associés 26/08/2018 Le combat des chefs en Europe Marc Lazar 25/06/2018 Autriche : un chancelier pour l’Europe ? Morgan Guérin