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12/10/2011

École et banlieue : les leçons de l’enquête de Gilles Kepel

École et banlieue : les leçons de l’enquête de Gilles Kepel
 Institut Montaigne
Auteur
Institut Montaigne

Tribune publiée dans le cadre de notre partenariat avec L'Etudiant/Educpros.

L'Institut Montaigne, a mené une grande enquête intitulée Banlieue de la République sur le territoire où ont éclaté les émeutes de 2005 : la communauté d'agglomération de Clichy-sous-Bois-Montfermeil (93). L'équipe dirigée par Gilles Kepel, professeur des universités, a exploré les espoirs et les regrets des habitants face à l'école (1). Comment s’est faite leur orientation ? Comment se répartissent les élèves entre filières générales et professionnelles ? Alors que le poids de l'échec scolaire semble faire de la banlieue le lieu de reproduction des inégalités sociales, l’enquête montre que des réussites individuelles existent.

L'orientation scolaire, révélatrice de la corrélation entre inégalités sociales et inégalités scolaires

Les violences urbaines de l’automne 2005 ont fait naître de nombreuses interrogations sur la capacité française de faire société. Dans la lignée de ses travaux sur la cohésion sociale, l’Institut Montaigne s’est penché sur ces interrogations et a mené une enquête pendant plus d’un an sur le territoire où se sont déclenchées les émeutes : la communauté d’agglomération de Clichy-sous-Bois/Montfermeil en Seine-Saint-Denis. Cette enquête révèle que l’un des problèmes les plus criants y est l’articulation entre éducation et emploi. Les difficultés d’entrée sur le marché du travail, bien sûr présentes dans l’ensemble de la société française, y sont exacerbées par l’enclavement, les problèmes sociaux et l’échec scolaire massif d’une grande partie de sa jeunesse. Dans un tel contexte, la question de l’orientation des jeunes constitue un enjeu majeur.

Porteuse d’espoirs immenses, l’école est pourtant l’objet des ressentiments les plus profonds en cas d’échec, lieu par excellence de reproduction des inégalités sociales. L’orientation en fin de collège est trop souvent vécue comme un couperet et il n’est pas anodin qu’au fil des nombreux entretiens conduits par l’équipe de chercheurs ayant réalisé l’étude, la figure la plus détestée par nombre de jeunes soit celle du conseiller d’orientation, loin devant celle des policiers. Quel que soit le profil de l’enquêté – "galérien tenant le mur", jeune étudiant plutôt en réussite, jeune salarié –, la majorité des témoignages attestent du moment traumatisant que représente l'orientation à la sortie du collège. Le passage en lycée professionnel est presque toujours perçu comme une "relégation dans des classes poubelles", une mise à la marge faite sans ménagement par un système qui jusque-là avait offert le même cursus à tous, quels que soient les origines sociales et les résultats scolaires.

Ainsi en témoigne Marwan, 28 ans, d’origine marocaine, chauffeur de bus : "Le prof avait convoqué mon père (…). Il lui a dit : "Je vois que votre fils, il a 14 en technologie (…). C’est pas le top, mais c’est pas mal (…). Il devrait peut-être faire un BEP en électronique. (…)” Mon père a vite réagi. Il a dit : “Attendez, il a 14 de moyenne et vous voulez l’envoyer vers une voie professionnelle !” Parce qu’une voie professionnelle, on voyait ça comme étant la débauche en fait. C’est vraiment : “Tu vaux rien, alors tu vas en BEP.” Alors que ce n’est pas nécessairement le cas, parce que même ceux qui arrivent en BEP se dévalorisent, se voient comme étant des cancres alors que non."

Pour de nombreux enquêtés, l’école n’a pas tenu sa promesse. Un investissement important dans le système éducatif n’est pas garant d’une insertion professionnelle satisfaisante, alimentant en retour regret et amertume. Faute de réseaux, de connaissance du système scolaire et universitaire, mal orientés, certains jeunes s’engagent dans des cursus de formation inadaptés au marché du travail. Hassan, titulaire d’une maîtrise d’administration et gestion des entreprises : "Toute cette énergie, tout ce temps perdu (…). Moi ce que je regrette, c’est que, toute notre jeunesse, on nous a fait miroiter : “Fais des études, t’auras un bon boulot”, et finalité de l’histoire, c’est pas tout à fait ça." Les parcours de galère rencontrés sont représentés par ceux qui, cumulant problèmes sociaux et absence de réseaux, parfois éjectés du système scolaire au sortir du collège ou mal orientés, quelquefois victimes de discriminations, ne parviennent pas à entrer sur le marché du travail et en viennent à retourner le stigmate dont ils souffrent en rejet radical de la France et des valeurs qui lui sont prêtées.

L’enquête a cependant également mis en valeur des trajectoires réussies d’insertion par le travail. Souvent, celles-ci sont le fruit de stratégies familiales délibérées d’investissement dans l’éducation. Ainsi, Ece, d’origine turque, déclare : "Dans les autres pays, quand on était une fille, on n’étudiait pas beaucoup. Moi, j’ai eu la chance d’avoir une famille qui était civilisée et qui ne disait pas “toi, tu es une fille, toi, tu es un garçon” (…). Du coup, mon père m’a dit : “Moi, je n’ai pas eu la possibilité d’étudier, alors vas-y. Étudie comme tu veux”."

L’orientation constitue un enjeu majeur de la réussite dans les quartiers populaires. Articulée à une éducation de qualité dès le plus jeune âge, elle doit permettre d’assurer l’adéquation entre les exigences toujours plus grandes d’un univers où la concurrence pour les compétences est mondialisée et où l’offre d’emploi est poussée vers le haut. Face à ces défis, la jeunesse de Clichy-Montfermeil, d’une bonne partie de la Seine-Saint-Denis et des zones urbaines en difficulté dispose potentiellement d’atouts considérables pour la France de demain, ne serait-ce que sa dynamique démographique.

(1) Le deuxième chapitre de l’ouvrage Banlieue de la République est consacré à l’éducation, avec la collaboration de Leyla Arslan et de Sarah Zouheir.

Retrouvez l’enquête de l’Institut Montaigne sur Banlieue de la République

Retrouvez cette tribune sur L'Etudiant/Educpros

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