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08/01/2019

Donald Trump, si vulnérable mais si dur à battre

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Donald Trump, si vulnérable mais si dur à battre
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Pour le 45e président des Etats-Unis, l'année 2019 s'annonce difficile. Mais dans le camp démocrate, trouver le meilleur candidat pour l'élection de 2020 ne sera pas simple pour autant.

L'année 2019 s'annonce difficile pour l'Europe, avec des partis populistes qui pourraient sortir renforcés des élections européennes de mai, sans oublier une Grande-Bretagne qui s'enfonce dans la confusion. Mais de l'autre côté de l'Atlantique, l'année 2019 risque d'être au moins aussi difficile pour Donald Trump et la cause populiste aux Etats-Unis.

Les Américains ne sont certes pas appelés aux urnes en 2019. Mais la sélection par le parti démocrate de son candidat est peut-être le processus démocratique qui aura le plus de répercussions sur l'état du monde.

De manière indirecte au moins, l'année 2019 sera l'année de l'Amérique. Il convient de l'aborder avec un mélange d'espoir et de prudence. Pour aller à l'essentiel, Donald Trump est vulnérable, mais il serait dangereux de l'enterrer prématurément. De même qu'en 2016 très peu de personnes prédisaient sa victoire, ne considérons pas aujourd'hui, comme le font certains commentateurs démocrates, que n'importe quel candidat anti-Trump fera l'affaire. Les électeurs se déterminent sur un homme ou une femme. En 2016, le choix du parti démocrate s'est révélé désastreux avec pour résultat une évidence : il a manqué trop de voix à Hillary Clinton dans l'électorat féminin et afro-américain.

Choix cornélien

En 2020, ces deux catégories doivent avoir envie de se déplacer et de se mobiliser pour le candidat du parti démocrate, comme elles viennent de le faire de manière spectaculaire lors des élections de mi-mandat de novembre 2018. Jamais depuis les élections de mi-mandat de novembre 1974, en pleine affaire du Watergate, le parti démocrate n'avait réalisé de gains plus importants à la Chambre des représentants. Mais il ne faut pas confondre la possibilité avec l'inévitabilité de la victoire.

L'idée de sélectionner l'antithèse absolue de Donald Trump est séduisante, mais réductrice. La réalité est plus complexe.

Tout dépendra du choix du candidat. Comment choisir le meilleur possible face à Donald Trump ? Et à partir de quels critères ? Il n'existe pas de formule magique. L'idée de sélectionner l'antithèse absolue de Donald Trump est séduisante, mais réductrice. La réalité est plus complexe. Première question : faut-il ou non un professionnel de la politique ? Rien n'est moins sûr. De la même manière, convient-il de mettre l'accent sur les caractéristiques personnelles du candidat. Pour aller à l'essentiel, faudrait-il donc trouver une femme progressiste, jeune et noire ? Le choix offert aux Américains serait ainsi, dans son absolue diversité, d'une parfaite clarté.

On peut aussi, de manière plus classique mettre l'accent sur les orientations politiques, sinon idéologiques du candidat démocrate. Avec un danger : ce n'est pas parce que le candidat républicain attire un électorat toujours plus conservateur que les démocrates doivent aller toujours plus à gauche. On peut même penser l'inverse et considérer que c'est au centre que la bataille sera gagnée ou perdue. Le candidat démocrate se doit de "ratisser" large et d'attirer sur son nom les plus modérés des républicains, sans aliéner un nombre trop grand de radicaux chez les démocrates.

En réalité ces distinctions, intellectuellement légitimes, sont secondaires par rapport à un autre critère, celui de la capacité d'incarnation du candidat. On ne vote pas pour une formule magique, mais pour un candidat fait de chair et de sang. Hier on disait aux Etats-Unis que les électeurs se déterminaient à partir de deux critères : "Avec qui aurais-je envie de boire une bière ?" (un critère plus masculin que féminin). Et plus important sans doute : "Qui accepterais-je de voir sur les écrans de télévision le plus longtemps sans être pris par un phénomène de rejet viscéral ?"

Tant que l'opposant à Donald Trump demeure une abstraction, il possède toutes les qualités du monde. Il n'est pas Donald Trump. A partir du moment où il devient un être incarné, il devient plus vulnérable. La comparaison s'installe dans les yeux des électeurs. Avec une question classique, mais toujours plus centrale en démocratie. Quelle est la personne qui puisse, tout à la fois, être le candidat le plus crédible face à Trump et, une fois élue, le meilleur président possible ? Une équation difficile, qui l'est devenue plus encore à l'heure de la révolution de l'information.

Un coup d'arrêt au populisme

Il n'en demeure pas moins qu'en ce début d'année 2019 Donald Trump est vulnérable. Certains commentateurs démocrates vont jusqu'à penser qu'il ne se représentera pas en 2020. De passage à Paris il y a quelques jours, une "grande plume" de la presse américaine me confiait sa conviction intime : "Trump est paresseux. Devant l'accumulation des difficultés, judiciaire, économique, politique, il va déclarer sa mission accomplie. Il dira qu'en un seul mandat il en a plus fait qu'aucun président avant lui." Ira-t-il jusqu'à négocier un accord avec la justice du type : "Je ne me représente pas en 2020 et vous arrêtez toute poursuite contre moi ?". Mon interlocuteur n'allait pas jusque-là.

Il n'en demeure pas moins que les élections de mi-mandat de novembre 2018 sont l'illustration la plus convaincante des difficultés de Donald Trump. Il existe dix-sept enquêtes judiciaires distinctes concernant le président et ses associés. Et cela n'inclut pas les enquêtes qui vont s'ouvrir avec la mise en place d'une Chambre des représentants à majorité démocrate.

L'Amérique traverse "un moment jacksonien" fait de nationalisme, d'unilatéralisme et d'isolationnisme qui va au-delà de Donald Trump.

Le retour possible d'une personnalité plus "normale" à la Maison-Blanche en 2020 marquerait certes un coup d'arrêt au populisme. Il ne signifierait pas nécessairement le retour des Etats-Unis au multilatéralisme et à l'internationalisme universaliste. L'Amérique traverse "un moment jacksonien" fait de nationalisme, d'unilatéralisme et d'isolationnisme (par référence à Andrew Jackson, président de 1829 à 1836) qui va au-delà de Donald Trump.

La campagne électorale américaine qui s'annonce aux Etats-Unis va constituer à nouveau un miroir dans lequel se refléteront les peurs et les espoirs contradictoires du monde, et tout particulièrement ceux des démocraties.

 

Avec l'aimable autorisation des Echos (publié le 07/01/19).

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