AccueilExpressions par MontaigneDes élections sous tension en RDC - trois questions à Jean-Michel HuetL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.27/08/2018Des élections sous tension en RDC - trois questions à Jean-Michel Huet Moyen-Orient et AfriqueImprimerPARTAGERAuteur Institut Montaigne Les grands entretiensAlors que Joseph Kabila, dont le second mandat s’est achevé en décembre 2016, a déclaré ne pas se présenter à l’élection présidentielle de République démocratique du Congo (RDC) prévue le 23 décembre prochain, la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) a annoncé ce vendredi 24 août la liste des candidats validés. Considérant que « la non-candidature de M. Joseph Kabila ne suffit absolument pas à garantir que les élections annoncées pour le 23 décembre 2018 seront libres, transparentes, inclusives et apaisées », cinq organisations de la société civile ont lancé une plateforme de suivi du processus électoral en ligne. Jean-Michel Huet, associé au sein du cabinet BearingPoint, co-président du groupe de travail de l’Institut Montaigne Prêts pour l’Afrique d’aujourd’hui ? (septembre 2017) nous livre son analyse. Les soupçons de fraude qui pèsent déjà sur le scrutin qui se tiendra le 23 décembre prochain en République démocratique du Congo (RDC) sont-ils justifiés ? C’est un jeu classique lors des élections dans plusieurs pays, notamment africains, qui permet de prendre date et d’encourager la mise en œuvre de moyens pour limiter ces fraudes et notamment la venue d’observateurs internationaux. Le défi à relever ici est immense, étant donnée la taille du pays tant sur le plan géographique que démographique. La RDC est le plus grand pays francophone du monde ! L’enjeu est de limiter la portée de la fraude et de pouvoir dire qu’elle n’impacte pas le résultat final. Les processus électoraux sont en théorie assez aisés à encadrer, et les moyens pour limiter la fraude sont connus. Cela nécessite cependant une volonté réelle de l’Etat d’organiser convenablement cet encadrement avec la possibilité pour des acteurs tiers (représentants de l’opposition, observateurs internationaux, journalistes) de suivre le bon déroulement du vote. Quel regard portez-vous sur la plateforme de suivi du processus électoral lancée par cinq organisations de la société civile congolaises le 14 août dernier ? Une initiative qui joue sur la transparence et venant de la société civile est toujours une dynamique intéressante. L’enjeu pour les cinq organisations qui ont lancé cette plateforme est d’être et de demeurer réellement indépendantes. Le baromètre qui est proposé est clair, simple et concret, ce qui est également un avantage. Leurs 10 critères clés - déclaration claire et explicite de Joseph Kabila, liberté pour tous les Congolais de manifester pacifiquement, accès sans entrave des experts au travail de la Ceni, transparence dans la gestion des ressources financières, libération des prisonniers politiques et retour des exilés, indépendance de la justice électorale, établissement d’un fichier électoral fiable, réouverture de tous les médias privés arbitrairement fermés, publication du calendrier électoral, transparence dans le système de vote et de dépouillement -, même s’ils sont tous importants dans l’absolu, ne sont néanmoins pas de poids égal. Si on se limite stricto sensu au processus électoral (et non à la démocratie plus généralement), les deux critères fondamentaux sont ceux concernant le fichier électoral d’une part, et le processus de vote et de dépouillement d’autre part. Le premier est légitimement une source d’inquiétude, étant donnée la manière dont le fichier électoral a été constitué, dédoublonné et contrôlé. L’alerte de l’Organisation Internationale de la Francophonie, qui estime que 16,6 % des électeurs congolais ont été enregistrés sans empreinte biométrique, est une vraie interrogation. Cela constitue sûrement le risque n°1 de fraude pour ces élections. Le processus de vote et de dépouillement peut également inquiéter, du fait du recours à des technologies nouvelles. Les suspicions de fraudes lors des récentes élections au Mali par exemple démontrent qu’il est nécessaire de contrôler la chaîne du vote de bout en bout. Cette initiative de plateforme est néanmoins bienvenue, au moins dans un rôle de vigie, et doit rester une initiative citoyenne pour ne pas être dévoyée.Alors qu’il n’est pas candidat aux élections - la Constitution lui interdisant de se représenter après deux mandats -, Joseph Kabila est-il le “maître absolu du processus électoral” comme le considère le mouvement congolais Lutte pour le changement (Lucha) ? Tout est possible jusqu’à la passation de pouvoir. En cela, le chef de l’Etat Joseph Kabila a toujours une influence importante. Pour autant, on a également pu voir des « maître absolus » dépossédés de leur pouvoir très rapidement, comme en témoigne la chute soudaine de Blaise Campaoré au Burkina Faso en 2014. L’absolutisme n’est jamais perpétuel ! Quoi qu’il en soit, le Président en exercice demeure un acteur incontournable à ce jour. A ce stade, je dirais surtout qu’il a peut-être raté une occasion historique de permettre à son pays, qui représente 10 % de la population africaine, de rentrer sereinement dans une phase de stabilité politique ou du moins démocratique. Cela aurait pu être sa grande œuvre. Hélas, il n’est pas certain que ce soit ce que l’on retienne de la fin de son double mandat. ImprimerPARTAGER