AccueilExpressions par MontaigneCovid-19 : la Suède à contre-courant ?L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.27/03/2020Covid-19 : la Suède à contre-courant ? Emploi RégulationImprimerPARTAGERAuteur Alice Baudry Alors Directrice du marketing et de la communication Cet article est paru le 27 mars. Il a été mis à jour le 9 avril.Cas quasiment isolé en Europe, la Suède n’a pas choisi de confiner sa population, même si certaines mesures affectent désormais la vie quotidienne des Suédois. Ainsi, depuis le mardi 24 mars, ne peuvent-ils plus se faire servir au comptoir des cafés et des restaurants comme d’habitude - le service est effectué directement à table. Les stations de ski restent ouvertes, mais pas les télécabines… Anecdotiques, ces dispositions n’ont rien à voir avec ce qui se passe ailleurs en Europe et dans de nombreux pays dans le monde. Comment expliquer une telle situation ?Où en est l'épidémie en Suède ?Le 9 avril, la Suède comptait 9 141 cas déclarés de malades du Covid-19, 144 personnes en soins intensifs et 793 décès.68 % des malades déclarés ont 50 ans ou plus. 55 % des personnes décédées avaient 80 ans ou plus (essentiellement des hommes).À titre de comparaison, le Danemark et la Norvège, deux pays voisins, eux en confinement, enregistrent respectivement 5 635 et 6 142 malades déclarés, pour 237 et 105 décès. Si le nombre de décès dûs au Covid-19 est actuellement plus important en Suède que pour ces deux voisins, il faudra pouvoir comparer les dynamiques de contamination dans ces trois pays qui ont adopté des stratégies très différentes.Comme partout ailleurs, les chiffres pour la Suède progressent chaque jour. Les données sont continuellement actualisées sur le site de l’Autorité nationale suédoise compétente en matière de santé publique.Quelles sont les réactions de la population ? de l'État ?Curieusement, et au plus grand étonnement de ses voisins européens paralysés parfois depuis plusieurs semaines, la Suède fonctionne quant à elle presque "à la normale", avec quelques mesures de précaution annoncées par le gouvernement. Même aux Pays-Bas, où le confinement de la population n’a pas été mis en place non plus, des mesures strictes ont été adoptées (fermeture des écoles et des restaurants, interdiction des rassemblements).En Suède, si les lycées et les universités ont fermé, les écoles (maternelles, primaires et même les collèges) restent quant à elles ouvertes. Les rassemblements peuvent continuer, à condition d’être limités à 50 personnes (les restaurants restent ouverts donc, même si les bars le sont de moins en moins). Plusieurs grands concerts prévus à l’été, comme la tournée du musicien Håkan Hellström, commencent à être reportés sur demande des épidémiologistes dans la presse suédoise. Les citoyens âgés de 70 ans ou plus sont invités à rester à la maison, mais tous les autres peuvent sortir. Bien qu’encouragés à éviter de se déplacer inutilement, y compris pendant les vacances de Pâques, les Suédois sont néanmoins libres de juger de la pertinence de leurs mouvements. Il ne faudrait pas, pendant cette période festive, que certains aient “à se sentir inutilement seuls”, a déclaré la Ministre des affaires sociales le 7 avril.Les radios diffusent le message de se laver les mains fréquemment et d’éviter de se toucher le visage. Le mot d’ordre : rester prudent !Les radios diffusent le message de se laver les mains fréquemment et d’éviter de se toucher le visage. Il faut être patient et s’attendre à ressentir la crise comme un “marathon” et non pas un “sprint”, a expliqué Isabela Lövin, la Vice-première ministre suédoise, dans une prise de parole officielle le 7 avril.Le mot d’ordre : rester prudent ! Ou encore "se comporter en adultes" mais surtout "ne pas paniquer", selon les mots de Stefan Löfven, Premier ministre depuis 2014 et membre du Parti social-démocrate des travailleurs. C’est une question de "confiance", dont les Suédois sont capables, comme le soulève une analyse de Foreign Policy.C’est dans une déclaration officielle à la télévision le 22 mars que ce dernier s’est exprimé, au début de la crise en Suède, en précisant qu’il était conscient des préoccupations des Suédois, "inquiets de la façon dont la société va gérer ; inquiets pour eux-mêmes, pour ceux qu’ils aiment et qui correspondent aux groupes à risque, ou pour leur travail". Dans cette seule prise de parole officielle depuis le début de la crise, il a affirmé que l’économie du pays était aussi importante à ses yeux que la santé des citoyens. Il a invité les Suédois à favoriser les commerces locaux. Plusieurs influenceurs nationaux, dont la blogueuse numéro 1 en Suède Kenza, ont suivi le mouvement depuis pour inciter leurs compatriotes à le faire.Le 7 avril, dans le cadre d’une conférence de presse, le Premier ministre a annoncé l’introduction de mesures réglementaires qui pourront permettre au Parlement d’accélérer un processus exceptionnel de mise en place de dispositions plus strictes. Ces mesures, qui ne sont pas en vigueur et qui restent envisagées “en cas d'aggravation de la crise”, ont vocation à préparer le pays à s’activer rapidement si besoin, sans contourner le vote du Parlement. Parmi les dispositions envisagées, le gouvernement a annoncé qu’il pourrait interdire les rassemblements de moins de 50 personnes, fermer les ports et certains commerces ou encore mettre à l’arrêt le système de transports publics. Le confinement reste quant à lui écarté.Pendant ce temps, les Norvégiens et les Danois ont fait des choix beaucoup plus lourds de confinement pour leurs populations, et qui s’étendent encore. Alors pourquoi cette exception suédoise en Scandinavie ?Certains prétendent que le gouvernement aurait choisi de faire le pari de l’immunité collective, à l’image des stratégies précédemment adoptées par le Royaume-Uni ou encore les Pays-Bas (qui depuis ont suivi les autres pays européens dans l’introduction de mesures bien plus strictes).Certains prétendent que le gouvernement aurait choisi de faire le pari de l’immunité collectiveSelon cette théorie, expliquée par Claude Le Pen dans un billet pour l’Institut Montaigne, il faudrait qu’une partie suffisamment importante du pays soit touchée par le virus pour commencer à rendre la population immune à la pandémie (tant qu’un vaccin n’existe pas, l’immunité passe par la contraction de la maladie). Cette stratégie, qui pourrait poser de nombreux problèmes éthiques, ne semble pas être assumée. En effet, il n’y a pas eu de déclaration officielle de la part de l’exécutif suédois, contrairement à ce qu’a pu faire Boris Johnson au Royaume-Uni il y a quelques semaines. Pour l’un des épidémiologistes actuellement les plus médiatisés en Suède, Anders Tegnell, rien ne permet de dire que la tactique d'immunité collective ait été adoptée par le gouvernement. Interviewé par le média national Svenska Dagbladet, il exclut les explications qui consistent à dire que l’État a précisément adopté cette stratégie : le gouvernement regarderait plutôt les façons de rendre la courbe la moins exponentielle possible, de façon à limiter le nombre de cas déclarés en simultané et donc à préserver les capacités du système de santé à répondre à la crise sanitaire. Le chaos ne s’y ferait pas encore sentir, et ne devrait pas se produire à l’avenir. Un des atouts de la Suède face à la pandémie est la faible densité de sa population qui peut contribuer à limiter la diffusion du virus. Avec 25 personnes par kilomètre carré, contre 120 en France ou 206 en Italie, la Suède est l’un des pays à la plus faible densité en Europe. Et Stockholm, la ville de loin la plus dense du pays, compte deux fois moins d'habitants au kilomètre carré que New York et 4 fois moins que Paris.Mais comme le souligne un article de décryptage du cas suédois publié par Le Monde, les experts sont bien loin d’être tous d’accord. Ils sont nombreux à rappeler que les hôpitaux suédois étaient déjà sous pression avant les débuts du coronavirus, avec 2,4 lits pour 1 000 habitants (526 lits au total en réanimation), soit le chiffre le plus faible de l’OCDE.Débat entre experts, mais aussi prises de position des politiques... Alors que les médias sont de plus en plus alarmistes, les partis politiques d’opposition ne cherchent pas à profiter de la situation. En témoigne par exemple un article récent du journal régional du sud Sydsvenskan qui donne une tribune à la Chrétienne-démocrate Ebba Busch, qui essaye de comprendre les choix du gouvernement sur la base d’explications scientifiques. Et du côté des Démocrates de Suède, l’atmosphère est particulièrement calme. Le chef de ce parti d’extrême droite, Jimmie Åkesson, n’a pas saisi l’opportunité de critiquer le gouvernement minoritaire de coalition entre sociaux-démocrates et verts (malgré sa percée à l’occasion des élections législatives de 2018, n’ayant offert de majorité à aucun des blocs traditionnels, une alliance de la droite a finalement été écartée après des mois de discussions entre centristes et libéraux). Au contraire, M. Åkesson a expliqué dans le tabloïd de centre-droit Expressen qu’il fallait réfléchir à des mesures économiques réalistes puis a insisté à la télévision sur leur urgence, tout en rappelant qu’au fond, tous les politiques étaient d’accord pour dégager un consensus.À l’étranger en tout cas, la Suède étonne voire inquiète. Le quotidien britannique The Guardian a retenu l’attention en reprenant l’expression "roulette russe" dans le titre de son article, une idée parfois utilisée par les experts pour illustrer le risque pris par la Suède. Nous verrons dans les prochains jours si le gouvernement et les experts sur lesquels il s’appuie ne font que gagner du temps, ou si la Suède a véritablement décidé d’écrire une histoire très différente de celle du reste du monde. 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