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20/03/2020

Coronavirus: l’Asie Orientale face à la pandémie - la réponse rapide, minutieuse et numérique de Taiwan

Coronavirus: l’Asie Orientale face à la pandémie - la réponse rapide, minutieuse et numérique de Taiwan
 Mathieu Duchâtel
Auteur
Directeur des Études internationales, Expert Résident

Cet article a été mis à jour le 9 avril.

Une réponse immédiate, avant les premiers cas, une politique de quarantaine extrêmement stricte, une nationalisation de l’économie du masque et le numérique au service d’un suivi au cas par cas: tels sont les ingrédients de la réponse de Taïwan à la crise du Covid-19, pour le premier papier de notre série “Coronavirus: l’Asie Orientale face à la pandémie”, qui explore la boîte à outils des politiques publiques dans la lutte contre le virus.

Chronologie 

  • 31 décembre 2019 : les autorités taiwanaises commencent à contrôler les passagers en provenance de Wuhan afin de détecter la présence de fièvre et de symptômes de type pneumonie dans les avions dès l'atterrissage
  • 5 janvier : les individus s’étant rendus à Wuhan dans les 14 derniers jours commencent à être examinés à la recherche d’éventuels symptômes
  • 15 janvier :  le Centre de contrôle des maladies de Taiwan classe le coronavirus dans la catégorie-V des maladies transmissibles
  • 20 janvier : activation du Centre de commandement central des épidémies pour la coordination et la mise en œuvre de la gestion de crise
  • 21 janvier : premier cas détecté à Taiwan, une femme d'affaires taiwanaise basée à Wuhan de retour sur l’île
  • 22 janvier : le Yuan exécutif - branche exécutive du gouvernement taiwanais - annonce la mise en place d’amendes sanctionnant la diffusion de fausses informations sur l'épidémie d’un montant pouvant aller jusqu'à 3 millions de nouveaux dollars taiwanais, soit 100 000 dollars US
  • 24 janvier : interdiction d'exportation de masques chirurgicaux pour une durée d’un mois
  • 28 janvier : premier cas de ressortissant taiwanais infecté à Taiwan
  • 29 janvier : adoption d’un dispositif de surveillance électronique des individus placés en quarantaine
  • 30 janvier : fixation d'un prix pour les masques chirurgicaux (8 nouveaux dollars taiwanais)
  • 1er février : le Yuan exécutif adopte un budget spécial de 200 millions de nouveaux dollars (6,6 millions de dollars US) pour aider les fabricants à augmenter leur capacité de production de masques
  • 6 février : interdiction d'entrée du territoire pour les ressortissants chinois
  • 7 février : interdiction d'entrée pour les ressortissants étrangers qui se sont rendus en Chine, à Hong Kong et à Macao au cours des 14 derniers jours
  • 16 février : extension de la base de données de l'administration nationale de la santé pour couvrir l'historique des voyages sur 30 jours
  • 26 février : la présidente Tsai Ing-wen promulgue la Loi spéciale de prévention du Covid-19, d’assistance et de relance, qui prévoit un budget spécial de 60 milliards de nouveaux dollars taiwanais (soit 1,97 milliard de dollars US) pour aider les entreprises, les travailleurs et le secteur de la santé. La loi augmente le plafond des amendes et des pénalités pour infraction aux termes de la quarantaine ou pour stockage abusif de fournitures médicales
  • 10 mars : la présidente Tsai Ing-wen promulgue la Règlementation régissant l'indemnisation des périodes d'isolement et de quarantaine pour pneumonie grave avec de nouveaux agents pathogènes
  • 18 mars : 23 nouveaux cas confirmés, soit la plus forte augmentation depuis le début de l'épidémie, 22 de ces cas revenant d'Europe, d'Asie ou des États-Unis
  • 18 mars : interdiction d'entrée sur le territoire pour les ressortissants étrangers et quarantaine de 14 jours pour tous les voyageurs taiwanais entrants
  • 1er avril : annonce, par la présidente Tsai Ing-wen, d’une augmentation des mesures de relance, atteignant 1 050 milliards de nouveaux dollars taiwanais (34,72 milliards de dollars US)
  • 3 avril : le port d’un masque devient obligatoire dans le métro de Taipei

Analyse

Dans la lutte contre l’épidémie de Covid-19, Taiwan est largement salué comme un modèle. Au 11 avril, moins de trois mois après la détection d’un premier cas à Taiwan et malgré la profonde intégration humaine et économique de l'île avec la Chine continentale, seuls 385 individus avaient été testés positifs au virus, avec six décès. Les deux tiers de ces cas ont été identifiés depuis la mi-mars, dans le cadre d’une seconde vague de contamination. 
 
Si Taiwan est parvenu à ce résultat, c’est notamment grâce à une reconnaissance immédiate, avant la fin du mois de décembre 2019, de la gravité de la crise. Comme de nombreux États d'Asie de l'Est, Taiwan a su tirer les leçons de la traumatisante crise du SRAS de 2003. Dans une interview, l'actuel vice-président de Taiwan Chen Chien-jen, directeur général du ministère de la Santé au moment de la crise du SRAS, a déclaré qu’en apprenant que des cas de pneumonie grave avaient été détectés à Wuhan, sa première réaction avait été : "Eh bien ! le SRAS est de retour". Il a ensuite compris que le coronavirus était à la fois bien plus transmissible et plus difficile à détecter, sous l’effet conjoint de la longueur de la période d’incubation et du caractère bénin des symptômes dans une majorité des cas.

Si Taiwan est parvenu à ce résultat, c’est notamment grâce à une reconnaissance immédiate, avant la fin du mois de décembre 2019, de la gravité de la crise.

Les leçons tirées de l’épisode du SRAS ont été mises en pratique. Dès le 31 décembre 2019, le Centre de contrôle des maladies du ministère de la Santé taiwanais commence à effectuer, dès l'atterrissage, des prises de température pour détecter la fièvre et des examens complets des cas suspects sur tous les vols en provenance de Wuhan. La contagion gagnant toute la province du Hubei et la Chine, le gouvernement active, en janvier 2020, le Centre de commandement central des épidémies (Central Epidemic Command Center, CECC) pour pneumonie infectieuse spéciale sévère, créant un cadre pour la mobilisation des ressources nationales afin de prévenir la survenue d’une épidémie dans l'île.

La réponse de Taiwan à la pandémie tire parti des possibilités offertes par les technologies numériques et le big data, avec d’une part, un suivi très précis et en direct de l’évolution de la situation individu par individu, et d’autre part, la mise à disposition d’informations auprès des professionnels du secteur de la santé et de la population en général.
 
L'intégration des bases de données de l'Administration nationale de la santé avec celles des douanes a été l'une des premières mesures prises par le gouvernement taiwanais pour contrôler strictement le risque de cas de Covid-19 importés. Cette mesure a permis à l'administration de santé publique d'accéder à l'historique de voyage de tout individu au cours des 14 jours précédents - une période plus tard étendue à 30 jours. Le Yuan exécutif de Taiwan a autorisé tous les hôpitaux, cliniques et pharmacies à accéder aux antécédents de voyage des patients. Pour améliorer le suivi des voyageurs entrants, le gouvernement taiwanais a imposé une déclaration de santé obligatoire à tous les passagers à l'arrivée. Une déclaration inexacte est passible d’une amende pouvant aller jusqu'à 5 000 dollars US. C’est cette déclaration obligatoire qui a servi de base pour classer les voyageurs dans différentes catégories de risque et ainsi mettre en œuvre la politique de quarantaine de Taiwan. 

La base de données de l'administration nationale de la santé a permis d’identifier 113 individus qui avaient consulté un médecin pour des syndromes respiratoires sévères en janvier et en février, et dont les tests de dépistage de la grippe s’étaient avérés négatifs. Ces individus ont tous été soumis à un nouveau test préventif de dépistage du Covid-19, et l'un d'entre eux a été testé positif. Cette sophistication dans l'utilisation des données médicales et des outils numériques repose sur une vaste collecte de données. Les professionnels de santé de première ligne ont été formés depuis le SARS pour interroger les patients sur leurs antécédents de voyage, leur profession, leurs interactions et leur "communauté" - les activités de groupe auxquelles ils ont récemment participé - lorsqu’une consultation révèle des syndromes respiratoires.

Un autre aspect important de la gestion de crise à Taiwan est la très forte insistance sur la nécessité de porter des masques. Taiwan a créé une véritable économie nationalisée en la matière : le gouvernement organise la production des masques, impose le rationnement, centralise la distribution et s’est mobilisé pour anticiper le risque des “achats panique” en se concentrant sur la lutte contre les fake news

1 800 individus issus des troupes de réserve ont été mobilisés par l’armée pour rejoindre ces chaînes de production.

Du côté de la production, Taiwan a d’abord décrété une interdiction temporaire d'exportation de masques chirurgicaux et de masques N95. Le 11 février, l’île a demandé l'installation de 60 chaînes de production supplémentaires pour faire passer la production de masques de 4 à 10 millions d'unités par jour. 1 800 individus issus des troupes de réserve ont été mobilisés par l’armée pour rejoindre ces chaînes de production. De nombreux médias ont salué les efforts menés par les entreprises pour la production de masques en continu - dans la ville de Tainan, l'entreprise Ge'ande a augmenté sa production quotidienne de 200 000 à 600 000 unités en accueillant 39 travailleurs mis à disposition par l’armée au sein de son équipe de 10 employés. 
 
Début février, Taiwan a mis en place un système de rationnement des masques, ne les rendant accessibles que dans les pharmacies, les commerces médicaux et dans le réseau très dense des convenience stores. En pratique, la logistique de la distribution des masques s’appuie sur les cartes d'assurance maladie nationale. Chaque citoyen est autorisé à acheter trois masques certains jours identifiés sur la base du dernier chiffre de son numéro de sécurité sociale. L'historique des achats des citoyens est stocké dans le système pour que chaque unité de vente puisse vérifier. Pour garantir une allocation efficace des masques auprès des points de vente, leur distribution à l’échelle de l’île s’effectue grâce à la mobilisation du service postal public, la société Chunghwa. Ainsi aux premiers stades de l’épidémie, 1,4 million de masques ont été chaque jour alloués au personnel médical. Ce système de distribution a été complété par un site internet de commande géré par le gouvernement, mis en ligne le 12 mars. Le port d’un masque est important en tant que mesure de protection individuelle, mais il est aussi fortement encouragé par le gouvernement. Le 4 avril, le gouvernement municipal de Taipei annonce que les passagers pénétrant dans une station de métro sans masque recevront un avertissement verbal, suivi par une amende allant de 3 600 nouveaux dollars taiwanais (100 dollars US) à 15 000 nouveaux dollars taiwanais (500 dollars US).

L'économie nationale des masques est numérisée afin que la population ait une visibilité complète sur leur disponibilité. Une application dédiée, et intégrant Google Maps, montre sur chaque appareil connecté les stocks de masques dans tous les points de vente. L'accès à ces informations est également possible via Line (la principale application de messagerie instantanée au Japon et à Taiwan) et via d'autres applications. Afin d’assurer la capacité du cloud à gérer le surplus de trafic ainsi induit, cet effort a nécessité la mise en place, par l'administration nationale de l'assurance maladie, de 20 serveurs supplémentaires, soit 32 au total. 

C’est la mise en quarantaine stricte des individus à risque, et non le confinement ou le déploiement de tests, qui est la véritable pierre angulaire de la gestion de crise taiwanaise.

L’approche taiwanaise est très intrusive pour contrôler les individus en quarantaine. Une fois placé en quarantaine, sur la base de sa déclaration de santé effectuée à son arrivée à Taiwan ou des antécédents de ses interactions récentes, tout individu est dans l’obligation de respecter des consignes strictes. Le gouvernement taiwanais fournit aux personnes mises en quarantaine un téléphone portable qui permet de surveiller leurs déplacements pendant toute la période de leur quarantaine. Les autorités sanitaires peuvent avoir accès, sur demande, aux dossiers policiers et aux données issues des téléphones portables ; elles peuvent ainsi suivre avec qui les personnes infectées ou à risque ont été en contact et étendre les mesures de quarantaine. La numérisation est donc un outil essentiel à la mise en application du système taiwanais de quarantaine stricte. 

Néanmoins, la menace de sanctions joue également un rôle crucial dans ce système. En l'espace de deux semaines, début mars, le gouvernement municipal de Taipei a sanctionné 70 personnes pour violation des règles de la quarantaine, avec des amendes dissuasives pouvant atteindre 1 million de nouveaux dollars taiwanais (33 341 dollars US). Et la Loi spéciale de prévention du Covid-19, d’assistance et de relance (嚴重特殊傳染性肺炎防治及紓困振興特別條例) permet au gouvernement de filmer et de photographier les personnes enfreignant la quarantaine et de rendre leurs informations personnelles publiques - une approche de type “name and shame”. Cependant, la politique de quarantaine à Taiwan ne se résume pas à l’existence de sanctions : ainsi, le gouvernement a promulgué une loi visant à indemniser les personnes mises en quarantaine devant s'occuper d'enfants de moins de 12 ans. L'indemnisation s’établit à 1 000 nouveaux dollars taiwanais (33,35 dollars US) par jour.

En résumé, c’est la mise en quarantaine stricte des individus à risque, et non le confinement ou le déploiement de tests, qui est la véritable pierre angulaire de la gestion de crise taiwanaise. Ce système de quarantaine a permis au gouvernement taiwanais de prioriser les tests sur les personnes présentant les symptômes caractéristiques du coronavirus. S’appuyant sur un accès précis aux données et sur des sanctions prohibitives et complétée par des interdictions de déplacement et un dépistage préventif, cette approche stricte de la notion de quarantaine a jusqu'à présent permis à Taiwan de contenir la contagion. 

Les hôpitaux taiwanais ont ainsi pu faire preuve d’anticipation et se concentrer sur la recherche d’une gestion optimale des flux de patients, afin de garantir l'isolement des patients infectés en cas d'augmentation soudaine du nombre de cas. Le pays dispose d'un nombre limité de lits dans les chambres d'isolement à pression négative, au nombre de 943, mais les responsables gouvernementaux ont annoncé qu’une reconfiguration des salles et le recours de chambres à un lit étaient possibles pour renforcer, si nécessaire, la capacité d'isolement. Le pouvoir exécutif a également adopté un budget spécial pour faire face au coût de la gestion de la crise, y compris son coût à long terme sur l'activité économique, lors de la promulgation de la Loi spéciale de prévention du Covid-19, d’assistance et de relance qui comprend un plan de relance d'un montant maximum de 60 milliards de nouveaux dollars taiwanais, soit 1,97 milliard de dollars US.  Début avril, une annonce augmente le montant du plan de relance, avec des mesures qui atteindront au maximum 1 050 milliards de nouveaux dollars taiwanais (34,720 milliards de dollars US). 

Dans l'ensemble, en dépit d’une population comptant 23,78 millions d'habitants, Taiwan est parvenu à se concentrer de manière très précise sur la gestion des cas individuels et de leurs proches. La réponse politique se caractérise sur une intelligence très précise de la situation sur le terrain dès les premiers jours de la crise, permettant de prévenir la contagion, puis par l’emploi des technologies numériques pour surveiller et informer, et enfin par une politique de sanctions crédible contre les comportements socialement dangereux.
 

Copyright : SAM YEH / AFP

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