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07/12/2015

Climat : les entreprises sont-elles un problème ou une partie de la solution ?

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Dans la perspective de la COP21, qui se tient, à Paris, du 30 novembre au 11 décembre, Le Monde, en partenariat avec l'Institut Montaigne, confronte les analyses des dirigeants de grandes entreprises et de personnalités, experts du climat, économistes et élus. Quatrième et dernier entretien entre Pierre-André de Chalendar, PDG de Saint-Gobain, et Yannick Jadot, député européen EELV.

183 États ont remis à l’occasion de la COP21 leurs engagements de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Ces objectifs sont-ils compatibles avec la croissance ?

Pierre-André de Chalendar :
Non seulement cet objectif global de réduction des émissions est compatible avec la croissance mais pour beaucoup de secteurs c’est une des principales opportunités de croissance dans les années qui viennent. Il faut réconcilier économie et écologie. Les responsables politiques ont compris clairement cette année, que les entreprises ne sont pas le problème mais qu’elles sont, en grande partie, la solution.

Il faut associer l’ensemble des parties prenantes à la recherche des solutions dans la lutte contre le dérèglement climatique. Toute la stratégie de Saint-Gobain est axée sur l’enjeu fantastique que va représenter dans les années à venir la rénovation énergétique des bâtiments. Ce sont des créations d’emplois non délocalisables, des réductions de la facture énergétique, des baisses des émissions de gaz à effet de serre.

Yannick Jadot : Oui, mais ne soyons pas naïfs, si des entreprises comme Saint-Gobain, Siemens, Schneider Electric, Philips et des milliers de PME sont parfois très avancées dans l’efficacité énergétique ou les renouvelables, d’autres entreprises combattent l’action contre le dérèglement climatique. C’est le cas des entreprises des énergies fossiles, charbon, pétrole, gaz et du nucléaire.

Au Parlement européen, tous les jours, elles empêchent d’agir pour économiser les énergies, pour développer les énergies renouvelables parce qu’elles sont assises sur une telle rente et de telles réserves qu’évidemment elles ne veulent pas en sortir. Et les Etats arbitrent encore trop souvent pour la vieille économie, pour le système énergétique centralisé autour des oligopoles, autour de la rente, plutôt qu’en faveur de systèmes décentralisés qui font vivre des PME, des coopératives, et qui placent le citoyen, son territoire, au cœur de la transition énergétique.

Le monde de l’entreprise a t-il pris la mesure de l’impératif de contenir le réchauffement sous le seuil de 2 °C ?


Pierre-André de Chalendar : Oui, les entreprises ont déjà beaucoup bougé parce qu’elles ont envie d’être citoyennes et parce qu’il s’agit d’opportunités économiques. Ce qu’elles demandent aujourd’hui, c’est un signal prix sur le carbone. La difficulté, c’est que la fixation d’un prix du carbone unique partout dans le monde va prendre du temps. Or les entreprises ont besoin de visibilité. Quand nous investissons, c’est pour dix ans, pour vingt ans, parfois pour quarante ans, et nous devons savoir quel sera le prix du carbone à long terme afin d’orienter les investissements vers la décarbonation. Les entreprises ne peuvent pas le faire seules même si un certain nombre comme Saint-Gobain sont en train de fixer un prix du carbone interne. Les gouvernements doivent mettre en place des mécanismes clairs.

Yannick Jadot : La plupart des dirigeants politiques ont pris acte du dérèglement climatique, mais pas encore de l’urgence à agir maintenant. D’ailleurs les promesses cumulées des Etats à la Cop21 nous amènent à 3 degrés de réchauffement, soit le chaos climatique ! Il reste un gouffre entre les très beaux discours et les politiques menées. Un exemple : en novembre 2014, François Hollande se rend au Canada, le jour même de la publication du 5e rapport du GIEC, dans lequel les experts du climat réaffirment qu’il faut agir vite et qu’il faut laisser 80 % des énergies fossiles dans le sol pour contenir le réchauffement. Que fait le chef de l’Etat ce jour-là ? Il va en Alberta soutenir l’exploitation par Total des sables bitumineux qui sont les pétroles les plus sales, les plus polluants ! Et juste avant la Cop21, Manuel Valls a réaffirmé son obsession à construire l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes !

Nos dirigeants se prennent pour des observateurs éclairés, des lanceurs d’alerte, mais ils n’ont pas sérieusement pris en compte le fait qu’ils étaient des acteurs du réchauffement climatique et des acteurs de la lutte contre le dérèglement climatique. Les Etats soutiennent encore leurs « champions nationaux » des vieilles énergies quand l’éolien terrestre et le photovoltaïque sont devenus moins chers que le pétrole, le gaz et le nucléaire ! Ils sont aujourd’hui en retard sur la société et l’économie.

Les dirigeants doivent comprendre l’incroyable opportunité que représente la sortie du carbone et du pétrole, pour sortir de la crise mais aussi pour donner la vision d’un projet de société qui permette d’améliorer la vie de chacun, l’activité économique, les emplois, les services publics, la culture, et la démocratie sur tous les territoires. Ce projet doit nous permettre de se réconcilier avec l’ensemble de l’humanité et avec notre avenir. Donc l’enjeu de la COP21 au fond c’est que les Etats et que les dirigeants rattrapent la société en marche et l’économie qui innove et investit dans l’avenir.

Pierre-André de Chalendar :  Le débat sur la sortie des fossiles est plus compliqué que vous ne le laissez penser. Vous m’avez classé parmi les bonnes entreprises sur le plan de la lutte contre le réchauffement. Mais Saint-Gobain est un gros émetteur de gaz à effet de serre. Pourquoi ? Parce que pour faire de la rénovation énergétique des bâtiments, pour améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments utile pour le climat, nous avons besoin de double vitrage. Or pour le fabriquer, il faut de l’énergie. Et aujourd’hui cette énergie vient des fossiles, du gaz. Mais il faut savoir que cette énergie est économisée en trois mois d’utilisation dans une maison bien isolée. Et sur la durée de vie d’un double vitrage, c’est à peu près cent à cent cinquante fois l’énergie qu’il a fallu.

Le moment n’est-il pas venu de supprimer les subventions publiques notamment aux énergies fossiles ?

Yannick Jadot : Le Fonds monétaire international a évalué à 5 300 milliards de dollars par an les subventions aux énergies fossiles… c’est absolument considérable, c’est 10 millions d’euros la minute. Quand vous voyez comment aux Etats-Unis ces entreprises financent les campagnes électorales, vous comprenez pourquoi le Congrès américain est majoritairement climatosceptique. Il faut soutenir et amplifier la campagne de désinvestissement des énergies fossiles qui est née aux Etats Unis. Ce mouvement est extrêmement intéressant parce que les citoyens, les salariés, les épargnants peuvent agir en interpellant les banques, les assurances, les fonds de pension, les institutions publiques sur le mode : « mon argent ne doit plus financer la destruction du climat ».

Est-ce qu’à Saint-Gobain et de la part des clients Saint-Gobain, cette préoccupation est partagée ?

Pierre-André de Chalendar :
  Nous n’avons pas attendu que nos clients nous le demandent. La stratégie de Saint-Gobain, c’est de contribuer de façon très importante à la solution. Nous nous sommes fixé des objectifs ambitieux : diminuer de 20 % nos émissions de C02 d’ici à 2025. Ce n’est pas facile, car nous avons besoin d’énergie pour faire du verre. Nous ne sommes pas les seuls, il y a quelques mois au sommet, Business and Climate Summit à Paris, j’ai été frappé de voir les engagements pris par beaucoup d’entreprises. La commande publique peut aussi jouer un rôle d’entraînement. En Angleterre, par exemple, la commande publique dans le bâtiment public intègre des critères de durabilité assez importants sur les fournisseurs. C’est vertueux. Je pense aussi que la mobilisation des citoyens sur ces sujets est importante. Les entreprises doivent répondre à cette attente. Il ne s’agit pas de philanthropie mais d’intérêt bien compris.

Yannick Jadot : L’addition de toutes les initiatives citoyennes, de celles des villes, des entreprises ne nous emmènera jamais à l’objectif des 2 degrés. Ce sont les Etats qui décident encore très largement des infrastructures énergétiques, des infrastructures de transports, du modèle agricole, de la fiscalité… et ce qui est terrible, c’est qu’à la fois les Etats sont en retard mais qu’on ne peut pas se passer d’eux. On ne peut pas les contourner. Il faut que les Etats aient ce sursaut de dire : « en face d’un immense défi, qui met en jeu des millions de vies, la sécurité alimentaire mondiale et l’avenir même de nos civilisations, nous avons une communauté de destin qui nous oblige à sortir des égoïsmes et des replis nationaux ». Se libérer du pétrole, c’est réduire les tensions d’un monde en désordre, parfois en guerre, toujours en compétition. Et lutter contre le dérèglement climatique, c’est aussi combattre le dérèglement démocratique.

Propos recueillis par Simon Roger, journaliste au Monde

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