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01/12/2022

Budget 2024 : Les collectivités locales au cœur des discussions budgétaires au Sénat

Budget 2024 : Les collectivités locales au cœur des discussions budgétaires au Sénat
 Lisa Thomas-Darbois
Auteur
Directrice des Études France et Experte Résidente

Le 24 novembre dernier, le Sénat a adopté en première lecture la première partie du projet de loi de finances pour 2023 (PLF 2023) - relative aux recettes fiscales. Contrairement à l'Assemblée nationale - où le gouvernement avait choisi d'engager sa responsabilité au titre de l'article 49.3 - l'examen au Sénat ne peut être soumis à cette arme constitutionnelle. Ainsi, après huit jours de débats parlementaires, entraînant notamment des modifications substantielles sur cette partie du texte, les sénateurs se sont majoritairement exprimés en faveur de son adoption, à 216 voix pour et 91 voix contre.

Les sénateurs ont maintenant jusqu'au 6 décembre prochain pour examiner la seconde partie du PLF - relative aux dépenses budgétaires. Cet examen marque de profondes divergences avec le projet initial du gouvernement, et tout particulièrement sur les recettes fiscales dédiées aux collectivités locales. Représentants de ces dernières, les sénateurs sont attentifs à toute modification de la fiscalité locale et veillent à ce que les réformes fiscales ne pénalisent pas les territoires. Ce budget s'inscrit une fois encore dans cette logique : la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE) ou encore le niveau de dotations de l'État, ont fait l'objet de vifs débats afin de préserver les capacités financières des collectivités, dans un contexte défavorable lié à l’inflation et à la crise énergétique. 

Quels enjeux concrets pour l’autonomie de nos territoires se cachent derrière ces débats sur les finances locales ? Les situations financières des collectivités nécessitent-elles un soutien accru de l'État ?

L'autonomie financière et l'équilibre budgétaire des collectivités : une exigence constitutionnelle

L'autonomie financière des collectivités territoriales est une exigence constitutionnelle, inscrite à l’article 72-2 de la Constitution, qui dispose que ces dernières "bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement". Ce principe d'autonomie s'apprécie également au regard des compétences entre l'État et les collectivités territoriales : tout transfert de compétences vers les collectivités doit s’accompagner "de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice".

Tout budget local - composé d'une section de fonctionnement et d'une section d'investissement - est par ailleurs contraint par une "règle d’or" : les collectivités ne peuvent pas emprunter pour financer leurs dépenses de fonctionnement.

Les collectivités territoriales conservent malgré tout une grande autonomie dans la gestion de leur fiscalité, et donc d’une majorité de leurs ressources. 

Lors du vote de leur budget, elles ne peuvent pas non plus adopter un budget déficitaire, contrairement à l'État. En cas d’exécution d'un budget en déficit - de 10 % ou plus des recettes de la section de fonctionnement pour les communes de moins de 20 000 habitants ou de 5 % dans les autres cas - le préfet peut, sous 30 jours, saisir la Chambre régionale des comptes pour avis et recommandations afin de rétablir l'équilibre budgétaire (cf. article L1612-5 du Code général des collectivités territoriales). 

Les collectivités territoriales conservent malgré tout une grande autonomie dans la gestion de leur fiscalité, et donc d'une majorité de leurs ressources. La loi les autorise en effet à fixer l'assiette et le taux d'impositions de toutes natures, dans des limites bien définies. Ainsi, si elles ne peuvent pas supprimer l'une des quatre principales taxes locales - taxe d'habitation (TH), taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB), contribution économique territoriale (CET) -, elles ont le pouvoir d'en fixer le taux dans certaines limites définies par le législateur.

Une amélioration de la situation financière des collectivités relativisée par le Sénat

Après une année 2020 marquée par la crise sanitaire et une dégradation des finances locales, la Cour des comptes souligne une nette amélioration de la situation financière des collectivités en 2021. Dans un tel contexte de reprise de l’activité économique, l'intégralité des collectivités territoriales ont retrouvé un niveau d'épargne brute inédit de 41,4 Md€ en 2021, supérieur de 2,4 Md€ à celui pré-crise sanitaire. Cette situation favorable s’explique notamment par une progression de 5 % des produits réels de fonctionnement en 2021, contre une augmentation de 2,6 % des charges, ainsi inférieures à celles des recettes. Cette amélioration d’ensemble s’accompagne même d'une augmentation de l'investissement - phénomène "atypique en deuxième année de mandat municipal" selon la Cour - dont le montant total atteint plus de 63 Md€ en 2021, contre 57 Md€ en 2018 par exemple.

Ces finances publiques locales, en nette amélioration depuis 2021, devraient ainsi, selon le gouvernement, "résister à la montée de l'inflation" et maintenir des marges financières soutenables. C’est en tout cas ce qu’il prévoit lors de la présentation du PLF 2023, tout en rappelant que, pour les collectivités dont l’avenir est le plus incertain en raison de l’inflation, une enveloppe de 570 M€ a été provisionnée par la 1ère loi de finances rectificative (LFR), en 2022. Le caractère favorable de la situation des finances locales n'a ainsi pas échappé à l’exécutif qui compte accroître la contribution des collectivités locales à l'effort collectif des finances publiques.

Le caractère favorable de la situation des finances locales n'a ainsi pas échappé à l'exécutif qui compte accroître la contribution des collectivités locales à l'effort collectif des finances publiques. 

En témoigne ainsi le mécanisme de limitation de l’évolution des dépenses de fonctionnement des collectivités à 0,5 % en dessous de l’inflation, inscrit à l’article 23 du projet de loi sur le programmation des finances publiques (PLPFP). Si ce projet de texte a été rejeté à l'Assemblée nationale, le Sénat l'a adopté en supprimant… ledit dispositif d’encadrement des dépenses des collectivités locales. Ce sujet est toutefois loin d’être enterré, le gouvernement ayant réintroduit ce mécanisme dans la seconde partie du PLF 2023, que le Sénat étudie actuellement. Affaire à suivre donc…

PLF 2023 : la fiscalité locale (encore) au cœur des débats parlementaires

Cette année encore, l'examen parlementaire du budget au Sénat constitue un moment démocratique crucial pour l’avenir des collectivités territoriales. Outre les classiques revendications en matière de dotation globale de fonctionnement (DGF) - concours financiers de l'État au budget des collectivités territoriales - s’invitent cette année deux sujets particulièrement préoccupants pour les sénateurs : la poursuite de la réforme de la fiscalité locale (suppression de la CVAE) et l’incertitude financière liée à l’inflation.

Sur ce premier point, les sénateurs s'attachent à soutenir la compétitivité des entreprises françaises en poursuivant la réduction nécessaire des impôts de production, qui représentent en 2020 près de 4,4 % du PIB en France selon l’Institut Montaigne. La suppression de la CVAE - impôt de production dont les rendements estimés à 7,5 Md€ en 2021, sont affectés aux départements et aux communes et intercommunalités - en constitue l'une des premières étapes. Toutefois, certains parlementaires s’inquiètent de la disparition d'un lien direct entre les entreprises, le fonctionnement économique des territoires et donc du dynamisme de leurs recettes fiscales. 

Les sénateurs s'attachent à soutenir la compétitivité des entreprises françaises en poursuivant la réduction nécessaire des impôts de production.

Certains ont donc proposé de reporter la suppression d'un an de la CVAE, prévue à l’article 5 du PLF 2023, afin de mieux évaluer les impacts potentiels d'une telle réforme sur les collectivités. En signe de mise en garde l'ensemble des sénateurs a finalement rejeté l'article dans son intégralité. Ce vote n'est d'ailleurs pas sans rappeler les débats sénatoriaux de 2019, sur le projet de loi de finances pour 2020 instituant les mécanismes de compensation liés à la suppression de la TH. Les sénateurs avaient également préféré le report de la mise en œuvre de la réforme, avant d’être finalement contredits par l'Assemblée nationale en dernière lecture.

S'agissant du contexte économique, la Cour des comptes souligne dans un rapport d'octobre dernier que les dernières réformes fiscales (suppression de la taxe professionnelle puis de la TH en particulier) ont particulièrement "accru la sensibilité des finances locales à la conjoncture économique". Les sénateurs veillent ainsi à protéger au mieux les territoires face à une situation économique incertaine. Ils ont notamment porté la voix des collectivités pour lesquelles le "filet de sécurité énergie" - dispositif de 430 M€ voté cet été dans le cadre de la loi de finances rectificative (LFR) 2 et qui permet aux collectivités en difficulté de bénéficier d’un soutien de l'État pour faire face à des hausses substantielles de dépenses - était insuffisant. Un amendement a ainsi été adopté afin d'élargir les critères d'éligibilité et de simplifier le dispositif et figure désormais dans la première partie du texte, votée par le Sénat. Enfin, il a été retenu de revaloriser la DGF attribuée aux communes, aux EPCI et aux départements afin de l’indexer sur l’inflation en 2023, ce qui représenterait une hausse de 4,2 %.

Si le soutien de l'État en faveur de l'autonomie des collectivités territoriales - valeur constitutionnelle - demeure une priorité, il doit être mis en perspective au regard des enjeux de moyen et long terme de soutenabilité des finances publiques. En effet, si la dette publique - qui s’élevait à 2 229 Md€ fin 2021 - est principalement portée par l’État (89, 4 % du PIB), l'endettement des administrations publiques locales (APUL) pèse pour près de 10 % de la dette publique totale, soit 245 Md€. Si cette tendance s'est légèrement infléchie au cours de la dernière décennie, la crise sanitaire, l'inflation et la remontée récente des taux d’intérêts doivent inciter plus que jamais les collectivités à faire preuve de bonne gestion financière. 

Plus concrètement, le Sénat poursuit son examen du texte jusqu'au 6 décembre prochain. Ce dernier sera transmis ainsi modifié à l'Assemblée nationale pour une seconde lecture à l'issue de laquelle le gouvernement pourrait de nouveau avoir recours au 49.3… et potentiellement écarter l'ensemble des amendements adoptés par les sénateurs.

 

 

Copyright : CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

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