AccueilExpressions par Montaigne[Baromètre des territoires 2025] - Les Français cherchent un projet de sociétéL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.14/01/2025[Baromètre des territoires 2025] - Les Français cherchent un projet de société Action publique Villes et territoires Vie démocratiqueImprimerPARTAGERAuteur Lisa Thomas-Darbois Directrice des études France, Experte Résidente À l’occasion de ses vœux aux Français, le président de la République déclarait fin décembre que "l’année 2025 [devait] être une année d’action, une année utile pour vous et pour vous permettre de vivre mieux." Alors que 2024 a plongé le pays dans une instabilité inédite, les marges de manœuvre en matière d’action publique apparaissent incertaines. Si les gouvernements et les crises se succèdent, une certitude demeure : les Français doivent s’y adapter. Comment vivent-ils leur quotidien ? Quelles sont leurs inquiétudes et leurs aspirations face à une situation nationale et internationale complexe ? Ces questions sont au cœur de l’analyse de la troisième édition du Baromètre des territoires publiée en partenariat avec Elabe et la SNCF. Entre sentiment d’insécurité, désir de tranquillité et de protection, nous en décryptons ici les grands enseignements. L’insécurité : le maître mot d’une France qui se sent de plus en plus vulnérableL’un des premiers enseignements de cette nouvelle édition du Baromètre des territoires est que les Français se sentent majoritairement en insécurité dans leur quotidien. L’insécurité physique et la peur d’être agressé demeurent au cœur de leurs préoccupations : 47 % des sondés se sentent exposés au risque d’agression physique. Cette peur traduit une vulnérabilité plus générale qui se répand dans toutes les classes sociales et dans tous les territoires. L’insécurité économique, la peur du déclassement - particulièrement présente au sein des classes moyennes - est aujourd’hui généralisée : 57 % des employés et ouvriers craignent de devoir changer leur mode de vie par manque d’argent, tout comme 57 % des professions intermédiaires et même 52 % des cadres. La perception d’une diminution du niveau de vie alimente également la crainte de ne plus pouvoir se soigner correctement. Ainsi, 54 % des Français interrogés redoutent de ne pas pouvoir se soigner en raison de difficultés financières ou de difficultés d’accès aux soins et aux infrastructures de santé.L’un des premiers enseignements de cette nouvelle édition du Baromètre des territoires est que les Français se sentent majoritairement en insécurité dans leur quotidien.Enfin, une nouvelle insécurité se fait jour dans cette édition, celle du dérèglement climatique. Sujet marginalisé des débats politiques de ces derniers mois, la multiplication des événements naturels catastrophiques, dont les conséquences sont avant tout locales, a fait naître une véritable inquiétude. C’est aujourd’hui près de quatre Français sur dix qui craignent de subir des dégâts matériels sur leur habitation en raison de catastrophes naturelles et ce, dans toutes les régions françaises, dans le contexte d’une actualité internationale ou domestique qui rappelle régulièrement l’ampleur des risques climatiques, depuis le cyclone Chido à Mayotte jusqu’aux incendies à Los Angeles.En effet, 44 % des habitants objectivement les plus exposés à ces événements naturels partagent cette opinion mais aussi 42 % des habitants les moins exposés au risque.S’adapter pour se protéger : nouvelle source d’inégalités entre les FrançaisFace à la multiplication de risques qui génèrent de nombreuses insécurités, les Français expriment des doutes face à un avenir qu’ils perçoivent fragile et incertain. Parmi eux, 63 % ont désormais des difficultés à se projeter - et 71 % des 18-24 ans - près d’un Français sur cinq estime qu’il est même impossible d’avoir des projets pour l’avenir. Pour se protéger et retrouver de la sérénité, l’adaptation et la remise en cause des modes de vie semblent inéluctables. Bonne nouvelle : à rebours de leur image, les Français sont résilients et loin d’être réfractaires au changement. Ils sont même 64 % à déclarer apprécier le changement à partir du moment, toutefois, où ils ont pu le décider. Bien loin des discours politiques, la mutation des modes de vie et de consommation résulte, pour la plupart des Français, davantage d’un choix pragmatique que d’une posture idéologique sur le changement climatique ou le "système capitaliste".Cette capacité d’adaptation est toutefois loin d’être homogène et révèle de nouvelles fractures sociales au sein de notre pays. Face à l’insécurité économique et à la perte de pouvoir d’achat perçue par de nombreux Français, beaucoup sont désormais contraints à de nouveaux arbitrages, y compris au sein des classes sociales les plus aisées. Près de 80 % des Français attendent aujourd’hui les promotions ou les bons plans avant de procéder à un acte d’achat, dont 79 % des cadres et des ouvriers et 82 % des professions intermédiaires. L’écologie au quotidien est elle aussi largement dépendante des ressources financières des ménages. Ainsi, 77 % des Français les plus modestes sont freinés par manque de moyens financiers dans leur changement de comportement écologique contre près de 51 % des plus aisés. Symbole de la crise des "gilets jaunes", 68 % des habitants de l’agglomération parisienne estiment pouvoir privilégier le train à la voiture sans contrainte contre 43 % des habitants des zones rurales. Cette capacité à s’adapter est également freinée par une diffusion de l’information hétérogène au sein de la population française. Pour la majorité des Français, l’adaptation au changement climatique est une adaptation "à l’aveugle", sans vision claire sur les conséquences réelles de leurs actions en matière de climat. En ce sens, 61 % des Français ne savent pas diagnostiquer leur impact en matière d’émission de CO2 dont 69 % pour ceux n’ayant pas le bac et 51 % pour ceux diplômés du supérieur.Cette nécessité de protection face aux crises et donc d’adaptation se traduit de manière différente chez les Français. La nouvelle édition du Baromètre nous enseigne ainsi la co-existence de cinq trajectoires d’adaptation différentes chez les Français : les empêchés, les combatifs, les précurseurs, les déboussolés et les désinvoltes. À chaque trajectoire correspond un degré de volonté, de capacité et d'acceptabilité face à l’adaptation qui appelle à une prise de conscience politique ciblée. Sur ce point, les Français ont le sentiment que les pouvoirs publics n’ont pas pris conscience de la gravité de leur vulnérabilité et des contraintes qui leur sont imposées pour s’adapter.Bien loin des discours politiques, la mutation des modes de vie et de consommation résulte, pour la plupart des Français, davantage d’un choix pragmatique que d’une posture idéologique sur le changement climatique ou le "système capitaliste".Sur ce point, les collectivités territoriales sont ainsi pointées du doigt par les Français : moins d’un tiers des Français jugent que leurs élus locaux prennent les bonnes décisions pour les protéger ainsi que pour orienter les infrastructures locales vers leurs besoins en matière de mobilité. Un tiers des répondants ont même le sentiment que les pouvoirs publics locaux ne font rien du tout pour agir face aux défis d’adaptation à venir.La tranquillité et la solidarité : un nouveau projet de société ?À l’échelle individuelle, les Français cherchent aujourd’hui à traverser les crises avec le plus de sérénité possible. Se dessine même un horizon commun qui dépasse les clivages sociaux, d’âge ou d’appartenance politique, celui d’une quête profonde de tranquillité. Les Français aspirent ainsi à une stabilité et à de la simplicité dans leur vie personnelle et professionnelle, pour leurs proches et leurs enfants. Ils sont 85 % à aspirer à la stabilité du CDI (y compris chez les plus jeunes), 87 % à préférer la fiabilité de quelques amis proches et 75 % à aspirer prioritairement à vivre tranquillement en faisant des projets de moyen et long terme plutôt que de vivre plus intensément chaque instant présent. Cette aspiration à la stabilité et la sérénité se traduit également par une préférence plus forte pour le temps libre et la vie familiale et sociale. S’ils sont toujours très attachés au travail, 68 % des Français préfèrent aujourd’hui gagner moins d'argent pour avoir plus de temps libre - et ce, quel que soit le niveau de revenus - soit 6 points de plus qu’il y a près de 20 ans.Cette quête de sérénité n’est pas nécessairement l’illustration d’une montée de l’individualisme. Au contraire, les Français estiment plus que jamais que seule la solidarité sera à même de permettre aux concitoyens de se protéger et de relever le défi d’un monde en polycrise. Ainsi, 84 à 92 % des Français souhaitent conserver et protéger notre modèle de solidarité français pour faire face à la vulnérabilité du pays. Cette préférence pour le modèle social français dépasse les clivages politiques et prédomine sur les sujets de la dépendance et de la santé (92 %), des retraites (91 %) ou des catastrophes naturelles (91 %). Toujours élevé, ce soutien au modèle de responsabilité collective s’étiole toutefois légèrement en matière de risque sur la grande pauvreté (84 %). La volonté de protéger notre modèle de solidarité est largement partagée mais se heurte aux doutes concernant la capacité financière du pays à la sauvegarder. Si une courte majorité - entre 40 et 60 % - des Français sont convaincus qu’il est possible de trouver des solutions pour le maintenir, entre 30 et 40 % estiment que nous n’en avons aujourd’hui plus les moyens. Dans le même temps, les élus sont jugés de moins en moins à même de changer la vie des gens ou l’avenir du pays puisque trois Français sur dix estiment qu’aucun élu ne se soucie d’améliorer la vie des citoyens ni de résoudre les problèmes de la France. Pour un Français sur deux, les élus politiques ne savent plus faire passer le service de l'intérêt général avant leur ambition personnelle.Se dessine même un horizon commun qui dépasse les clivages sociaux, d’âge ou d’appartenance politique, celui d’une quête profonde de tranquillité.À l’heure d’une nouvelle dynamique politique et de nouvelles discussions budgétaires cruciales pour l’avenir de notre pays, cette édition 2025 du Baromètre des territoires nous livre une clé de lecture intéressante sur les aspirations des Français. Ces derniers sauront-t-ils accepter des efforts budgétaires nécessaires, fragilisant à court terme un peu plus leur équilibre au profit (espérons-le) de marges politiques plus importantes à l’avenir pour améliorer leur quotidien ?La classe politique saura-t-elle mettre son ambition catégorielle de côté au service d’un projet de société pour une France prospère et sereine ? À ces interrogations, les mots de Jacques Chaban-Delmas (septembre 1969) résonnent toujours avec autant d’acuité et de contemporanéité :"Je suis certain que nous devons aujourd'hui nous engager à fond dans la voie du changement. II y a à cela deux raisons principales : La première est que, si nous ne le faisions pas, nous nous exposerions à un avenir qui ne serait guère souriant. (...) La seconde raison, la raison positive, c'est que la conquête d'un avenir meilleur pour tous justifie à elle seule tous les efforts, tous les changements." (Assemblée nationale : "La nouvelle société", 16 septembre 1969).Copyright image : Gerard JULIEN / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés à la uneJanvier 2025[Baromètre des territoires 2025] France désemparée en quête de tranquillitéDécouvrez la 3e édition du Baromètre des Territoires publiée par l’Institut Montaigne, Elabe et le groupe SNCF pour comprendre comment nos concitoyens s'adaptent à l’empilement des crises et leur quotidien.Consultez l'Opération spéciale