Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
26/11/2021

Baromètre des Territoires 2021 : œuvrer à la cohésion

Baromètre des Territoires 2021 : œuvrer à la cohésion
 Sophie Conrad
Auteur
Ancienne responsable du pôle Politiques publiques

Au lendemain de la crise des gilets jaunes et de la crise sanitaire, deux événements sociétaux majeurs qui ont profondément bouleversé le quotidien des Français, comment nos concitoyens se sentent-ils ? Comment va la France ? Pour répondre à ces questions, la deuxième édition du Baromètre des Territoires, publiée par Elabe et l’Institut Montaigne en partenariat avec la SNCF, s’est attachée à décrypter les opinions de nos concitoyens. Ce travail part de ce qui fait leur quotidien, et s’intègre au plus près de l’endroit où ils vivent pour comprendre les aspirations et l’état d’esprit des Français. À quelques mois d’une échéance électorale cruciale, quels enseignements tirer de ce baromètre en termes de politiques publiques ? 

D’abord, le Baromètre des Territoires démontre que la catastrophe économique et sociale tant redoutée n’a finalement pas eu lieu. Les Français se disent plus heureux qu’en décembre 2018 (78 % se disent heureux ou très heureux, soit une hausse de 5 points par rapport à 2018) et même bien plus optimistes pour leur avenir personnel (57 % des interrogés le déclarent, soit une augmentation de 10 points par rapport à 2018). Cette vision positive concerne d’ailleurs également leur territoire, avec 66 % des sondés qui estiment que l’endroit où ils vivent va plutôt bien (en hausse de 7 points par rapport à 2018). 

Les indicateurs sont-ils donc au vert ? Si les Français ont puisé dans leur cercle proche leur capacité de résilience, ils demeurent inquiets quant à l’avenir de la société. Ainsi, 60 % d’entre eux se disent pessimistes sur l’avenir de la société française. Même s’ils étaient 70 % en 2018, le contraste avec l’optimisme dont ils font preuve concernant leur situation personnelle est frappant. En effet, les fractures restent nombreuses et le risque de désunion de la société réel, et pressenti comme tel. Dès lors, quels défis immédiats et plus structurels les pouvoirs publics vont-ils avoir à relever ? 

Le pouvoir d’achat reste le premier défi 

Deuxième préoccupation des Français (31 % des citations, derrière la santé) dans le baromètre, le pouvoir d’achat constitue un défi particulier. S’il est profondément structurel - seuls 25 % des Français déclarent avoir la capacité de mettre de l’argent de côté- il est également sensible à la conjecture. Ainsi 36 % des Français disaient avoir à se restreindre pour boucler les fins de mois en septembre 2021, soit 12 points de moins qu’en décembre 2018. En octobre, ils étaient 40 %, un rebond largement imputable à la hausse brutale des prix de l’énergie. Cette courbe évolue donc rapidement. 

La question du pouvoir d’achat est évidemment plus épineuse pour certains Français que pour d’autres. C’est le cas chez les "assignés", que la typologie construite par le baromètre désigne comme ceux bloqués géographiquement et socialement et qui subissent de plein fouet les inégalités sociales et territoriales. Chez eux, seulement un tiers des répondants ont le sentiment de mener la vie qu’ils ont choisie, et ils sont plus de 90 % à trouver la société injuste. En 2021, les "assignés" représentent près d’un Français sur quatre. C’est beaucoup trop. 

D’autres fractures apparaissent, qu’il convient de surveiller attentivement 

Si à la sortie de la crise des gilets jaunes une forme de concurrence entre préoccupations pour la "fin du mois" et pour la "fin du monde" avait pu être envisagée, la lecture de l’édition 2021 du baromètre fait apparaître une nette convergence des préoccupations. 

Les Français craignent ainsi que la lutte contre le changement climatique puisse donner lieu à de nouvelles injustices sociales. 

Les Français craignent ainsi que la lutte contre le changement climatique puisse donner lieu à de nouvelles injustices sociales. Si les trois quarts des Français sondés considèrent que nous sommes dans l’obligation de changer nos modes de vie (74 %) pour adopter un mode de vie plus sobre, ils demandent clairement que ces changements soient avant tout justes et partagés collectivement (58 %).

Un autre point de vigilance est lié à l’apparition d’une nouvelle inégalité sociale et territoriale en rapport avec le télétravail. La possibilité de faire du télétravail a divisé la France en deux, 4 actifs sur 10 ayant un métier dit "télétravaillable". À cette première fracture de fait, s’ajoute celle qu’on pourrait qualifier du "retour à la normale" : 57 % des actifs ayant un métier télétravaillable le pratiquent encore. Cette scission vient renforcer des écarts déjà bien présents, le télétravail étant un phénomène très marqué selon le lieu de résidence, conséquence directe de la concentration des cadres dans les grandes agglomérations françaises. Ainsi, si 53 % des habitants de l’agglomération parisienne et 42 % de ceux des autres agglomérations de plus de 100 000 habitants ont pratiqué le télétravail pendant la crise sanitaire, ils étaient seulement 30 % à le faire dans les agglomérations moyennes et dans les zones rurales. 

Une France toujours "en morceaux" face à des inégalités territoriales vivaces 

Comme souligné par Paul Hermelin dans le rapport Rééquilibrer le développement des territoires paru au printemps 2021, la France est aujourd’hui un pays profondément déséquilibré. 

À travers le pays, les quinze plus grandes métropoles concentrent 81 % de la croissance économique, alors qu’elles ne représentent que 30 % de la population. Dans le même temps les "territoires épars", situés en dehors des grandes métropoles et qui représentent 70 % de la population de notre pays, connaissent une croissance économique et un niveau de vie en stagnation, voire en déclin. Ces territoires pâtissent d’un faible maillage entrepreneurial et de moins bonnes infrastructures de réseaux, qui les rendent particulièrement vulnérables aux chocs économiques. Aussi, il était logiquement à craindre que la crise économique et sociale née de l’épidémie du Covid-19 creuse fortement cet écart territorial.

Le baromètre confirme cette crainte. Si l’étude note un recul sensible du sentiment de déclin économique qui s’exprimait dans la plupart des territoires en décembre 2018, elle confirme la fragilité économique des zones rurales et des petites agglomérations : 

  • c’est dans les villes "moyennes" que la recherche d’emploi apparaît la plus difficile : 45 % des sondés dans les communes de 20 000 à 100 000 habitants déclarent être à la recherche d’un emploi (contre 38 % dans l’agglomération parisienne et 39 % dans les communes de 100 000 habitants et plus) ;
  • dans les zones rurales, une vision de la création d’entreprises particulièrement terne confirme l’absence de dynamisme économique : seuls 18 % des habitants de ces zones estiment qu’il y a de plus en plus d’entreprises qui se créent, contre 26 % dans les villes de 20 000 à 100 000 habitants et 31 % dans les grandes agglomérations ;
  • c’est également dans les zones rurales que la situation des commerces est la plus préoccupante : 18 % des sondés y estiment que les commerces qui ferment sont repris et rouvrent rapidement, contre 39 % dans l’agglomération parisienne et une moyenne nationale de 28 %.

Paradoxalement, cette relative fragilité économique est contrebalancée par un réel attrait des citoyens pour ces espaces. Le sentiment du territoire "qui va bien" est d’ailleurs plus fort dans les communes rurales (69 %) et villes moyennes (68 %) que dans villes de plus de 100 000 habitants (64 %) ou dans l’agglomération parisienne (61 %). C’est dans les zones rurales et les petites agglomérations de moins de 20 000 habitants qu’on retrouve la plus grande part d’habitants venus s’y installer par choix de cœur, sans lien avec la profession ou le lieu de naissance (30 %). 

Le Baromètre des Territoires confirme donc l’importance d’une action résolue en direction des territoires ruraux au service d’une croissance économique territoriale pérenne. 

En outre, c’est dans ces territoires que l’envie de déménager est la plus faible : elle ne concerne "que" 14 % des interrogés des communes rurales, soit bien moins que la moyenne nationale (19 %) et que dans les agglomérations (21 %) ou dans l’agglomération parisienne (29 %). 

Les origines de cet exode, ou de cette soif d’exode, sont multiples, mais d’abord liées au cadre de vie (51 % des citations). Cette motivation devance largement la mention des services publics (17 %), des transports en commun (12 %) ou d’internet (7 %). Et ce, alors même que seulement 45 % des sondés habitant en zones rurales bénéficieraient aujourd’hui d’un accès internet de bonne qualité. 

Pour faire coïncider choix de raison et choix du cœur et éviter de nouvelles déceptions, le Baromètre des Territoires confirme donc l’importance d’une action résolue en direction des territoires ruraux au service d’une croissance économique territoriale pérenne. Ces résultats font ainsi largement écho à l’analyse dressée par le rapport Rééquilibrer le développement des territoires, qui préconise notamment  : 

  • une action résolue en faveur des villes moyennes, qui sont un point d’équilibre indispensable pour irriguer la ruralité ;
  • un investissement massif dans les infrastructures numériques, rendu encore plus indispensable pour éviter que ne se creusent encore les inégalités liées au télétravail ; 
  • une rénovation des mobilités ;
  • une action différenciée au profit des territoires épars, pour renforcer le tissu local des PME et des ETI.

Ce soutien au dynamisme économique est d’autant plus essentiel que les entreprises font partie, pour la majorité des Français, de la solution. Ainsi, pour 63 % de nos concitoyens, les entreprises ont la capacité de faire évoluer le monde dans lequel on vit. 

À l’aune des échéances électorales de 2022, la mise en lumière et la caractérisation des fractures sociales et territoriales qui abîment la France, permises par ce baromètre, sont précieuses. Les pouvoirs publics devront s’y atteler et, pour y remédier, une meilleure coopération entre les acteurs publics et privés sera indispensable. 

 

Copyright : Lou BENOIST / AFP

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne