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05/07/2016

Baccalauréat : massification ne rime pas avec démocratisation

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Baccalauréat : massification ne rime pas avec démocratisation
 Fanny Anor
Auteur
Ancienne chargée d'études senior

Les résultats viennent de tomber : 88,5% des candidats ont décroché le sésame, un record. Trente ans après l'objectif fixé par Jean-Pierre Chevènement ? alors ministre de l'Éducation nationale ? de "80% d'une classe d'âge au baccalauréat", où en sommes-nous ?

Un baccalauréat. Des baccalauréats ?

Cette année, 52 % des candidats ont passé le baccalauréat général, 28 % le baccalauréat professionnel et 20 % le baccalauréat technologique. Si les résultats définitifs de la session 2016 ne seront connus qu’à la fin de la semaine, ils ne devraient pas différer radicalement de ceux des sessions précédentes : 87,8 % de réussite en 2015 et 88 % en 2014. L’an passé, l’objectif de 80 % était déjà pratiquement atteint avec 77 % de bacheliers dans une génération. Ce chiffre cache pourtant une évolution hétérogène : si la part des bacheliers généraux et technologiques – environ 55% d’une classe d’âge – n’a pratiquement pas évolué depuis vingt ans, la part des bacheliers professionnels a, quant à elle, triplé.

Un déterminisme social encore prégnant

S’il est vrai que le système éducatif français a su relever le défi de la massification scolaire et celui de l’élévation du niveau de formation, le poids des déterminismes sociaux se lit dans l’origine sociale des bacheliers ; et, il s’accroit même depuis les années 2000 (cf. enquêtes PISA, OCDE). Les filières générales comptent ainsi deux fois plus d’élèves issus de familles socialement favorisées (professions libérales, cadres, enseignants) que les filières technologiques (35,9 % et 17,7 % respectivement), et quatre fois plus que les filières professionnelles (8,1 %). Ainsi, sur 100 jeunes entrés en 6ème en 1995, 90 % des enfants d’enseignants ou de cadres ont obtenu le baccalauréat, contre seulement 40 % des enfants d’ouvriers non qualifiés.

La prégnance de l’origine sociale est plus perceptible encore lorsque l’on analyse les résultats du baccalauréat général : sur cette même cohorte, 70 % des enfants d’enseignants ou de cadres obtiennent un baccalauréat général contre moins de 20 % des enfants d’ouvriers ou d’inactifs. Dans une note publiée en juin dernier, le Conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESCO) l’affirme : "à des inégalités verticales (certains élèves ont le bac et d’autres non), se sont substituées, dans le cadre d’une démocratisation ségrégative, des inégalités horizontales (tous les élèves n’ont pas le même bac). Car les trois bacs (généraux, technologiques et professionnels) ont des valeurs différentes et procurent des destins sociaux forts divergents".

Le baccalauréat, clé de la réussite dans le supérieur ?

L’accroissement de la part de bacheliers dans une classe d’âge ainsi que l’augmentation du nombre de bacheliers professionnels qui poursuivent leur scolarité dans le supérieur, ont conduit à une croissance importante du nombre d’étudiants : 65 000 nouveaux étudiants à la rentrée 2015, soit 2,5 millions d’inscrits dans l’enseignement supérieur en France et trois millions d’étudiants attendus d’ici 2020.

L’université est aujourd’hui confrontée à deux grands enjeux : s’ouvrir davantage aux bacheliers issus de tous horizons scolaires et sociaux ; et, une fois leur accès à l’enseignement supérieur garanti, leur offrir de vraies chances de réussite. Les taux d’échec, considérables en licence – sept bacheliers généraux sur dix échouent à obtenir leur licence en trois ans –, rappellent l’implacable sélection qui s’y opère. Ces taux d’échecs varient fortement selon le baccalauréat obtenu : si 34,7 % des bacheliers généraux obtiennent leur licence en trois ans, ce chiffre n’est que de 6,9 % pour les bacheliers technologiques et de 3,7 % pour les bacheliers professionnels. La réussite à l’université est également étroitement corrélée à l’origine sociale : "sur 100 jeunes entrés en 6e en 1995, 44 sont désormais titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur. Cette proportion varie de 20 % pour les enfants d’ouvriers non qualifiés à 76 % pour les enfants de cadres ou d’enseignants."

Comment faire réussir tous les bacheliers à l’université ?

Dans l’étude Université pour une nouvelle ambition, l’Institut Montaigne formule des propositions concrètes pour concilier excellence et réussite de tous à l’université. Il est indispensable que les prérequis jugés nécessaires pour réussir dans une filière soient explicitement énoncés, c'est-à-dire, par exemple, définir des seuils minimum de compétence selon les matières. Cela permettrait non seulement de mettre fin à une hypocrisie : la sélection se fait aujourd’hui par l’échec et favorise les enfants issus des milieux les plus favorisés ; mais surtout, de développer des pédagogies adaptées pour mettre fin à un intolérable gâchis. En d’autres termes, il convient de donner les mêmes chances aux bacheliers technologiques ou professionnels et cela passe par un accueil et un accompagnement spécifiques.

Cela ne veut pas dire que les bacheliers technologiques ou professionnels n’ont pas leur place à l’université, mais ils doivent y être accueillis et accompagnés de façon spécifique. Une plus grande sélectivité et un meilleur accompagnement permettraient de lutter plus efficacement contre les taux d’échec massifs qui gangrènent l’enseignement supérieur. La sélection à l’entrée des BTS, des IUT, des IEP, des écoles d’ingénieurs publiques, des CPGE, est admise par tous, pourquoi serait-elle moins légitime à l’entrée en L1 ou en M1 ?

Depuis trop longtemps, la peur de l’opposition que susciterait l’introduction d’une sélection à l’université l’emporte sur l’indignation que devrait provoquer les centaines de milliers d’étudiants qui, chaque année, y échouent. L’objectif ambitieux fixé par le gouvernement de deux jeunes Français sur trois diplômés de l’enseignement supérieur en 2025, impose d’assurer la réussite de tous les bacheliers, et donc de mieux les orienter et de mieux les accompagner. Il s’agit là d’un enjeu fondamental pour l'insertion professionnelle de notre jeunesse, dont le taux de chômage reste anormalement élevé en France.

Pour aller plus loin

(Re)lisez Baccalauréat : brisons les tabous ! Trois questions à Laurent Bigorgne

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